"Jerry Spring" est une vénérable série de bandes dessinées réalisée par l'auteur belge
Jijé alias Joseph Gillain, mais aussi malgré son âge une honorable saga western puisqu'elle a inspiré "Blueberry" du tandem Charlier / Giraud et "Comanche" du tandem Greg / Hermann, deux fleurons du genre !
Tout a commencé en 1955, et forcément la série a vieilli : le ton moralisateur car destiné à la jeunesse, la narration pulpienne avec ses rebondissements incessants et ses deus ex machina en veux-tu en voilà, le héros WASP propre sur lui et pétris de bons sentiments, que tout le monde connaît et que tout le reconnaît à sa chemise jaune canari et à son pantalon bleu horizon, le side kick ethnique catalogue ambulant des clichés sur les basanés, les demoiselles en détresse oscillant entre fausse stong independant women et véritables pimbêches à couettes… Mais pas tant que ça en fait : le héros sait ruser à l'image des anti-héros de western spaghetti, l'opposition entre Blancs et Peaux-Rouges n'est pas traité de manière manichéenne et la psychologie des personnages gagne en profondeur à l'image des thèmes traités au fil des tomes...
En fait ce qui tire vraiment la série vers le bas, c'est qu'on est historiquement à la croisée des chemins entre le western classique naïf et conservateur d'un côté, le western moderne plus réaliste et plus engagé d'un autre côté… du coup, outre la construction du récit entre deux styles un peu étrange parfois, il pâtit de la comparaison avec ses héritiers mieux connus et donc plus prestigieux. Pour autant, je ne boude pas mon plaisir à l'image d'un bon vieil épisode de la saga "Winnetou" ! ^^ (20 livres et 10 films : alors que les nationalismes, les impérialismes et les colonialismes se montaient le bourrichon pour aller où nous savons, un Français et un Allemand portaient à bout de bras une histoire d'amitié entre un Amérindien et un Occidental)
Ce tome 22, intitulé "Colère apache", a été réalisé non par
Jijé mais par le duo Franz et Festin. Et c'est un très bon tome !
Jerry Spring est agent du gouvernement délégué aux affaires indiennes à Tucson dans l'Arizona, et il essaye désespérément de redonner sa fierté au peuple apache, mieux lui offrir un avenir sans haine ni violence, sans mépris ni indifférence. Mais entre la jeune génération rouge révoltée qui a soif de vengeance et la vieille génération blanche raciste pour laquelle un bon Apache est un Apache mort, les faucons / vrais cons ne manquent pas et il y a fort à faire pour que ne repartent pas les feux de la guerre ! (mention spéciale au rentier du néant tiré du film jamesbondien "Tuer n'est pas jouer") Et il y a tragédie entre les rivaux Jerry Sring et Yanozha pour lesquels Sagozhuni ne sait pas choisir, sous le regard enamouré de narrateur des événements Sidney Carlton dont nous suivons les hésitations, les atermoiements et la descente aux enfers au cours de laquelle après avoir obtenu une seconde chance il rate de peu sa rédemption… Et évidemment tout se termine dans le sang et les larmes… (Pleurs)
Que de chemin parcouru depuis le tome 1 paru en 1955 ! Ici il n'y a rien à envier aux séries cultes des années 1980 avec un héros très proche de Blueberry, Thorgal, XIII... Les dessins réalistes et expressifs sont très réussis, mais ne sont pas forcément sublimés par la colorisation, mais en noir et blanc cela doit être un vrai régal. Si vous avez aimés les films "Le Soldat Bleu", "Jeremiah Johnson", "Little Big Man", "Danse avec les loups"… cette bande dessinée vous est chaudement recommandée.