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Critique de raton-liseur


Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas allée me promener en Colombie par livre interposé. Il me semble que la dernière fois, c'était avec Hector Abad et L'Oubli que nous serons, le récit véridique de l'assassinat d'un médecin engagé pendant les années noires de la Colombie de la drogue et du crime. Incidemment, les deux livres se passent à Medellín, c'est une intéressante coïncidence. Mais cette fois, je me suis retrouvée de l'autre côté de la barrière, et c'est d'ailleurs ce qui m'a intéressée dans ce livre et qui m'a décidée à le demander lors de la dernière masse critique de Babelio. Ce n'est pas tous les jours que l'on regarde du côté des méchants, et même pas tout à fait des méchants, puisqu'il est question ici de comment les choix d'un méchant affectent la vie de leur proche.
Le méchant, ici, c'est Libardo, un proche de Pablo Escobar, qui sera entraîné dans la chute de celui-ci. Il disparaît, quelques mois après l'exécution de ce dernier, de ces disparitions qui laissent peu de doute mais après lesquelles on ne peut s'empêcher d'espérer. Et douze ans après, Libardo resurgit, on a retrouvé son cadavre, ou du moins ce qu'il en reste. Larry, le principal narrateur de cette histoire, est le second fils de Libardo. Exilé en Angleterre, il revient à Medellín pour s'occuper des restes de son père.
Trois lignes narratives se mêlent dans ce livre : les premiers jours suivant le retour de Larry à Medellín, les quelques mois qui ont vu la chute de Libardo et enfin le récit du vol de Larry de Londres à Bogotá. Trois moments d'une histoire pour dire la douleur et le deuil, la culpabilité et l'ambivalence aussi. Comment aimer son père quand on sait qu'il a autant de sang sur les mains, mais aussi comment ne pas l'aimer ? L'ambiguïté d'une relation père-fils qui ne peut être normale. L'improbable vie familiale d'un homme haï par tout un continent, l'incongruité d'une vie entourée de gardes du corps, d'un luxe sans limite toujours teinté d'une violence plus ou moins exprimée.

Ce fut une lecture intéressante. Un peu difficile je dois l'admettre, mais intéressante. Difficile parce que son style reflète toute la pesanteur du sujet. Et Jorge Franco n'hésite pas à charger la mule (non, pas de jeu de mot ici…). La famille Libardo est dysfonctionnelle, mais ce n'est pas qu'à cause du père narco, la mère n'est pas non plus très nette. Ancienne reine de beauté, accro au jeu, ne se refusant jamais un verre et développant une relation plutôt malsaine avec ses enfants, on se demande si c'est le meilleur parent qui est resté. Et puis les amis de Larry n'ont pas grand-chose de recommandable non plus.
Cette mule un peu trop chargée à mon goût a fait que ce que j'espérais être le sujet principal du livre, à savoir « qu'est-ce que c'est que vivre avec la figure d'un père narcotrafiquant notoire », m'a paru un peu dilué dans tout un tas de sujets annexes, ce qui m'a déçue je dois l'avouer. Mais à la réflexion, ce livre est l'oeuvre d'un écrivain colombien, qui plus est originaire de Medellín, et il est avant tout destiné à des lecteurs colombiens, qui ont une bien meilleure connaissance de ce sujet que le lecteur européen moyen. Vu sous ce prisme, ce livre est peut-être avant tout une évocation de Medellín, celle d'alors et celle d'aujourd'hui, une réflexion déambulative sur ce qui a changé et ce qui n'a pas changé.
Il m'a fallu faire quelques recherches pour mieux comprendre le livre et il me semble intéressant de savoir que l'Alborada (littéralement l'aurore) est une fête qui existe effectivement à Medellín depuis une quinzaine d'années environ. Dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre, des feux d'artifices sont tirés dans la confusion la plus totale pour soi-disant accueillir décembre. C'est en fait une tradition récente issue d'un épisode des guerres entre narcotrafiquants. En situant le retour de Larry à cette date précise, Jorge Franco nous amène à nous demande si l'ère du narcotrafic est bien derrière nous.
Et puisque j'en suis aux recherches, il apparaît qu'il a bien existé un Libardo dans l'entourage de Pablo Escobar. Mais il n'a pas disparu, il a été arrêté. Je n'ai trouvé que des photos de lui de dos dans les articles en ligne qui lui sont consacrés, c'est très étrange...

En définitive, un livre que je suis contente d'avoir lu. Complexe, sombre, dérangeant, il faut y être préparé. Un livre qui ne répond pas à toutes les questions, mais qui en posent beaucoup, qui fait découvrir tout un pan de l'histoire récente que l'on voudrait croire refermé, mais les blessures sont encore là, rarement bien cicatrisées, et les héritages aussi, plus ou moins assumés, plus ou moins conscients, pleins d'une ambiguïté impossible à dépasser.
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