Je viens de relire son Histoire contemporaine. J'y retrouve le plaisir de ma première lecture, il y a quelques lustres, et une description très fine de la société française de la toute fin du XIXe.
Les quatre romans de cette Histoire contemporaine sont d'abord parus sous forme de feuilleton et ont été publiés entre 1897 et 1901. On parle de quadrilogie, les 3 premiers (L'orme du mail, le mannequin d'osier et L'anneau d'améthyste) développent la même histoire alors que le dernier (M. Bergeret à Paris) reprend les personnages mais avec une optique un peu différente.
Au travers de ces romans, Anatole France peint les différents couches de la société et aborde les idées politiques de l'époque. Bien des situations décrites résonnent avec notre actualité et font de cette fresque un livre toujours vivant. La lecture estivale dans un transat n'est pas idéale pour prendre des notes, je ne vais pas inonder ce billet de citations mais France fait souvent mouche par la justesse de ses propos ou de ses descriptions.
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Ce grand roman est un vrai régal, toujours moderne, servi par une jolie langue aux expressions parfois un peu désuètes. Je le recommande fortement et assurément je le relirai encore avec plaisir.
Challenge Nobel
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Le salon où se tenait le cardinal-archevêque pour recevoir les visites avait été revêtu, sous Louis XV, de lambris de bois sculpté peints en gris clair. Des figures de femmes assises parmi des trophées occupaient les angles des corniches. Sur la cheminée, la glace, en deux morceaux, était couverte, à sa partie inférieure, d’une draperie de velours cramoisi sur laquelle une Notre-Dame de Lourdes s’enlevait toute blanche, avec sa jolie écharpe bleue. Le long des murs, au milieu des panneaux, étaient suspendus des plaques d’émail encadrées de peluche groseille, des portraits imprimés en couleur des papes Pie IX et Léon XIII et des ouvrages brodés, souvenirs de Rome ou dons des dames pieuses habitant le diocèse. Des modèles en plâtre d’églises gothiques ou romanes chargeaient les consoles dorées : le cardinal-archevêque aimait les bâtiments. De la rosace rocaille pendait un lustre mérovingien exécuté sur les plans de M. Quatrebarbe, architecte diocésain, chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire.
Monseigneur, retroussant sa soutane sur ses bas violets et chauffant au feu ses jambes courtes et fermes, dictait un mandement, tandis qu’assis à la grande table de cuivre et d’écaille, surmontée d’un crucifix d’ivoire, M. de Goulet, vicaire général, écrivait : — Afin que rien ne vienne attrister dans nos âmes les joies du Carmel…
Monseigneur dictait d’une voix blanche, sans onction. C’était un très petit homme, portant droit sa grosse tête et sa face carrée, que l’âge avait amollie. Son visage, avec des traits vulgaires et grossiers, exprimait la finesse et une espèce de dignité faite de l’habitude et de l’amour du commandement.
— Les joies du Carmel… Ici vous développerez les idées de concorde, de pacification des esprits, de soumission si nécessaire aux pouvoirs établis, que j’ai déjà exprimées dans mes précédents mandements. »
M. de Goulet releva sa tête longue, pâle et fine, que ses beaux cheveux bouclés ornaient comme d’une perruque Louis XIV.
(L'orme du mail)
La Chartreuse de Parme