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Johann Chapoutot (Autre)
EAN : 9782271131355
232 pages
CNRS Editions (13/02/2020)
4.3/5   5 notes
Résumé :
Le Matin des magiciens de Pauwels et Bergié (1960) a fait naître l'idée qu'une société secrète aux pouvoirs étendus, la " société Thulé ", aurait été le centre caché et ignoré du nazisme. L'influence de ce groupuscule bien réel n'est pourtant qu'un fantasme, un mythe.
Stéphane François, historien spécialiste du néonazisme, revient sur cette construction spéculative, ses origines, son bricolage idéologique et les pratiques qui ont réussi à former u... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Le thème de l'occultisme nazi et de ses répercussions réelles ou prétendues a donné lieu à une littérature considérable, tant sous forme d'essais scientifiques ou à prétentions scientifiques que de fiction, romans, BD, jeux vidéo.
Dans ce domaine, on trouve d'indéniables réussites. (Je citerai la tétralogie du Château des Millions d'années" de Stéphane Przybylski ou celle du "Siècle des Chimères" de Philippe Cavalier.
L'oeuvre de Stéphane François constitue une excellente synthèse critique sur la question, qui joue un rôle demythificateur bienvenu.
L'expression"occultisme nazi" recouvre deux phénomènes interdépendants mais distincts.
Tout d'abord l'occultisme nazi tel qu'il a existé dans l'histoire. Selon l'auteur, l'importance du phénomène a été très largement surestimé. Dans l'Allemagne du début du vingtième siècle, il existait des centaines de mouvements"volkisch" (terme difficilement traduisible, designe un mélange de folklore, d'exaltation de la nation allemande et de la race germanique à travers des mythes divers. Pendant ses années de formation, Hitler a côtoyé un certain nombre de ces groupes, qui étaient très présents dans les milieux nationalistes et d'extrême-droite, mais sans jamais en être membre. Certains de ces groupes ont participé à la création du parti national-socialiste mais sans y jouer un rôle majeur ni en être les inspirateurs. Un certain nombre de dirigeants nazis, Himmler le premier, avaient des convictions occultistes. Mais d'autres, tels que Goebbels, Goering, Speer, se moquaient de leurs théories. Et Hitler lui-même n'a cru à aucune théorie occultiste, ne se privant pas de les moquer et ridiculiser en public. Comme l'explique Johann Chapoutot dans la préface, il existait des nazis occultistes, comme il existait des nazis philatélistes. Et cela n'allait pas plus loin quant aux liens entre les deux phénomènes et de la prétendue influence de l'occultisme sur le nazisme.
Le deuxième acte du sujet est l'ensemble des thèses contemporaines selon lesquelles les sectes et les théories occultistes seraient les inspiratrices et les créatrices du nazisme et auraient joué un rôle majeur dans son histoire et son évolution.
L'auteur fait remonter ces croyances à l'ouvrage fondateur de Bergier et Pauwels "le matin des magiciens". Cet ouvrage, bien écrit et d'une lecture agréable (Pauwels avait un passé littéraire estimable) a eu un retentissement considérable et puis seulement en France, ainsi que la revue"Planète" revue " de bibliothèque" éclectique et d'une facture technique de qualité. Il convient de préciser tout de suite que Bergier et Pauwels sont innocents des déviances néo-nazies du mouvement d'opinions qu'ils ont créé, et qu'il convient de préciser que Bergier était juif et ancien déporté.
En effet une somme d'ouvrages considérable parut dans les années suivantes ( et la vogue n'en est pas épuisée) émanant d'une mouvance comparable finalement aux anciennes sociétés volkisch, sans aucune filiation directe ou indirecte bien sûr. Dans ces groupuscules, on trouve de tout, mais essentiellement du néo-nazisme plus ou moins dissimulé, avec des ouvrages écrits par d'anciens SS français, tel Saint-Loup, et leur participation active. L'occultisme nazi permit en effet à un certain nombre de gens ayant un lourd passé dans ce domaine de reprendre pied dans le débat public. L'antisémitisme, mère de tous les complotismes et esoterismes, est bien sûr au rendez-vous. Les théories les plus échevelées cohabitent dans cette galaxie : extra-terrestre, refuge nazi dans l'Antarctique ou sur la lune, soucoupes volantes nazies, confréries de maîtres du monde basées dans l'Himalaya,terre creuse...toute tentative d'inventaire serait vaine.
Bien entendu la complosphere sur le net a profité de l'aubaine.

Ce livre, qui fait le tour de la question, est indispensable pour se faire une idée précise du sujet traité et de la montagne d'idées fausses qu'il traine dans son sillage.
L'auteur est un des grands spécialistes du sujet, et la deuxième partie reprend un certain nombre de ses articles.
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J'ai découvert ce livre sur le passionnant blog Fragments du Temps Présent, sorte d'observatoire des droites extrêmes (mais pas seulement) rassemblant des universitaires tels Stéphane François (auteur de ce livre), mais aussi Nicolas Lebourg et Jean-Yves Camus.

Depuis les années 1960 s'est développé dans l'imaginaire populaire un lien entre l'occultisme et le nazisme, comme si l'on ne pouvait expliquer l'arrivée au pouvoir et le Reich d'Hitler que comme la manifestation d'une puissance supérieure, divine ou du moins ésotérique. Dans ce livre, Stéphane François s'attache justement à montrer que l'occultisme n'a rien à voir dans la montée du NASDAP ou même la politique menée par Adolf Hitler. Il y avait bien des hauts gradés (notamment Rudolf Hess et Heinrich Himmler) férus d'occultisme, mais ils passaient selon l'auteur plus souvent pour des hurluberlus que pour des prophètes au sein même du parti.

En fait, l'auteur explique que ce rapprochement est dû à une mode éditoriale succédant à la publication du Matin des magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier. Ces deux auteurs avaient en effet imaginé une persistance du Reich après la guerre, et peut-être même la survie d'Hitler. Comme si tout ça n'avait pu s'arrêter en 1945. Une idée qui plu évidemment aux anciens dignitaires du parti, aux nostalgiques et anciens SS - ce qui s'avère plutôt ironique quand on sait que Jacques Bergier a lui-même été déporté. Aussitôt, des dizaines d'auteurs s'engouffrent dans la brèche, pour continuer et transmettre les savoirs prétendument occultes du nazisme (sur l'origine de l'humanité, la technologie des soucoupes volantes, etc.).

Voilà un ouvrage fort intéressant pour qui s'intéresse à l'histoire en général, et aux "intellectuels" et autres personnages farfelus gravitant autour du parti nazi. Car loin de se contenter d'un réquisitoire, Stéphane François retrace l'histoire détaillée du IIIe Reich, de ses influences idéologiques, mystiques, religieuses, et de ses continuateurs. Si la première partie souffre un peu de son côté parfois parcellaire (puisqu'il s'agit d'un ensemble d'articles réunis ici pour la première fois), qu'on aimerait par exemple en savoir plus sur les auteurs du Matin des magiciens (dont l'assez fascinant Louis Pauwels), la deuxième partie s'avère édifiante, avec les portraits d'intellectuels et de zigues plus ou moins recommandables (plutôt moins que plus, en fait) : Julius Evola, Jean-Paul Bourre, Whilelm Landing, Miguel Serrano et d'autres...

Une réussite, qui donne envie d'encore creuser la question de la survivance du nazisme et de ses "penseurs" aujourd'hui.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Extrait de la préface par Johann Chapoutot

Il le fait ensuite en dissipant des mirages. Son objet, dans les essais que l’on va lire, est l’« occultisme nazi ». Stéphane François montre admirablement que ledit occultisme est un mythe (nécessaire, comme tous les mythes) qui est postérieur à 1945. Autrement dit, s’il y eut des occultistes dans les rangs nazis, comme il y eut des philatélistes et des dentistes (mais, en l’occurrence, il y eut moins d’occultistes que de collectionneurs de timbres ou de stomatologues !), ceux-ci n’eurent aucune espèce d’influence ou d’efficace. Pour avoir un peu travaillé sur la question, j’ai pu m’apercevoir que si quelques mages autoproclamés croisaient dans les eaux troubles du Reichsführer SS Heinrich Himmler, leur réel pouvoir se bornait aux goûters partagés avec leur ami, esprit faible porté sur le mystère. Himmler induisait de ses conversations de salon de thé des idées fulgurantes sur la fécondation des femmes germaniques ou sur le nez grec, dont il faisait immédiatement part à ses services sous la forme d’instructions aussi urgentes que comminatoires. Lesquels services répondaient poliment que, oui, bien sûr, il en serait fait selon ses désirs, avant de glisser la dernière lubie de leur chef dans le tiroir expressément dévolu à cet effet.
La postérité, c’est-à-dire nous, entre autres, tient pourtant à cette thèse occultiste. La raison en est aussi simple que celle qui poussa les premiers homo sapiens à subodorer, derrière la foudre ou le vent, quelque entité numineuse, quelque divinité puissante : Nihil est sine ratione – il y a une raison à tout. Et lorsque cette raison excède notre faculté rationnelle – parce que le phénomène est trop terrifiant, exorbitant, sidérant –, on en fabrique une pour notre confort, notre contentement ou notre consolation
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Sur la notion de "chercheurs indépendants", chère aux milieux complotistes, et leur mode de pensée: ces cultures marginales sont peu étudiées d’un point de vue universitaire. La grande majorité de cette littérature pseudo-scientifique est le fait de « chercheurs indépendants », très souvent peu rigoureux, et il s’agit d’une litote. Ces personnes sont guidées par le désir de tout expliquer, y compris (et surtout) par des spéculations irrationnelles ou pseudo-scientifiques. Ces auteurs sont en outre attirés par le sensationnalisme. Enfin, ils ne respectent pas les règles élémentaires de la recherche scientifique : ils préfèrent l’autocitation ou la citation d’auteurs proches plutôt que les références solides et pertinentes ; ils sélectionnent donc leurs citations en fonction de leurs convictions plutôt qu’en fonction de leur intérêt scientifique ; outre les simples erreurs (dont personne n’est à l’abri), ils pratiquent l’omission ou le renvoi inexact ; ils font un usage spécieux des sources et pratiquent la citation inexacte (non-respect de la citation en soi ; citation erronée d’un auteur ou d’un texte, etc.) ; enfin, ils ont une fâcheuse tendance à convertir les spéculations en faits établis, etc.

Leur objectif est de saper les fondements moraux et idéologiques d’une société qu’ils détestent en cherchant à diffuser, en banalisant, leurs thématiques.
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Dans le cas nazi, il reste difficile d’envisager cette perspective simple, et fondatrice des sciences humaines : les nazis furent des êtres humains qui évoluèrent dans un univers de sens et de valeurs, qui affectaient leurs actes d’une signification et qui agissaient pour satisfaire leurs intérêts. C’est difficile, en effet, car l’intensité et l’extension des crimes nazis est inédite et inouïe dans l’histoire de l’humanité. Il fallait donc exclure les nazis de l’ordre humain pour attribuer leur comportement à une causalité infra-humaine (animale, barbare…), para-humaine (folie) ou supra-humaine (possession démoniaque…). C’est là que l’occultisme trouve tout son sens et tout son emploi. Certains y croient : des forces noires, invoquées et convoquées par des mages quelconques, se seraient bel et bien saisies de ces hommes pour en faire des monstres. D’autres sont plus sérieux : l’occultisme était tellement présent dans les rangs nazis que militants et criminels y ont cru, au point de réaliser des horreurs dignes des plus belles possessions médiévales. Il n’en est rien. Stéphane François, en reprenant le dossier, décape l’étude du nazisme de ce vernis misérable – tout en montrant la force structurante du mythe chez les néo-nazis et autres sectateurs d’extrême droite. Voilà deux bonnes raisons, au moins, de lire son livre.
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Toutefois, Hitler se moquait lui aussi ouvertement des « lubies » des Völkischen, en particulier dans Mein Kampf, ainsi que de celles de Hess et d’Himmler, bien qu’Hitler fût qualifié en 1921 de « frère armane », c’est-à-dire qu’il était considéré comme un membre de la communauté païenne völkisch, par un médecin de cette nébuleuse, Babette Steininger{77}. Les « lubies » ésotérisantes et völkisch d’Himmler exaspéraient d’ailleurs de plus en plus le Führer et il dut donc, à partir de 1938-1939, les assouvir sous « le manteau » pour reprendre une expression de Peter Longerich, dans le cadre de l’Ahnenerbe (Institut Héritage des ancêtres ou l’Institut de la recherche ancestrale – les traductions varient), qui était l’institut de recherche de la SS et dont nous parlerons plus longuement plus loin dans ce livre{78}.
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Video de Stéphane François (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Stéphane François
Nazisme et occultisme, entre mythes et histoire. Stéphane François, politologue, Didier Le Masson, spécialiste de la franc-maçonnerie allemande et Philipe Valode, auteur et historien, s'interrogent autour de cette table ronde sur la réalité et la prégnance des idées occultistes dans la doctrine nazie. Autour d'Emmanuel Kreis, doctorant EPHE.
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