L'archipel français

Ouvrage vraiment très intéressant et plus accessible que ce que je craignais (je suis d'ordinaire beaucoup plus attachée aux romans qu'aux essais, mais il m'arrive d'avoir envie de changer un peu, surtout dans des moments un peu particuliers comme ceux que nous traversons). Il explique clairement et de façon très étayée les évolutions de la société française dans toutes ses composantes durant les dernières décennies, avec une préface revue avant la parution de l'édition poche début octobre 2020. Je recommande vivement !

La dernière élection présidentielle a mis en lumière un clivage électoral inédit entre gagnants/ouverts et perdants/fermés : elle est historique en cela que jamais jusqu'ici et la droite et la gauche ont été éliminées dès le premier tour. L'ouvrage de Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l'IFOP, dissèque, cartes précises à l'appui, une France disloquée, éparpillée entre une myriade d'ilots plus ou moins étendus et finalement très peu connectés entre eux.
Et il nous montre que ce processus vient de loin (bien avant 1968), mais qu'il s'accélère. Malgré les conclusions d'Hervé le Bras et Emmanuel Todd qui parlaient du rôle « fantôme » d'un catholicisme « zombie » encore prégnant, la principale raison de cet émiettement de la société française est le processus – présent dans toute les sociétés européennes selon Marcel Gauchet - de sortie de la religion.
Les symptômes de cette entrée de la société française dans l'ère post-chrétienne : l'acceptation de l'IVG, de l'homosexualité, l'abandon de l'obligation de la virginité avant le mariage, la crémation, le tatouage, le véganisme, l'abandon de la consommation quotidienne de vin et croissance symétrique de l'usage du cannabis … autant d'expressions d'une société individualisée à l'extrême et culturellement diversifiée, tout comme l'effondrement de la pratique religieuse, la banalisation du dimanche pour faire ses achats, la reconfiguration des familles (250000 mariages en 2015 contre 400000 en 1972), 60% d'enfants nés hors mariage.
La structure classique entre catholicisme et anticléricalisme a disparu faute de pratiquants, qui était le fondement du clivage politique gauche/droite. Car, symétriquement, on a vu l'effondrement de la contre-société communiste et de ses organisations structurantes (le score du PC divisé par 10), la perte d'influence des grands médias, l'affaiblissement du cartésianisme, la perte du discours scientifique chez les jeunes tentés par le complotisme …
Parallèlement, on assiste au séparatisme social des élites dû à la croissance des titulaires de diplômes supérieurs (environ 30% de la population) qui ont tendance à vivre en vase clos et dont les occasions de contact avec le reste de la population deviennent de plus en plus rares, phénomène aggravé par l'essor de l'expatriation.
C'est l'étude de la fréquence et de la diversité des prénoms donnés aux enfances (analyse anthroponymique) nés en France depuis 1900 qui permet d'approcher l'extraordinaire diversité de la population française, le rythme de prise de distance avec la religion, le degré d'intégration des populations venues d'ailleurs …
On remarquera la parfaite concordance des cartes entre la prévalence des prénoms issus de la culture populaire américaine - Steeve, Kevin, Dylan … - et le vote frontiste … et la corrélation, (par exemple au sein de communes comme Aulnay sous bois, de départements comme la Sarthe, l'Hérault ou la région Alsace) entre taux de chômage et vote RN.
Il faut bien se rendre à l'évidence : la société française est à présent « éparpillée façon puzzle » et ce n'est pas très réjouissant. le processus est ancien, il a brutalement été mis à jour en mai 2017 … Reviendrons-nous bientôt ou jamais au classique clivage de classe entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas ou entre ceux qui comprennent le monde et les autres ? Comment allons-nous nous accommoder d'une société en miettes ?
C'est un livre très bien écrit, facile d'accès, avec des cartes et des diagrammes très précis, un propos passionnant, éclairant, pas très optimiste je le concède mais indispensable à ceux qui s'intéressent à l'avenir de notre pays. Il ne délivre aucune recette de sortie de crise mais souligne des erreurs politiques qui ont accéléré le processus : le quinquennat, le non-cumul des mandats, l'absence de représentation proportionnelle (même partielle), préconise un recours plus fréquent au référendum ...
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..

Jêrome Fourquet, dirige le Département Opinion et Stratégies d'Entreprise de l'IFOP. Avec « L'Archipel français – Naissance d'une nation multiple et divisée", paru en 2019, il étudie les évolutions de la population française. Il dresse un constat : la société est hétérogène, répartie sur un territoire éclaté où les groupes sociaux s'isolent. Un bandeau barre la couverture « Où allons-nous ? ».
Le travail est conséquent, documenté, précis avec de multiples références à des enquêtes, sondages, cartes …. A la suite des travaux d'Hervé le Bras, d'Emmanuel Todd … il souligne la disparition de l'héritage catholique, celle de l'opposition droite – gauche, et de la ceinture rouge. La société adopte de nouveaux comportements : les structures familiales se recomposent, elle accepte l'IVG, le tatouage, l'homosexualité, l'incinération, l'animalisme…. L'étude cerne le choix des prénoms (l'onomastique) comme l'élément démonstratif d'une appartenance à un groupe social constitué. La tradition catholique (avec le choix du prénom Marie, de Jean …), la présence de l'immigration, des marques d'intégration à la deuxième génération, de leur présence spatiale sur le territoire national. Différentes échelles permettent de mesurer les fractures qui surgissent à l'échelle nationale, régionale, locale. Les élites sont tournées vers la mondialisation et l'autoreproduction tandis que les banlieues sont en sécession frappées par le chômage et l'insécurité et les trafics de drogue. L'auteur sonde les évolutions depuis les années 60 et retient trois moments clés : 1983 avec l'affirmation du Front national et la marche des Beurs ; 2005  avec la victoire du « Non » lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen et les émeutes dans les banlieues ; 2015 avec les attentats de janvier 2015 contre ¬Charlie-Hebdo et l'Hyper Casher de la porte de Vincennes.
Actualisé, l'ouvrage trouve confirmation de ses analyses avec les élections présidentielles de mai 2017. Arrivent au pouvoir les « gagnants-ouverts » sur le monde et le libéralisme. Alors que les « perdants-fermés » ont versé dans l'abstention ou le vote de contestation, repliés sur des territoires isolés, éloignés des activités économiques, culturelles…Ils vont former les bataillons de « gilets jaunes » quelques mois plus tard.
La conclusion insiste sur les difficultés du pouvoir politique à donner sens et cohésion à la nation française. La société est multiculturelle, éclatée en ilots, quand le centre, l'île-capitale, contrôle de moins en moins les périphéries.
Un livre intéressant, dense par la variété de ses champs d'investigation et qui dresse un tableau « revisité » du territoire.

Jérome Fourquet nous emmène à bord de son bateau à la découverte de l'archipel français. L'île des élites, l'île des immigrés, l'île des ruraux etc ... autant d'individus différents qui pratiquent l'entre-soi, parfois malgré eux.

L'auteur nous propose un raisonnement inductif, c'est-à-dire qu'il se fonde sur ce que disent les chiffres pour amener à sa thèse principale : "la France est une nation multiple et divisée " Des classes d'âges aux revenus, en passant par les territoires, tout est analysé au peigne fin. C"est avec beaucoup d'intelligence et de connaissances que Jérome Fourquet parvient à nous expliquer L Histoire contemporaine qui est en marche. Nous voyons souvent des vagues (notamment la Bleue Marine ) au quotidien , signes de cette transformation de notre société, Fourquet nous en explique les mouvements de fonds, les causes.
On notera des analyses originales et pas très courantes, mais qui ont leur pertinence. Je pense notamment à l'analyse des prénoms ou au lien entre vote politique et altitude du lieu de résidence.

J'ajouterai 2 bémols néanmoins :
- Aucune comparaison(ou très peu) n'est faite avec les autres pays européens. Je serai intéressée de savoir si ce que l'on constate est "franco-francais" ou si cette tendance est propre au monde occidental
- L'oubli de la conscience écologique qui explose actuellement , notamment au sein des jeunes générations. Expliquer le vote Mélenchon ou Hamon sans apporter cet éclairage est à mon sens un gros oubli. Cette prise de conscience énorme redistribue les cartes en terme de choix électoraux

Pour autant il s'agit d'un livre éclairant et passionnant. A lire !

L'intérêt pour moi de ce type, ce monsieur "à replacer dans le contexte" est une sorte d'historien du temps présent qui déborde même dans la marge de l'avenir, il y apporte, singularité oblige, de la chair baignée dans la mentalité de l'époque d'aujourd'hui
A lire cet Archipel tellement vrai que personne n'y avait pensé et encore moins dans le landerneau politique avec ce talent et cette vision.

Ce livre n'est naturellement pas un ouvrage littéraire. Amoureux des belles lettres, attendez-vous à voyager dans cette France qui a vécu le " 42 avril " 2017 (élimination des 2 partis de gouvernement depuis la première alternance de la Vème République en 1981 au premier tour de l'élection présidentielle), à travers des chiffres, des tableaux colorés, des cartes, des courbes, des projections, des additions, des pourcentages… bref, rien que de " l'austère " pour les doux rêveurs que nous sommes.
Jérôme Fourquet nous explique, grâce à une analyse pointue, fine, détaillée, les raisons du big bang de 2017, ce qui l'a précédé et ce qui s'en est suivi… et ce qui va probablement continuer d'en résulter.
Il nous remet en face de nous-mêmes, nous explique et parvient à nous faire comprendre qui nous sommes et ce vers quoi nous allons… compte tenu des paramètres de cette étude sociologique, historique et politique tout à fait passionnante.
Un livre que je recommande à tous ceux qui votent, qui s'abstiennent, qui sont pour l'un et contre l'autre ; cette analyse riche et pleine de trouvailles (" archipelisation " " les " catho - laïques " etc etc ) leur révèlera que les raisons de leurs comportements électoraux ou plus généralement de citoyens, ont souvent des motifs ignorés d'eux-mêmes

excellent ouvrage qui décrypte l'évolution du contexte politique et social de notre pays. Eclairant sur ce point, mais également sur l'analyse statistique que les politiques utilisent pour répondre aux électeurs potentiels.
Attention tout de même il y a risque d'indigestion de tableaux et pourcentages pour le lecteur.

"L'archipel français, naissance d'une nation multiple et divisée" a déjà été beaucoup lu. Il se dit aussi que toute la classe politique l'a lu. Et cela se comprend car c'est une impressionnante analyse de l'évolution des opinions des Français au cours des trente à quarante dernières années ; analyse principalement fondée sur les enquêtes commandées à l'Ifop, dont Jérôme Fourquet dirige le département Opinion.

On est impressionné par ce que les sondages peuvent aujourd'hui révéler du lien entre opinion politique et activité professionnelle, niveau de revenu, région de résidence, religion, niveau de formation, etc...
Tout est clair, le texte comme les nombreux diagrammes et cartes (en couleurs, y compris dans la récente édition de poche).
On apprécie aussi l'objectivité de Jérôme Fourquet. Ses exposés évitent les sous-entendus partisans. Il ne manque pas de se référer aux ouvrages à l'origine de certaines analyses qu'il se contente d'approfondir. Et dans les dernières pages, il concède que si la fragmentation qu'il décrit est nouvelle, la société française n'a jamais vraiment été homogène.

La thèse principale du livre est que l'élection d'Emmanuel Macron consacre la substitution à l'opposition entre gauche et droite d'une opposition entre les Français qui, forts d'un bagage universitaire, considèrent que la mondialisation est une opportunité pour le pays et ceux qui, peu préparés aux reconversions qu'impliquent l'ouverture internationale, estiment, au contraire, que le pays doit en être protégé.
Jérôme Fourquet ne fait pas de pronostic sur la perennité de ce nouveau clivage. Et il ne s'appesantit guère sur la manière d'éviter qu'il aboutisse à un blocage, n'évoquant que très brièvement plus de proportionnelle, ou le recours à des referendums.

Le meilleur du livre m'a semblé être l'analyse de la très faible intégration de l'immigration arabo-musulmane ; celle-ci donne les clés d'une compréhension qui va bien au-delà de ce que les médias en donnent.

Un livre qui donc mérite d'être lu même s'il laisse une certaine frustration en laissant largement de côté l'émergence des préoccupations écologiques et en n'approfondissant pas plus ce qu'il y a derrière les constats qu'il dresse. Par exemple, le rôle de la désindustrialisation, des réseaux sociaux, des diplômes sans débouchés, de l'insuffisance des formations professionnelles, et de la faible culture économique pourraient être plus mises en relief.

Le bandeau de première page pose une question hors de propos à laquelle Pierre Dacq a apporté une réponse définitive. Cette photo assez floue de la France sans couleurs et surtout pas en noir et blanc parce que c'est interdit par les hypocrites condescendants montre les progrès de la liberté dans une société heureusement plus diverse et moins guindée qui déborde bien au-delà de ses frontières. Reste à trouver des philosophes jeunes d'esprit pour construire les ponts entre les îles.

Analyse très fouillée de la société française.
Au-delà des simples résultats électoraux, l'auteur montre la très profonde division de la société et bien qu'il ne se prononce pas de façon définitive sur le sujet, cette division paraît irréversible à l'échelle d'une ou deux générations.
Constat inquiétant...