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Marie-Hélène Dumas (Traducteur)
EAN : 9782070787883
272 pages
Joëlle Losfeld (01/02/2011)
4.09/5   32 notes
Résumé :
Grace Cleave, une écrivaine néo-zélandaise "expatriée" à Londres, est en vacances dans le nord de l'Angleterre. Son hôte lui demande pourquoi elle a abandonné sa terre natale: "Vous ne voudrez jamais y retourner? - J'ai été officiellement déclarée folle en Nouvelle-Zélande. Y retourner? On m'y a conseillé pour mon salut de vendre des chapeaux." Janet Frame explore les thèmes du voyage, du retour, du mat du pays et de l'appartenance. Ecrit en 1963, Vers l'autre été e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Je n'ai pas encore lu les autres livres autobiographiques de Janet Frame (les 3 tomes de "Un ange à ma table", qui viennent d'être réédités en coffret, en même temps que paraît ce volume, «Vers l'autre été»). de celui-là, je pense qu'il faut être resté très proche intérieurement de l'enfance pour mieux en saisir la fantaisie, les images douces et terrifiantes dont il est parsemé. Sa façon de voir le monde qui l'entoure est parfois très déstabilisante, elle fait des comparaisons souvent surprenantes.

«Quand j'étais enfant
je voyais Dieu,
je voyais les anges ;
je regardais les mystères des mondes d'en haut et d'en bas.
Je croyais que tous les hommes voyaient la même chose.
J'ai fini par comprendre qu'ils ne voyaient pas...»
Je trouve ce texte soufi de Shams de Tabriz, épigramme de «Soufi, mon amour» de Elif Shafak, tout à fait en harmonie avec ce que la lecture de «Vers l'autre été» de Janet Frame traduit.


En effet Janet Frame, Grace Cleave dans le livre, écrivain néo-zélandaise exilée à Londres (elle choisit de se réincarner en un oiseau migrateur), voit le monde tout à fait différemment du commun des mortels. Elle vit dans un monde décalé, un monde de poésie pure qui lui permet des incursions, «à tire d'aile», vers ses souvenirs d'enfance en Nouvelle-Zélande.
Elle se trouve souvent en porte à faux, en équilibre instable par rapport à Anne et Philippe qui l‘ont invitée à passer un week-end chez eux, à Winchley, dans le nord de l'Angleterre. D'une maladresse touchante, elle hésite sur le comportement qu'elle doit adopter.
«...ce fut entre la deuxième et la troisième partie de son roman «en cours» que le week-end s'immisça ; il se coinça dans le gosier du texte ; rien ne pouvait plus ni sortir ni entrer, son livre risquait de devenir un «enfant confié à la garde du silence».
Elle fit donc appel à la chirurgie littéraire afin de libérer ses personnages et les propulser dans leur danse ou leur envol ; elle écrivit l'histoire du week-end.»
D'une sensibilité exacerbée, elle saisit le moindre changement dans l'attitude de son entourage, ressent profondément le plus petit malaise et a un mal fou à s'exprimer car elle sait d'expérience qu'elle restera incomprise, que les mots prononcés vont la trahir. Il n'y a que, seule à sa table d'écriture, qu'elle se sent à l'abri, libre et en confiance.
Toutefois, les maladresses auxquelles elle doit faire face en société sont examinées avec lucidité et donnent lieu, parfois, à des situations cocasses que Janet Frame nous décrit avec humour.
Sa méfiance, son hésitation à parler aux autres, vient de ce qu'il lui a été donné de vivre douloureusement, puisque que Grace répond, au début, à Philippe Thirkettle, venu l'interviewer, qui lui demande si elle ne veut pas retourner en Nouvelle-Zélande :
---- J'ai été officiellement déclarée folle en Nouvelle-Zélande. Y retourner ? On m'a conseillé pour mon salut de vendre des chapeaux.

Et l'on sait que Janet Frame, diagnostiquée à tort comme schizophrène, a été internée 
8 ans dans un hôpital psychiatrique où on lui fait subir 200 électrochocs. C'est grâce à la parution de son premier recueil de nouvelles et surtout à l'intervention d'un médecin, un peu plus attentif et lucide que les autres, qu'elle échappera de justesse à une lobotomie.
Elle voulait que «Vers l'autre été» ne paraisse qu'après sa mort, peut-être parce que ce livre la dévoilait plus que les autres, était plus dérangeant. Je pourrai comparer quand j'aurais lu les autres volumes.
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Grace Cleave a beau être une écrivaine reconnue, les relations sociales continuent de l'angoisser profondément. Elle ne parvient jamais à comprendre les codes sociaux, et une simple discussion lui parait être une difficulté insoutenable. Voilà pourquoi, la plupart du temps, elle s'enferme dans son petit appartement londonien et écrit des heures durant.

Seulement voilà, elle doit passer le weekend dans la famille d'un « ami » qu'elle connaissait jusque là surtout par un échange de lettres. Vers l'autre été raconte d'abord ça : comment une écrivaine complètement dépassée par les relations humaines tentent de survivre à quelques jours enfermée dans une maison avec une famille inconnue.

Ce qui fait la particularité de ce livre, c'est son héroïne. Reconnue par ses pairs et le public pour sa maitrise de l'écriture, elle se révèle incapable de soutenir une discussion banale. Tout l'angoisse, surtout le quotidien. Et elle a des pensées originales. Par exemple, elle se persuade de ne pas être humaine, mais d'être une sorte d'oiseau migrateur qui entend sans cesse l'appel « vers l'autre été » (d'où le titre du roman), appel qui n'est pas sans lien avec un sentiment d'exil… puisque cette écrivaine vivant en Angleterre a fui sa Nouvelle-Zélande natale, pays auquel elle pense sans cesse.

Ce livre est en bonne partie autobiographique, ce qui ajoute au charme et au trouble ressenti à la lecture. Janet Frame, l'auteure, le trouvait trop embarrassant pour être publié de son vivant, mais voulait bien qu'il le soit post-mortem.

C'est qu'il est écrit avec un degré de sincérité déstabilisant. La narratrice y confesse son sentiment d'étrangeté aux humains, et comment elle se sent beaucoup plus proche de certains oiseaux et de la vie silencieuse dans les grands espaces néo-zélandais. À la lecture, je n'ai pu m'empécher de me demander si Janet Frame relevait d'une forme d'autisme ou de schizophrénie. En tout cas c'est très intéressant de lire cette perception du monde qui parait à la fois complètement tordue et très cohérente. Dans la réalité, Janet Frame a longtemps été interné, a subi des centaines d'électrochocs et n'a échappé à cette torture que grâce au succès de son premier livre. Dans le roman, seule l'écriture semble encore attacher Grace Cleave au monde humain.

La « folie » si poétique de la narratrice n'est pas le seul sujet du livre. La famille où celle ci va séjourner est, comme elle, d'origine néo-zélandaise. Une large partie du livre est consacrée aux souvenirs d'enfance dans ce pays, avec une forme de nostalgie mais aussi de mise à distance. Les scènes vécues « pour de vrai » dans la maison et les souvenirs se mêlent dans le livre, créant parfois une atmosphère un peu irréelle. C'est un témoignage assez fort, très personnel, avec une écriture à la hauteur de cette exigence si singulière.

S'il n'est pas toujours facile à lire, ce livre est assez marquant.
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Du récit d'un week-end dans la famille amicale d'un critique littéraire, quelque part dans le nord de l'Angleterre, où sa narratrice et alter ego est invitée, l'auteur Janet Frame jeune femme écrivain exilée à Londres après une douloureuse expérience de l'internement psychiatrique en Nouvelle-Zélande, sa terre natale, tire un récit tantôt « border line » et d'une fantasmagorie étrange, tantôt une exploration poétique de ses souvenirs d'enfance, la richesse chatoyante de son monde intérieur contrastant vivement avec ses blocages et sa timidité en société.
Un très beau livre, d'une impressionnante virtuosité et richesse littéraire, qui traduit de façon émouvante mal-être, sens aigu de sa différence, et nostalgie d'une patrie et d'une enfance ensoleillées à jamais perdues dans les frimas du Nord.
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Vers l'autre été a une héroïne, Grâce Cleave qui est en fait le sosie de Janet Frame. Grâce écrit des romans, vit à Londres et a beaucoup de mal à se socialiser. Elle n'arrive pas à se connecter avec les gens et de ce fait elle éprouve d'énormes problèmes de communication orale.

Ce handicap la rend malheureuse car elle imagine le ressenti des personnes qui doivent la croire plutôt débile. Ceci, à l'évidence est démenti par ses écrits, écrits qui ont eu du succès.

Elle vit dans un monde fait de souvenirs du passé, embelli par une poésie de l'expression, une poésie qu'elle se crée elle même. Ainsi, elle se rêve comme un oiseau migrateur, l'un des nombreux oiseaux de son île natale.

La plupart de ses livres sont autobiographiques et en ce qui concerne celui-ci, elle a souhaité qu'il soit publié après sa mort car dans Vers l'autre été elle se livrait plus que dans ses autres écrits.

Je dois reconnaitre que j'ai eu beaucoup de mal avec cette lecture tellement « flottante », trop éthérée, entrecoupée de souvenirs très concrets sur son passé et son enfance. En même temps, je percevais trop bien son mal être, sa difficulté à s'exprimer pour les choses simples, une véritable souffrance qui surgit au fil des pages. Cela oui, cela m'a sincèrement chagriné et rendu la lecture pesante.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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Les éditions Joëlle Losfeld continuent le travail de publication des oeuvres de Janet Frame (1924-2004), auteure néo-zélandaise (connue des cinéphiles pour son Un ange à ma table, roman autobiographique dont est tiré le premier film de Jane Campion). D'une discrétion légendaire, Janet Frame ne fut pourtant pas une inconnue. A sa mort, elle laisse derrière elle une oeuvre considérable de nouvelles et romans - ensemble narratif qui, d'après certaines sources, ont failli lui valoir le prix Nobel.

Vers l'autre été (1963) est un livre de l'impuissance, un autel dressé au manque féminin. Dans la lignée de la Lettre de Lord Chandos, le livre s'ouvre sur un constat d'échec : l'impossibilité d'écrire, le statut douteux de cette écrivain autoproclamée face à une évanescente figure masculine d'écrivain « autoproclamé » aussi, mais sûr de lui. Si elle revendique sa légitimité en tant que créatrice, elle ne reconnaît pas moins sa difficulté à entamer le récit. C'est ainsi qu'elle se livre au lecteur, en un premier chapitre qui présente, comme dans le plus moderne des théâtres et avec une simplicité désarmante, son propos : raconter le week-end de Grace Cleave, écrivain néo-zélandaise vivant en Angleterre.

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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Pourtant à la façon dont les gens parlaient de la guerre je savais que ce n'était pas un endroit comme San Francisco ou Honolulu mais quelque chose qui se déplaçait comme un iceberg ou un nuage ; elle était invisible, elle n'allait pas toujours dans la même direction comme une rivière ou ne gardait pas la même forme comme un train sur la voie ferrée, mais changeait continuellement, avait peut-être de nouveaux bras et de nouvelles jambes et un nouveau visage qui lui poussaient puis qu'elle perdait ou bien qui s'effaçaient ; elle enfonçait peut-être une racine dans le jardin ou la route ou dans l'eau - la mer, les rivières - et y restait, grandissait, fleurissait, puis se fanait ; emportée de-ci de-là par le vent ; pénétrait les gens, devenait les gens, les volait, leur ajoutait quelque chose, changeait la forme de leurs vies : telle était la guerre. Elle continuait éternellement tandis que les gens tentaient de lui échapper ; ils chantaient. Mets tes soucis dans ton vieux sac et Oh mon Dieu, je ne veux pas mourir, je veux rentrer chez moi.
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Je ne veux pas habiter le monde humain sous de fausses apparences. Je suis soulagée d'avoir découvert mon identité après avoir été si longtemps dans le doute. Pourquoi les gens devraient-ils avoir peur si je me confiais à eux ? Pourtant les gens auront toujours peur et seront toujours jaloux de ceux qui ont réussi à établir leur identité ; cela les entraîne à prendre la leur en considération, à l'isoler, la dorloter, de peur qu'on ne la leur emprunte ou qu'on empiète sur elle, et dès qu'ils se mettent à la protéger ils sont bouleversés de découvrir que leur identité n'est rien, qu'elle est une chose rêvée et jamais connue ; alors commence la quête douloureuse -- que choisir -- bête ? autre être humain ? insecte ? oiseau ?
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- Tout ce que vous avez cuisiné était délicieux.
Grace se sentit fière d'avoir dit ça. Elle admirait le talent d'illusionniste d'Anne, car bien que les repas aient semblé se succéder sans interruption, et qu'Anne ait continuellement été en train de les préparer, allant et venant de l'évier au four à l'évier à la table, tout s'accomplissait avec une telle discrétion que si vous aviez interrompu Anne à un instant ou un autre, vous ne l'auriez jamais surprise avec dans les mains une boule de pâte ou une pomme de terre à moitié pelée. Sa manière délibérée ou involontaire de cacher la préparation et la cuisson des repas évoquait pour Grace la création d'une œuvre d'art ; pourtant il n'y avait aucun triomphalisme dans la façon dont elle les servait ensuite. Un artiste pourrait en prendre de la graine, se dit Grace. Elle sait produire et donner sans préciser - C'est mon œuvre.
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Grace essaya de ne pas penser à son incapacité à communiquer par la parole ; elle retraça la part qu'elle avait prise ce soir-là à la conversation. Si seulement elle avait dit ceci, si seulement elle avait dit cela ! Pourquoi semblait-elle toujours s'arrêter au milieu des phrases et ne pas pouvoir continuer parce que ses mots et ses idées s'étaient enfuis ?
Elle se mit à pleurer, en silence, et bercée par ses larmes elle s'endormit.
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Elle lança son bras au-dessus du drap et appuya sur l'interrupteur blanc qui allumait la lampe de chevet ; elle rejeta les couvertures, examina sa peau. Pas de plumes. Juste une sensation de duvet et de pennes, et ce duvet et ces pennes, ainsi que d'autres manifestations de l'autre monde, pouvaient être tenus secrets ; personne d'autre n'avait besoin de l'apprendre. En un sens, découvrir sa véritable identité était un soulagement. Depuis si longtemps elle s'était sentie non humaine, et avait pourtant été incapable de s'orienter vers une espèce différente ; maintenant, la solution lui était donnée ; elle était un oiseau migrateur ; fauvette, bergeronnette, bruant jaune? coucou pie-grièche, goglu des prés, grand labbe? albatros, euplecte franciscain, barge?
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Vidéo de Janet Frame
Une petite fille, presque adolescente, façonne un bonhomme de neige dans son jardin. Celui-ci observe à travers ses yeux de charbon de bois l'agitation humaine. Ces êtres de chair et de sang ne sont-ils pas destinés à la décrépitude et l'anéantissement ? se demande-t-il avec circonspection et un rien de pitié. En tant que créature minérale et glacée, il se sent invincible, apte à survivre à sa créatrice. Le Flocon de Neige Éternel apparaît alors pour lui expliquer la vie, la mort, celle des êtres humains, mais aussi la sienne.
Après avoir présenté sur France Inter ce conte métaphysique et poétique de Janet Frame au micro d'Augustin Trapenard dans l'émission « Boomerang » du 25 mars 2022 , Isabelle Carré lit aujourd'hui « Bonhomme de neige Bonhomme de neige » dans son intégralité en livre audio pour « La Bibliothèque des voix ».
En précommande dès le 1er août 2022, le livre audio numérique sera disponible à la vente à partir du 18 août. Retrouvez-le le 1er septembre 2022 en librairie au format CD MP3.
Le texte français, traduit depuis l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Élisabeth Letertre et Keren Chiaroni, a paru aux éditions des femmes-Antoinette Fouque en 2020. Le conte original a été publié pour la première fois en recueil en 1963.
Directrice artistique : Francesca Isidori.
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