UN JEUNOT DE 60 BALAIS !
Certains personnages semblent devoir être immortels. Serait-ce la cas de ce bon vieux Gaston, Lagaffe de son patronyme, créé un jour de février 1957, jeune et irrésistible employé de bureau (parfaitement inutile, au demeurant), farfelu fainéant émargeant pour le compte des éditions Dupuis et de son Journal de Spirou ? C'est fort possible car ils sont finalement peu nombreux ces petits héros ayant ainsi traversé âges et générations, et donnant l'occasion régulières à commémorations et hommages. Ces personnages de papier qui perdurent après plusieurs générations de lecteurs, jeunes ou moins jeunes, sont d'autant plus rares s'ils n'ont pas connu, comme Lucky Luke, Boule et Bill, Les Schtroumpfs, Spirou et autres Astérix, d'héritier, de continuateur après le décès ou la passation d'un auteur à un autre
Assurément, l'inénarrable, le fantasmagorique, l'irrésistible rêveur de première classe Gaston semble devoir être de ce petit cercle-là.
Voici donc, sous la plume et le dessin d'une soixantaine d'auteurs et de dessinateurs, un album consacré à ce petit héros tellement modeste, dont on peut avouer sans s'en offusquer qu'il n'a jamais rien fait d'incroyable de sa pourtant belle existence, mais qui est, paradoxalement, un personnage en tout point extra-ordinaire, surtout si l'on songe à notre époque utilitariste, consumériste, rationnelle (même dans l'irrationnel), pratique, calibrée... Gaston est, à peu de choses près, l'inverse exact de tout cela, et c'est pour cette même raison qu'il nous est si attachant.
Bien entendu, chaque dessinateur, chaque scénariste est venu ici avec sa propre pâte, ses propres intentions et inventions. Certains d'entre eux sont ans la pure révérence, parfois même dans l'imitation tellement exacte qu'à quelques détails près, on pourrait croire à un inédit du regretté
Franquin (voir l'hommage éblouissant d'exactitude de
Delaf, p.28), d'autres, plus nombreux, plie notre petit anti-héros à leur propre style, pour le meilleur - souvent - ou pour du moins réussit - pas tant que cela - mais au bout du compte, l'ensemble se tient assez bien dans la mesure où, plus que le dessin ou les tournures et gags du maître créateur belge, c'est l'esprit même de ses albums qui est, globalement, respecté.
Les amoureux de Gaston retrouveront donc avec plaisir ce cher Gaston, évidemment, mais aussi l'éternelle groupie, Mlle Jeanne, Prunelle et Fantasio toujours aussi excédés, comme de bien entendu, Jules de chez Smith en face aussi, Lebrac et Cie ainsi que l'imposant, insupportable et incontournable Amédée Demaesmeker, accompagné de ses incertains contrats. On regrettera peut-être que l'agent Longtarin fut presque totalement oublié, de même que le grand dépressif Labévue mais en compensation, on découvrira enfin ce M. Dupuis que
Franquin ne nous a jamais fait découvrir autrement que par la voix à travers une porte de bureau. N'oublions pas, bien évidemment, l'improbable Gaffophone©, la mouette, le chat, la célèbre Fiat 509 et toute une série d'invention, reprises ou crées pour l'occasion.
Un ouvrage hommage inégal sans doute, mais qui tient ses promesses - faire sourire et même parfois rire - tout en permettant de maintenir le souvenir de ce petit bonhomme essentiel, quasi météoritique dans son genre et dans le monde de la bande-dessinée supposément jeunesse. Bravo à tous (et même à ceux que j'ai moins aimé...) !