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« Les plus extravagants assurent que mes ouvrages ne m'appartiennent pas, qu'il y a trop d'énergie et de connaissance des lois dans mes écrits pour qu'ils soient le travail d'une femme » Olympe de Gouges (citation de l'auteure)

Je ne saurait faire une analyse détaillée de l'ensemble de ces textes « au long court », articles et entretiens publiés entre 1975 et 2011. Mais à travers quelques réflexions et citations de l'auteure, inciter à (re)lire et poursuivre les débats autours des élaborations féministes.

Geneviève Fraisse propose trois conditions devenues nécessaires pour poursuivre l'investigation du « comment ça pense » : « la matérialité des discours, la dualité des sexes et la politique féministe ». Et l'auteure d'ajouter « ”Ça pense” est une affirmation polémique au regard de la méfiance renouvelée à l'encontre d'un féminisme réduit à l'hystérie ou à l'activisme »

L'ouvrage est découpé en quatre parties :

La rue et la bibliothèque (1976-1984)

L'historicité des sexes (1984-1997)

Intellectuelle spécifique (1997-2004)

Critiques et synthèses (2004-2011).

Dans le premier texte choisi de 1976, Geneviève Fraisse écrit « Les femmes se retrouvent souvent dans un paragraphe ou dans un chapitre : or, nous, nous voulons un livre, non plus pour souligner nos rôles ou nos vies, mais parce que l'histoire des femmes, ce n'est pas compléter un savoir mais le mettre en cause. ». Près de quarante ans après, la proposition reste d'actualité. En ce début de XXIème, combien de livres, en sciences dites sociales, où les femmes n'apparaissent pas, sont donc rendues invisibles, sont neutralisées « Personne ne l'ignore mais le neutre (masculin), censé les représenter, n'est malheureusement pas crédible », ou mesquinement traitées dans un petit paragraphe ? Surdité, avez-vous dit ?

J'ai particulièrement été intéressé par les analyses de l'auteur autour de l'histoire, de l'historicité, à commencer par « on ne se réapproprie rien tant qu'on vit encore l'incertitude du mouvement aujourd'hui » et le rappel de 1848 « On a bien assisté à une explosion du féminisme en pleine révolution de 1848 ! » (Voir l'indispensable ouvrage de Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey : 1848 la révolution oubliée (Réédition La Découverte poche, Paris 2009)
Plus généralement l'auteure explicite sa démarche sur cette dimension. « Entre ce vide conceptuel de la philosophie (qui n'est pas, bien entendu, une absence de pensée), l'anhistoricité des représentations traditionnelles du sexe et de la sexualité, et la promesse de l'histoire contemporaine, j'imaginais, puis j'affirmais que l'hypothèse de l'historicité ouvrait une perspective nouvelle ; et ce doublement : en rendant possible une lecture des philosophes et de leur traitement de la question des sexes ; en déjouant la facticité, l'empiricité infrathéorique qui fait qu'aujourd'hui encore toutes les recherches sur les femmes n'ont pas modifié l'a priori (le préjugé) contre la conceptualisation de la différence sexuelle ». Oui l'histoire est sexuée et « le travail de construction de l'aporie passe par la reconnaissance du conflit ».

Je souligne aussi les pages autour de la soit disant nature, sur la différence entre gouverner et représenter, la double morale, les rapports entre égalité « L'égalité n'existe pas sans preuves tangibles et concrètes » et liberté « il faut penser la liberté en plus de l'égalité », la parité « La parité est vrai en pratique et fausse en théorie », le consentement « Question : que ceux qui connaissent la frontière entre liberté et contrainte, entre liberté intime et liberté sociale, me l'expliquent », la domination masculine « Si l'on veut vraiment mettre en cause la domination masculine, il faut la traiter comme un continuum, comme un système qui ne fonctionne que parce que c'est un puzzle dont on ne connaît pas le dessin et dont les morceaux sont épars », l'universel et la question des sexes « En fait, il faut penser l'universel avec la question des sexes. Les sexes ne sont pas un obstacle, c'est ce avec quoi on peut penser ; ce n'est pas une question contingente, anecdotique, juste bonne pour les sciences physiques et la psychanalyse. J'ai envie de dire : ne faites pas comme s'il n'y avait rien à voir. »

Je reprends un exemple de l'auteur pour montrer les implications des choix de vocabulaire « Mieux vaux dire ”famille monoparentale” que ”mère célibataire”, mais avec la conséquence, inéluctable, qu'on perd de vue la proportion, massive, de femmes concernées. C'est comme un tour de passe-passe où le catégoriel stigmatise et où le général masque le problème »

L'apport est considérable « je dois pouvoir a posteriori avoir déplacé quelque chose chez le lecteur et l'auditeur ». Et, personnellement, c'est sur des points où mes divergences avec l'auteure sont les plus importants, que j'ai trouvé matière à réflexion, à reformulation, à élargissement des compréhensions. « La fabrique du féminisme, affirmer ”ça pense”, implique autant les sujets, individuels et collectifs, que les lieux, les espaces, les situations ».

Une mise en perspective très utile. « Il ne suffit pas de prendre le recto d'une page pour faire disparaître son verso », sans oublier que « L'égalité, cela s'impose par des rapports de forces, par des voies, par des issues à des conflits, etc. mais de toute façon cela s'impose ».

Pour terminer, cette affiche du Planning familial de Marseille, citée par Geneviève Fraisse, « où un homme disait : ”Ah, j'aimerais partir dans un pays où je ne vais jamais” et la femme lui répondait : ”Viens donc dans la cuisine !” »

En complément, je propose le beau texte, le « sans conclure » de l'auteure au le féminisme à l'épreuve des mutations géopolitiques(Sousla direction de Françoise Picq et Martine Storti, Editions iXe, 2012)
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