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sur 73 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Titre original : ?
Titre français : A Ce Point de Folie - D'après l'Histoire du Naufrage de la Méduse
Traduction : Olivier Mannoni

ISBN : 9782081429406

Commencé sans grand empressement en raison de certains troubles de santé actuels, ce roman m'a littéralement aspirée par sa densité et son naturel. L'auteur précise qu'il ne s'agit pas d'une biographie mais d'une biographie romancée. Comme Géricault dans son inoubliable toile - plus même que le peintre puisque celui-ci se borne (et c'est largement suffisant) à nous dresser le portrait des malheureux qui périrent sur le radeau de la Méduse - Franzobel s'attache a brosser le portrait de chacun de ses héros (ou contre-héros ?) En cette dimension où une normalité déjà bien cruelle va se heurter de plein fouet à un instinct de conservation déchaîné, peut-on parler de héros ou de contre-héros ?

De lâches, en tout cas, on peut. A la courte paille, (dommage, ceux-là, on ne les mangera pas mais, d'un autre côté, ne risquions-nous pas l'empoisonnement ? ) nous tirons le capitaine de frégate Hugues Duroy de Chaumareys, quadragénaire qui a préféré émigrer pendant la Révolution et courir les tailleurs londoniens plutôt que de se battre jusqu'au bout, aux côtés d'un La Rochejaquelein par exemple, rentrer ensuite en France et y réintégrer l'administration des Douanes avant de se dire que, puisqu'un tel de ses aïeux avait fait une belle carrière dans la Royale, il se devait de suivre son exemple. Et son "ami d'enfance" - dont Chaumareys se demandera à un certain moment s'il l'a réellement connu durant l'enfance - Antoine Richeford.

Ce sont eux - le premier fut d'ailleurs condamné dans les formes par Louis XVIII - qui sont et resteront dans L Histoire les responsables, par leur incompétence, du naufrage de la Méduse, puissante frégate qui, entouré du brick L'Argus, de la corvette L'Echo et de la flûte La Loire, est chargé de rejoindre les comptoirs du Sénégal. Nous sommes en juillet 1816. Nous l'avons dit, La Méduse est un vaisseau puissant qui, bien que son capitaine n'ait plus navigué depuis l'Ancien Régime, distance assez vite les autres bâtiments. Chaumareys, royaliste à tout crin, de ceux qui n'ont "rien appris, ni rien oublié", est pompeux, arrogant et vous case des latinismes à chaque phrase. Il boit aussi, moins sans doute que son ami Richeford, mais surtout, au fond de lui, il doute de lui-même. Snob et plein de morgue, croyant que tout se règle par le nom et l'argent, au lieu de s'appuyer sur un solide trio de premiers officiers, lesquels ont à ses yeux le tort d'avoir servi Bonaparte, il en arrive à céder une bonne part de son autorité à ... Richeford, lequel se pare aussitôt du tricorne de capitaine et va accumuler erreur sur erreur.

A partir de là, si l'on fait abstraction de la façon très dure, voire impitoyable dont étaient traités les marins de l'époque, en France comme en Grande-Bretagne, et des hostilités qui, peu à peu, commencent à apparaître entre les membres des équipages et les passagers (La Méduse a, songez donc, l'honneur de transporter à Saint-Louis le futur Gouverneur des Colonies, accompagné de sa mégère d'épouse et d'une fille atteinte d'un angiome mais qui fera une "belle fin" en épousant l'un des premiers officiers bonapartistes), l'Absurdité, mais une absurdité meurtrière, et l'horreur s'installent à bord.

Incontestablement, Franzobel a du souffle, une bonne dose d'humour, noir ou pas, et la passion nécessaire au sujet on ne peut plus délicat qu'il traite. Ce sujet, ce n'est ni plus ni moins que l'abandon volontaire des plus misérables du lot sur un radeau, le fameux "Radeau de la Méduse", tout cela non par méchanceté d'ailleurs ou par mépris social : simplement parce que l'architecte du navire n'avait pas calculé le nombre exact de canots de sauvetage nécessaires ! Si le naufrage de la Méduse, était inévitable parce que Chaumareys a préféré se rendre aux "avis bacchiques" de Richeford, lequel ne connaissait rien à la Marine, que suivre les conseils éclairés de ses officiers, la tragédie des canots de sauvetage d'abord, puis celle du radeau en devenaient quasi obligatoires. Certes, à peu de choses près, les canots de sauvetage arriveront à St Louis avec le nombre de passagers qu'ils transportaient au départ. Mais, sur les cent quarante-sept laissés pour compte du radeau, seuls cinq survivront dont la majorité s'abîmera ensuite dans la Mort ou dans la folie. A deux exceptions près, le jeune Victor, qui avait voulu voir du pays, mais qui sera tout heureux, après l'horrible expérience de la Méduse, de rentrer dans des foyers confortables. Et le docteur Jean-Baptiste-Marie Savigny, second médecin sur La Méduse, personnage parfois très ambigu avec son obsession d'anatomiste, mais qui aura au moins le courage, revenu à terre, de rédiger une brochure sur les sinistres vérités du naufrage de la Méduse et les atrocités accomplies sur le radeau. Menacé de toutes parts, il maintiendra ses dires, brisera sa carrière dans la marine mais c'est grâce à lui qu'un certain Théodore Géricault aura vent de l'affaire et imaginera son inoubliable toile - laquelle n'eut pas l'heur de plaire à Louis XVIII. Peu importe, puisqu'elle figurera un jour en bonne place, auprès du Sacre de Napoléon Ier de David.

Signalons que, dès le début, la sinistre silhouette du maître-coq, Gaines, qui poursuit le jeune Victor de sa brutalité et de sa concupiscence, pourra apparaître comme la personnification du Mal à l'état pur, infiltré bien sûr sur le radeau où la Mort, une mort horrible, l'attend avec patience et probablement un profond dégoût. On peut y voir un "double", moins grossier et assurément méphistophélique, dans le personnage de Griffon.

Que dire de plus ? Sinon : lisez "A Ce Point de Folie" de Franzobel, auteur autrichien controversé, dit-on - on peut comprendre pourquoi - mais qui, comme Savigny, a au moins le mérite d'aller jusqu'au bout de ses convictions d'écrivain. Et aller au bout de ses convictions, ce n'est pas toujours facile, surtout avec un sujet tel que celui de la Méduse qui vous écrase brutalement la question en pleine figure :

- "Et vous, mes bons amis ? Pendant ces treize jours sur le radeau, sans aucun espoir, sans eau, sans nourriture, avec le soleil au-dessus de vous et les requins autour ... qu'eussiez-vous fait ?" ;o)
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Un roman passionnant sur le naufrage de la Méduse.
Nous suivons le départ de la Méduse et de tous ses passagés à destination de l'Afrique. Il y a beaucoup de personnages à suivre alors ce n'est pas toujours très simple mais au fur et à mesure de la traversée nous arrivions à nous faire une image et à comprendre le désastre vers lequel la Méduse se dirige...lorsque le bateau heurte le banc d'Arguin nous suivons alors les différents canots de sauvetages ainsi que la radeau (bien sûr il n'y avait pas assez de canots pour tut le monde, cela rappelle quelque chose non ?)...
Un désastre humain, les survivants seront marqués à tout jamais.
Une photographie d'une époque, un condensé de la société d'après Napoléon et pourtant on s'y retrouverait presque aujourd'hui...
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c'est un roman classique, riche et très bien construit. Il commence par l'évocation de deux survivants du radeau de la Méduse: le médecin de bord, amaigri, affamé, qui va dénoncer ce qui a pu se passer à bord, et un marin devenu fou, qui évoque Shakespeare (dont on apprendra que c'est son perroquet) et qui réclame Victor (un jeune homme qui a beaucoup souffert de ce voyage). Pour la suite du roman, un retour en arrière nous relate tout le voyage de la Méduse à destination du Sénégal, depuis le départ de Rochefort jusqu'au moment où le navire s'échoue sur un banc de sable, puis les longs jours où passagers mis dans des chaloupes... ou sur un radeau construit de bric et de broc, selon leur rang social, vont tacher de survivre. Des scènes difficiles de violence et de cannibalisme sont relatées... mais la violence était déjà présente à bord bien avant le naufrage: le cuisinier brute avec son aide, l'homme fouetté à mort pour l'exemple, l'incompétence avérée d'un capitaine pistonné et influençable, qui refuse d'écouter ses hommes pour ne pas remettre en cause son pouvoir... on a une représentation de la société française post révolution: ceux qui se réclament des Lumières et aspirent à une république face à ceux qui veulent garder leur richesse et leur privilèges. C'est un roman fait pour choquer, certes, mais bien actuel dans les problématiques qu'il soulève. L'auteur s'amuse par moments à faire des parallèles avec le Titanic et le regard des riches sur les pauvres (les migrants)n'a pas tant évolué depuis le 19e siècle...
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Ce n'est pas un livre trash que nous offre ici Franzobel, c'est un livre humain.
Oui, humain.
Mais dans son sens le plus primaire.
Pour digérer ce roman, il faudra pouvoir se mettre à la place de.
À la place des naufragés du radeau de la Méduse.
Qu'aurions-nous fait à leur place ?
Franzobel nous plonge dans l'histoire du naufrage de la Méduse de façon déconcertante.
C'est une biographie romancée certes, mais elle sonne tellement vrai même si elle nous immerge dans un récit intemporel.
Hors du temps.
La narration est pleine d'ironie, mais elle est aussi tout à la fois, c'est-à-dire grave, cruelle, édifiante, palpitante.
C'est aussi très bien écrit, bien traduit, faut-il le souligner.
Franzobel n'est pas avare de détails et fait preuve de talent quand il s'agit de conter la vie des personnages.
La plupart des personnages ont réellement existé. Évidemment, j'imagine que l'auteur a dû prendre quelques libertés, néanmoins j'ai trouvé qu'il avait bien arrangé les choses.
Bien arrondi les angles.
On navigue donc avec aise jusqu'à un certain point, car on s'enfonce quand même jusque dans l'impensable.
On navigue aussi dans l'horreur, mais là rien n'est fantastique, c'est inimaginable, mais c'est vrai.
J'ai vraiment adoré ce livre.
À ce point de folie est pour moi un des meilleurs livre que j'ai pu lire cette année. Peut-être le meilleur, il faudrait que je refasse le bilan de mes lectures pour en être sûr.
Notez aussi que la fin est plutôt réussie.

Bref, sans vouloir faire de mauvais jeu de mot, ce livre est un régal !

Lien : http://jldragon.over-blog.co..
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Du fameux radeau de la Méduse, je ne connaissais pas grand-chose, si ce n'est le tableau de Géricault. Alors, forcément, je me suis dit qu'un roman sur le thème, ça pouvait être diablement intéressant.

Pas de spoiler ici en disant que ce fut le cas. Je ne m'attendais certes pas à ce que ce soit raconté de cette façon-là, mais c'était instructif, exigeant parfois et surtout passionnant.
Passionnant parce qu'on n'est pas jeté sur le fameux radeau sans rien comprendre. Bien au contraire, on va tout savoir du départ vers le Sénégal, de la vie à bord, des soldat, des passagers, du commandement, des matelots.

Et si les journées sur le radeau nous seront bien évidemment contées, si on va bien sûr nous parler de cannibalisme, de survie, de loi du plus fort, on va surtout se rendre compte que cette même loi s'appliquait déjà pas mal à bord avant l'ensablage.
Parce que la vie du "petit" personnel à bord d'un bateau, c'était pas Byzance, clairement. On va le comprendre très vite à travers les yeux de Victor, fils d'une famille aisé parti voir l'aventure et qui va se retrouver traité comme un moins que rien. Heureusement, le matelot avide d'instruction Osée Thomas va le prendre sous son aile, tout comme le second médecin de bord Savigny.
On va rencontrer un paquet de personnage et s'ils sont nombreux, ils nous permettent de découvrir les enjeux politiques et sociaux de l'embarcation. Et puis Franzobel, même s'il a un style pas forcément évident à appréhender, use d'un ton plein d'humour et de références beaucoup plus contemporaines (on va ainsi croiser certaines recettes, concepts, notions historiques et célébrités volontairement anachroniques), et ça passe tout seul.
Alors évidemment, quand on va parler du pire, des dilemmes moraux, de la résignation, du désespoir, on va bien grimacer un peu. Mais finalement, ça monte crescendo, parce que c'était déjà pas tout rose avant.
La loi du plus fort, les guerres de pouvoir existaient avant que nos 15 survivants ne montent sur le radeau, et s'ils s'y sont retrouvés, c'est d'abord parce qu'ils avaient perdu quelques batailles que ce soit à la naissance (les aristocrates et premiers lieutenants étant tranquillou sur leur chaloupe pour 60 à seulement 25) ou au cours de la traversée.

Du coup, ça va aussi causer piston et allégeances politiques (coucou capitaine Chaumareys), mutinerie et orgueil (salut les officiers), égoïsme et fatuité (bonjour gouverneur Schmaltz, mais surtout ta femme qu'est pas piquée des vers). Que les beaux côtés de l'humanité, vous dis-je.

Face à ça, les jolis idéaux humaniste comme l'égalité, l'amour du prochain, la compassion ou l'entraide passent vite à la trappe. Et Savigny, notre médecin de bord féru de dissection va se retrouver face à cette loi de la nature : manger ou mourir. Difficile de regarder son serment d'Hippocrate dans les yeux quand on grignote le cuissot du voisin, voire pire, quand on condamne à mort les voleurs de vin.
Quelques regrets néanmoins : on passe bien plus de temps à bord de la Méduse que du radeau ou des chaloupes par la suite. Un peu dommage, mais je crois sans mauvais jeu de mot que plus de temps sur le radeau aurait eu quelque chose d'un peu répugnant pour moi. Par contre, j'aurais voulu connaître davantage les conséquences pour les survivants, tant sur le plan psychologique (sérieusement, comment se remet-on de ça ???!!!) que pénal (on a peut-être une page et demie concernant le procès de Chaumareys, sans contexte de l'époque et c'était bien trop peu à mon goût).

Ceci dit, la toute fin est aussi incroyable que fantastique (même s'il y a un petit côté facile), et j'ai été hyper emballée par ma lecture de manière générale, même si elle ne m'a clairement pas redonné foi en l'humanité. Pas tant à cause de l'anthropophagie que de tout ce qui la précède et aurait pu être évité si l'appât du gain, l'envie de pouvoir et l'orgueil avaient été moins présents sur cette frégate.
Lien : http://delaplumeauclic.blogs..
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À ce point de folie raconte, de façon romancé, le naufrage de la Méduse. le récit est articulé autour de plusieurs personnages, plus ou moins important dans la catastrophe à venir. La traversée est en premier lieu rapportée à travers les yeux du jeune Victor Aisen, un fils de bonne famille, destiné à être juge, comme son père, mais qui s'enfuit, rêvant d'aventures et d'héroïsme. le jeune Victor s'embarque un peu par hasard sur La Méduse, le plus beau navire de la flotte, le plus sûr aussi. Il y devient garçon de cambuse, pour remplacer celui qui a préféré s'enfuir, effrayé par les dires d'une bohémienne qui lui avait prédit la mort de tous les passagers du bateau. Si le matelot Osée Thomas lui témoigne de l'amitié, Victor déchantera assez vite : le cuisinier et son aide vont passer leur temps à tenter de l'assassiner, pour aucune autre raison que l'envie (et la possibilité de le faire ?). Il est aussi victime, dès la première nuit, d'une tentative de viol. Les beaux idéaux de Victor vacillent assez vite, il se sent prisonnier de cette coquille de noix qui vogue sur les océans, et où l'héroïsme, semble-t-il, est définitivement mort.

Aux espoirs du jeune Victor s'ajoutent aussi ceux de plusieurs familles de migrants : les Picard ou les soeurs Lafitte. le père Picard compte rejoindre le Sénégal où il a acquis des champs de coton. Il rêve de fortune (la main-d'oeuvre n'est pas bien chère), et peut-être aussi de regagner l'estime de sa deuxième épouse, Adélaïde, un dragon qui passe son temps à le blâmer en poussant des cris stridents et des « Charliiiie » qui cassent les oreilles de tout le monde. Il a tout pris, n'a rien laissé en France : ses deux filles, issues d'un premier mariage, son neveu et ses trois derniers enfants, dont un nourrisson, font partie du voyage. Les soeurs Lafitte, elles, de vieilles filles laides, veulent ouvrir un comptoir de commerce à Saint Louis. Elles ont vendu tous leurs biens, ont embarqué des étoffes, des épices, de la farine, toutes sortes de savon, dans l'espoir, elles aussi, de faire fortune. Elles ont un autre petit rêve, un peu plus inavouable : sur ce bateau où la femme est une denrée rare, elles comptent bien mettre la main sur un ou deux matelots.

Et on découvre aussi le commandement. le fameux capitaine Chaumareys et le futur gouverneur du Sénégal, représentant de Louis XVIII, Schmaltz. Chaumareys est un aristocrate, il s'est enfui en Angleterre lors de la Révolution française. Douanier de son état, il ambitionne une place plus en adéquation avec sa valeur. N'a-t-il pas toujours été fidèle au Roi ? Ne doit-il pas en être récompensé ? Et puis son oncle n'a-t-il pas été un grand navigateur, reconnu par tous ses pairs ? A force de lettres et de courriers au ministère de la Marine, il obtient le commandement de la Méduse, petit joyaux de la flotte, merveille de technologie, le plus rapide des navires. de quoi contenter son orgueil et son ambition. le problème ? Chaumareys ne sait même pas utiliser un sextant ni lire une carte marine. En un mot, un incompétent. Et il ne respecte pas ses officiers, qui, eux, sont de véritables marins. Et ses officiers ne le respectent pas non plus. Pourquoi ? Parce que Chaumareys est un royaliste, un aristocrate en bas de soie, un être pompeux et vaniteux alors que les officiers sont des républicains, des bouffeurs d'aristocrates, des êtres sanguinaires qui n'ont que liberté et égalité en bouche. Alors ils se regardent en chien de faïence, se méfient, sapent mutuellement leur autorité. le mépris est réciproque. le mépris sera assassin.

Schmaltz est du même acabit. Royaliste, aristocrate, il n'a qu'un seul souci : ne pas être en retard. Un représentant du Roi, du grand et puissant royaume de France, ne doit pas être en retard. Que dirait les gens ? Ne se moqueraient-ils pas de lui ? Lui qui a pour mission d'apporter la civilisation, d'affirmer la puissance française et d'installer son autorité et sa justice parmi les sauvages ? D'ailleurs, n'a-t-il pas amené dans ses bagages une guillotine, sa Louise, symbole de la justice française et de son équité. Alors un retard est inadmissible, cela saperait d'office son autorité. Il a déjà assez de soucis avec sa femme, Reine, qu'il ne supporte plus. Si seulement elle pouvait passer par-dessus bord, il pourrait prendre une autre femme, plus jeune, moins revêche. Reine, elle, est uniquement préoccupée par sa fille, Arétée, ou plutôt par l'angiome qui envahit son visage. Sa fille est belle, mais cette tache qui s'étend et qui s'assombrit va certainement la priver d'un bon parti. Ses prétendants ne vont-ils pas être dégoûtés par cette atrocité ? Na va-t-elle pas devoir se marier en dessous de sa condition ? Ce serait une honte, elle qui trouve le peuple et son spectacle vulgaire. Pour les Schmaltz, il n'y a que la noblesse pour être digne. En dehors de cette sphère, rien n'existe.

À ce point de folie, c'est la chronique d'une catastrophe annoncée, prévisible et inévitable. La Méduse est un vrai nid de serpents, où la violence et la brutalité sont familières. Il n'y a aucun esprit de corps. Un capitaine incapable et sans autorité, des officiers qui rêvent de mutinerie mais se réjouissent de voir leur commandant échouer, un escroc qui prend le commandement du navire alors qu'il n'est jamais monté sur un navire, des matelots et des soldats en roue libre. Chacun n'est animé que par son égoïsme et son ambition personnelle. Alors quand le navire finit par s'échouer, c'est le branle-bas de combat. Chacun pense à sauver sa peau. Bien évidemment, il n'y a pas assez de canots de sauvetage. Bien évidemment, les aristocrates pensent d'abord à eux. Leur chaloupe peut contenir 60 personnes. Ils ne seront que vingt-cinq à monter dessus. Schmaltz tient à tout prix à emporter sa guillotine, Reine insiste pour embarquer toutes ses précieuses robes : hors de question que les représentants de la France soient considérés comme des pouilleux. C'est une question de représentation. C'est vital. le reste n'existe pas. [...]
Lien : https://enquetelitteraire.wo..
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On connait l'histoire du radeau de la Méduse, mais ce livre nous mène dans les dédales les plus profonds de l'âme humaine pour nous expliquer comment on en est arrivé là! Les personnages sont bien fouillés et on suit avec angoisse leur cheminement vers le bien ou vers le mal. Même si l'histoire est dramatique , même si la fin est connue, le récit est haletant. Franzobel nous mène par le bout du nez dans cette description zoologique et sociologique de l'être humain confronté à sa survie. A coup sûr, c'est un livre marquant.
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Le trait aussi dramatique que talentueux du tableau grâce auquel ce fait divers terrible passera à la postérité, ainsi que la description de l'éditeur et la couverture du livre, vendent un récit abject et infernal qui passe à côté de nombreuses subtilités du livre de Franzobel.

Evoquer l'horreur et la survie est juste, mais c'est passer à côté de la plus grande partie du livre dont la spirale infernale ne représente réellement que le dernier tiers. Les deux premiers déploient avec autant de réalisme que d'humour noir le quotidien d'une micro-société embarquée sur ce navire, dont tous les passagers ne connaissent pas les codes ni les tenants et aboutissants.

Si Franzobel surfe sur les eaux croupies d'un récit dont la majorité ne voulait à l'époque rien savoir, c'est à l'aide de nombreux anachronismes qui invoquent la prise de recul sur une déchéance impliquée par la vie et la survie loin de toutes terres et donc de toutes marques de civilisation. Lacée de poésie jusque dans les moindres détails du quotidien - - la prose de l'auteur nous emporte dans un récit historique et sociologique aux frontières de la folie humaine sans oublier de suivre du début à la fin un protagoniste principal, Victor, auquel on s'attache jusqu'aux dernières lignes à la dynamique inoubliable.
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