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EAN : 9782897114442
177 pages
Druide (04/09/2018)
3.67/5   3 notes
Résumé :
Ophélie, enfant unique, a reçu une solide éducation catholique dans un pensionnat pour filles. Lorsqu’elle fait la rencontre de Sandra, danseuse nue en manque de tendresse, elle en perd rapidement son innocence. Sandra devient la grande soeur qu’elle n’a jamais eue, entraînant Ophélie dans les milieux glauques de Montréal. Djamila, fille d’immigrés algériens, élevée dans la tradition musulmane, les fascinera. Inséparables, les trois filles plongent sans retenue dans... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Matin pénible, chambre minuscule, murs lancinants. Un down d'enfer! Atterrissage arrache-nombril sur le ventre. Déprimant. L'air ambiant d'une chaleur éprouvante. Mes dents claquent. Chaud-froid. J'ai faim? Soif? J'attrape un fond de verre de vodka-orange sur la table de chevet, je cale. Sandra dort comme un béluga qui manque d'air. (p. 29)


Ce paragraphe, sélectionné un peu au hasard parmi 177 pages de partys, de luxe et de prostitution, résume plus ou moins l'intrigue de ce premier roman de Virginie Francoeur. Trois jeunes filles élevées dans de riches familles conservatrices se plaisent à donner des pipes à des hommes mariés en échange de voyages dans le sud, en profitant de chaque instant d'oisiveté pour popper des « jelly beans », surnom affectueux qu'elles donnent à la MDMA. Contrairement à ce que prétend l'auteur du communiqué de presse préparé par les éditions Druide, les modèles féminins proposés par ce récit sont loin d'être « variés », à moins de considérer le critère physique comme étant révélateur de cette « diversité » : après avoir connu certains jours de gloire au club de danseuses, Sandra est désormais couverte de bourrelets ; Ophélie se désole de sa maigreur et garde depuis l'école primaire un complexe sur sa peau blanche, son absence de seins et ses taches de rousseur, et Djamila est une « Shéhérazade » envoûtante qui semble tout droit sortie d'un tableau orientaliste du XIXe siècle.

On me dira que ce roman n'est peut-être pas du genre à être lu pour l'intrigue et pour le portrait psychologique complexe de ses personnages, et qu'il faut plutôt rechercher le plaisir de lecture du côté de sa construction formelle et de la beauté de sa langue.

On aura beau aborder ce récit avec de la bonne volonté, en passant par-dessus les comparaisons mal inspirées (le « béluga » revient à quelques reprises), il est difficile de conclure que ses dialogues seraient « marqué[s] tantôt par la démesure, tantôt par la magnificence[1] ». Les trois BFF qui figurent au centre de ce Hangover au féminin s'expriment de la même façon, et il serait très difficile de les différencier si l'auteure ne leur avait pas appliqué quelques tics de langage. On a tôt fait de s'apercevoir que la fille d'immigrants algériens qui « fascinera » Ophélie et Sandra appelle systématiquement ses amies Habibi; que Sandra se méprend toujours sur la nationalité de ses interlocuteurs, comme en témoigne un passage où elle tente de convaincre un jeune Belge qu'il est forcément musulman, puisqu'il a l'air arabe (« T'es arabe, mon tipitte, c'est la même affaire. Euzôtes y lisent toutes le Couran », p. 45), et qu'Ophélie est trop occupée à penser à son passé de pensionnaire catholique pour intervenir outre mesure dans les conversations.

J'ignore quel est le lectorat visé par cette primo-romancière qui a déjà fait paraître deux recueils de poésie (Encres de Chine et Inde mémoire) et un essai (Leadership machiavélique). Il n'est certes pas facile de changer de genre littéraire, et sous des apparences parfois faciles, l'écriture romanesque constitue un exercice extrêmement exigeant. Les aspects les plus irritants de cet ouvrage s'expliquent peut-être par le fait qu'il s'adresse de prime abord à un lectorat adolescent, ce qui contribuerait à justifier la hachure des phrases — qui décrivent très souvent des impressions sensorielles -, la simplification psychologique de ses personnages, et les répétitions stylistiques. Je ne crois pas cependant qu'il s'agisse là d'une bonne stratégie pour raviver l'intérêt des « jeunes » envers la lecture.

Cela dit, bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis que j'ai fait paraître la recension de cet ouvrage dans le webzine de critique littéraire La Recrue du mois en 2018. Outre la pandémie, il y a eu tout d'abord la controverse qui a éclaté suite à la critique que Christian Desmeules a publiée sur Chienne de Marie-Pier Lafontaine, et la république de Sara Hébert et Daphné B, sur le blog Filles missiles, qui mettait en lumière les biais que la critique littéraire adopte trop souvent à l'égard des publications rédigées par des femmes, qui ne sont pas soumises aux mêmes types de jugements de valeur que les publications dites plus « mainstream », rédigées par des hommes. La littérature intimiste, moins connue, est plus souvent l'apanage des autrices, dont la visibilité et le rayonnement dépendent d'une réception critique qui méconnaît trop souvent la tradition littéraire dans laquelle s'elles inscrivent:

« le problème, c'est peut-être que Chienne s'inscrit dans un pan de la littérature qui vous est inconnu, ou pour lequel vous avez visiblement des préjugés : c'est un livre féministe. Vous condamnez ce livre, comme vous avez auparavant jugé grossièrement Thelma, Louise et moi, de Martine Delvaux et nombre d'autres livres de nos consoeurs.
Nous pensons qu'il est important que vous élargissiez vos horizons de lecture et d'analyse. (…) Cela nous semble très maladroit, voire insouciant ou cruel, d'employer le mot « facilité » pour parler du livre de Lafontaine. S'il est à nos yeux ficelé avec justesse et habileté, nous avons peine à imaginer le courage et la difficulté qu'a dû commander l'écriture de ce récit. Nous déplorons que les atrocités et la violence vécues et décrites par l'autrice se retrouvent minimisées par le poids d'un jugement aussi réducteur. » [2]

Depuis, il y a également eu la publication de l'étude Quelle place pour les femmes dans le champ littéraire et dans le monde du livre au Québec ? commandée par l'UNEQ pour faire une première mise au point sur la parité hommes-femmes dans le milieu littéraire québécois, qui a révélé ce que trop de gens savaient, hélas… c'est-à-dire que la parité est très loin d'être atteinte :

« Au Québec, les manuscrits des femmes sont moins publiés que ceux des hommes (37 % contre 54 %). Leurs oeuvres reçoivent moins d'attention critique (37 % contre 58 %), même dans les genres tel le jeunesse, perçus comme leur apanage. On parle de leurs textes en d'autres mots, adoucis, moins percutants (voir encadré). Selon l'étude, « si les femmes semblent avantagées en regard du nombre de bourses, [...] [celles qu'elles] reçoivent sont plus petites que leurs confrères (elles reçoivent 50% des montants globaux, mais sont plus nombreuses à se les partager). » [3]

Aujourd'hui, ce sont des choses que je garde à l'esprit quand je lis des ouvrages écrits par des autrices, en me demandant dans quelle mesure mes critiques peuvent être conditionnées par ce contexte défavorable aux autrices. Est-il possible que celle-ci me pousse à adopter un regard plus critique envers la littérature féminine? Pour tenter de lutter contre ce biais, il pourrait être intéressant par exemple de relire Jelly bean à la lumière des Carnets de l'underground de Gabrielle Cholette, paru cette année dans la collection Queer chez Tryptique, un roman qui, comme le souligne Caroline Allard, livre des expériences très similaires à celles des personnages de Virginie Francoeur :

« Né d'une rencontre heureuse sur Grindr – une application grivoise pour les personnes gaies – entre le doctorant en littérature médiévale Gabriel Cholette et l'illustrateur Jacob Pyne, Les carnets de l'underground nous emporte dans l'univers des boîtes de nuit new-yorkaises, berlinoises et montréalaises, aux côtés de personnages exaltés, toujours en recherche d'adrénaline. » [4]

Ce qui est bien certain, c'est qu'après un an de mesures sanitaires strictes qui ont mis un terme, du moins pour l'instant, à la vie nocturne montréalaise, je ne serais pas portée à poser le même regard sur le premier roman de Virginie Francoeur. Pour le public de 2021, celui-ci a désormais une saveur historique qui nous laisse avec une profonde nostalgie pour une époque où l'on pouvait facilement réserver un billet d'avion vers une destination du sud, voir ses amis sans se soucier de la distance qu'il convient de conserver d'un groupe et d'une personne à l'autre, et où la danse était si accessible... Je crois que, pour cette raison, la lecture me semblerait aujourd'hui plus agréable, en dépit des choix d'écriture qui m'ont fait regretter que les personnages n'ont pas été pourvus d'une psychologie plus complexe.

[1] « Portrait d'une génération en mal de repères, Jelly bean offre une prose authentique et dénuée d'inhibitions. Un texte où se côtoient obsession de la beauté et modèles féminins variés, dans un dialogue marqué tantôt par la démesure, tantôt par la magnificence. Grâce à une langue crue qui invite le lecteur dans une proximité où les sensations sont exacerbées, Virginie Francoeur propose ici un premier roman explosif. »

[2] Sara Hébert et Daphné B., « Lettre à Christian Desmeules », Filles missiles [date de publication non spécifiée sur le site], https://fillesmissiles.com/post/187730880002/lettre-à-christian-desmeules

[3] Catherine Lalonde, « le livre québécois privilégie un genre », le Devoir, 22 novembre 2019 : https://www.ledevoir.com/culture/567632/edition-le-livre-quebecois-privilegie-un-genre

[4] Caroline Allard, « Les carnets de l'underground et le désir d'exulter », Radio-Canada, 4 février 2021 : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/plus-on-est-de-fous-plus-on-lit/segments/chronique/342173/carnet-underground-gabriel-cholette

Lien vers l'article d'origine paru dans le webzine de critique littéraire La Recrue du mois : FRANCOEUR, Virginie. Jelly bean, Montréal, Druide, 2018, La Recrue du mois, 18 octobre 2018, https://medium.com/larecrue/jelly-bean-un-hangover-décevant-4d63eaf9df74.
Lien : https://mirunatarcau.wixsite..
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
J’étais vêtue d’une jupe à carreaux rouges et noirs. Le Rouge et le Noir… le titre d’un roman de Stendhal, me répétait sans cesse le plus hurluberlu des poètes du groupe. Je l’aimais bien, celui-là. Il était le seul à m’écouter réciter jusqu’au bout. Quand j’avais terminé ma lecture, il me demandait souvent de m’asseoir près de lui. Avec ses grands yeux pers vers nulle part, il m’aidait à prononcer les mots des poèmes. Il disait que j’étais très intelligente, que je pourrais faire du théâtre si je continuais à réciter avec lui. Il croyait en moi et j’étais amoureuse pour la première fois. Pendant ce temps, mon père ne se doutait pas de cette amitié avancée avec son meilleur ami. Bien trop occupé à cruiser Josée. Elle, c’était la blonde de l’autre écrivain, le poète tatoué québécois qu’on appelait Langue de Feu. J’étais trop jeune pour comprendre, mais j’étais certaine que ce n’était pas normal, ce truc-là. Il ne la regardait pas comme… C’était plus doux avec elle. C’est peut-être pour ça que ma mère a foutu le camp… Ça m’avait décrissée d’aplomb !
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Je pensais qu’un jour les choses allaient enfin changer. J’entends encore les gars rire de moi dans la cour d’école, se moquer de mon visage rousselé, de mon corps frêle, de mon appareil orthodontique et, surtout, de mes longues jambes comme celles d’Olive, la blonde de Popeye le vrai marin. Lorsqu’on jouait à la tag-BBQ, je me forçais pour ne pas courir trop vite. Pour que le beau William m’enligne dans son collimateur, pour qu’il m’embrasse, mais personne n’attrapait jamais Ophélie. Personne ne voulait embrasser ma bouche de broches barbelées. Tout le monde courait après la belle Liliane qui était déjà mieux shapée et plus grande que moi. Les garçons convoitaient sa poitrine déjà évidente. Elle paraissait quinze ans à douze ans, comme Brooke Shields.
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Son père, très cultivé et lettré, l’obligeait à lire les grands philosophes. Son préféré, Rumi : « Hier, j’étais intelligent et je voulais changer le monde. Aujourd’hui, je suis sage et je me change moi-même. » Et Djamila, à sa manière : « Hier, j’étais intelligente et je voulais changer le monde. Aujourd’hui, je suis encore plus intelligente et je veux posséder le monde. » Elle s’esclaffait d’un rire excessif. Djamila n’avait rien à glander des écrivains, elle les lisait uniquement pour faire plaisir à son père autoritaire et paraître éduquée devant son Joshy.
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Bientôt, j’aurai une poitrine siliconée et les choses vont changer. Oh silicone dream ! Big boobs pour Pedro mon cowboy. Grouille-toé mon Pedro, comme dirait Sandra, sinon je vais te la chanter, la chanson du bye-bye mon rodéo. Avec Cherry, tu vas l’avoir ta p’tite vie western de Saint-Tite, pain blanc tranché sur le comptoir de cuisine de votre semi-détaché à venir, piscine hors terre dans la cour arrière avec juste assez de place pour le BBQ Canadian Tire. C’est ça qui t’attend, mon Pedro ollé ollé, mon amour sombrero, bebye mon héros de rodéo !
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J’ai envie de me cacher, de décamper, de fuir cette fille que je suis devenue. J’ai pus faim pantoute ! Les pieds enduits de Krazy Glue : je ne peux ni avancer, ni reculer, ni m’envoler… coincée en file indienne. Il fait tellement chaud, je sue comme une obèse en chaleur.
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Videos de Virginie Francoeur (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Virginie Francoeur
Le 15 mars dernier, Virginie Francoeur et Pasval Paillé étaient à la librairie Pantoute pour discuter de la publication de leur nouvel «Leadership machiavélique».
Pour plus d'information sur le livre, visitez sa page ici ? https://www.pulaval.com/produit/leadership-machiavelique
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