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Critique de Fabinou7


Anatole France. Grand écrivain, figure intellectuelle dominante de la IIIe République, socialiste, dreyfusard, féministe et Prix Nobel de Littérature. Actualité : purgatoire.

Les Dieux ont soif, paru en 1912, est d'un classicisme évident. le langage y est soutenu, le vocabulaire et les références historiques fouillées, sans pour autant alourdir le style fluide et les chapitres brefs, à lire en Vendémiaire comme en Thermidor.

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« Mais ne me dit pas que la Révolution établira l'égalité, parce que les hommes ne seront jamais égaux »

Nous sommes au coeur de la période révolutionnaire de la « Terreur » et nous ne pleurons pas les têtes couronnées, nous ne suivons pas la fuite à Varennes ou la Prison du Temple, nous ne sommes pas non plus dans la tête de Robespierre ou de Marat.
Mieux encore, nous suivons, comme si nous y étions, des parisiennes et des parisiens « moyens », des gens du peuple qui dans leur humble condition regardaient « la lâcheté comme un devoir ». Au coeur de la ville et ses commerces, ses disettes, ses rumeurs, ses voluptés et ses parenthèses bucoliques, ce Paris des « artisans et ménagères, qui eussent de bon coeur brûlé le château de Versailles, mais se fussent crus déshonorés s'ils y avaient dérobé une épingle. »

« Que la guillotine sauve la patrie ! » Evariste Gamelin, jeune peintre jacobin, est à l'image de l'Incorruptible : ni la pitié ni la compassion ne peuvent le corrompre.

« Il est vertueux : il sera terrible. » Ces mots reflètent l'esprit même du Comité de Salut Public ; lorsque le personnage se dit qu'après tout le despote, le tyran a guillotiné à tour de bras, pourquoi la Révolution ne pourrait -elle pas, pour une si noble cause, couper quelques têtes à son tour : appliquer les mêmes remèdes que la monarchie en espérant un résultat différent dans la population, naïveté ou folie ?
« La vieille idée monarchique de la raison d'État inspirait le Tribunal révolutionnaire ». C'est l'impasse des jacobins, et leur tribunal arbitraire : « un juré patriote est au-dessus des passions. » Drapés dans leur vertu sanguinaire, une vertu éducative, par le sang la paix viendra, par la guillotine la fraternité règnera c'est finalement eux qui ont perdu la tête, si j'ose dire.

« Je n'ai rien vu d'aussi impassible dans le marbre glacé des statues. » Barras. Dictateur proto-stalinien, hyper centralisateur et laïcard pour les uns, modéré acculé par les vendéens et les armées monarchistes de l'Europe entière fomentant des complots d'aristocrates, d'agioteurs, de généraux et de curés pour faire tomber la jeune République pour les autres ou encore partisan d'une révolution bourgeoise et conservatrice niant les revendications d'égalité des femmes et de partage de la propriété privée du bas peuple, le débat autour de Robespierre et ses partisans de la Convention est sans fin.
On sait que beaucoup de dictateurs, austères en public, se comportaient, dans leur duplicité, en hédonistes voraces, criminels et sadiques en privé, mais il semble que Robespierre se distingue par une austérité privée comme publique (avoir tant de pouvoir et ne même pas en profiter).

Que n'a-t-on pas fait au nom du « bien » ou du « bonheur » … Disons qu'il y a ceux qui savent que la rhétorique de la vertu, du souverain bien n'est qu'un alibi pour leur pouvoir et ceux qui naïfs, perdus « dans la région des certitudes absolues », sont convaincus…lesquels sont les plus dangereux ? Ou est-ce un mal nécessaire ? « la patrie maudissait ses sauveurs. Qu'elle nous maudisse et qu'elle soit sauvée » déclare Evariste.

« L'unique fin des êtres semble de devenir la pâture d'autres êtres destinés à la même fin. » N'espérez pas d'Anatole France qu'il tranche la question, néanmoins, on peut supposer que sa sympathie va à Brotteaux.
« Je pense que ces gens-ci donnent à un philosophe et à un amateur de spectacles ample matière à réflexion et à divertissement ». le citoyen Brotteaux en effet est un libre penseur, décrit comme libertin, athée et épicurien, pas naïf quant aux structures et rapports de force qui influencent et radicalisent les passions individuelles, il a le regard le plus dépassionné sur les évènements du livre et démasque les métamorphoses du tyran, de la fleur de lys au bonnet phrygien.

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