Côté tournée, les gamins sont vite rentrés dans les baskets des anciens : ils se lavent pas, mettent du fond de teint par-dessus le fond de teint, du Pento par-dessus le Pento. Ils picolent comme des fous, fument, sniffent et se speedent avec la tentation d'aller jusqu'au bout, le même désir de se défoncer pour voir, pour avoir la paix, pour être en colère, pour avoir l'impression d'être meilleurs, pour avoir la force de détester tous les autres, pour tenir bêtement une semaine de plus, un gala de plus.
En 1960, à Bourg, dans le dernier groupe que j'avais créé avant de monter à Paris, rien ne dépassait : on était tous les quatre dans le même costume bleu ciel avec des revers noirs et on faisait sur scène le pas en carré à la mode des Shadows. Pas question de s'offrir la moindre fantaisie. Si je me souviens bien, on portait même de ces petits noeuds twist noirs que l'on glissait sous le col de la chemise. Je m'étais offert des montures de lunettes en écaille (sans verres) pour ressembler à Hank Marvin.
L'escalier du parking servait de chiottes, des flaques d'urine et des merdes sur chaque marche. Une lueur là-bas au fond, entre les rangées de 504 familiales déglinguées. Un bordel du diable répercuté par le béton et les tôles. Je me suis arrêté une seconde, assis sur un capot de Simca, j'aurais voulu ne pas avoir de nez, ne pas avoir d'oreilles. Pour la première fois depuis ma cure, j'ai cherché instinctivement des pilules dans ma poche, prêt à replonger. Simplement pour tenir et pour que le monde redevienne doux, un peu plus doux.
Bien sûr que je l'ai entendu à la radio son zinzin. Comment ne pas l'entendre ? Il a été matraqué sur Europe, sur RTL, sur RMC ; mais j'aime bien doucher un peu Max, surtout quand il grimpe comme ça, quand il m'accroche les revers de blouson pour mieux me hurler dans les oreilles. Je lui dis en toussant que je n'écoute que France-Musique et je recule la tête à cause de l'odeur du cigare et je le calme.