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Olivier Mannoni (Traducteur)
EAN : 9782080257185
450 pages
Flammarion (27/04/2022)
2.45/5   30 notes
Résumé :
1537. Le conquistador Ferdinand Desoto obtient la direction de la prochaine expédition en Amérique, qui lui apportera, comme à ses guerriers, richesse et gloire. Mais rien n'est joué ! Las, nos cupides chasseurs d'or et de perles, tout droit sortis d'un tableau de Goya, sont attendus par des Indiens dont les habitudes carnassières ne feront pas toujours leur affaire... De sa plume soigneusement aiguisée, Franzobel raconte la colonisation espagnole du xvie siècle dan... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
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En 1537, le conquistador Ferdinand Desoto prend la tête de la plus importante des premières expéditions coloniales espagnoles. Persuadé d'y trouver un eldorado, il débarque en Floride et poursuit toujours plus loin à travers le Sud-Est des Etats-Unis actuels, obstinément en quête d'or et de perles.


Cinq ans plus tard ne reviendront même pas la moitié des quelque huit cents expéditionnaires, exténués, sans or ni richesses, et sans avoir établi la moindre colonie. Désastre à leurs propres yeux, leur aventure conservera à l'époque une réputation donquichottesque. Personne n'en mesure alors les principaux impacts : quelques chevaux et porcs restés sur place qui prolifèreront, les premiers à l'origine des mustangs de l'ouest de l'Amérique du Nord, les seconds d'épidémies qui décimeront les peuples autochtones ; l'amélioration des connaissances géographiques, ethniques et naturalistes des Européens, avec notamment les premières mentions à l'existence du Mississippi ; la montée en puissance des revendications espagnoles sur de larges territoires en Amérique du Nord, essentiellement en Floride et sur la côte du Pacifique : l'inégale bataille entre colons et Amérindiens est déjà irrémédiablement enclenchée.


Construit sur une documentation solide, ce livre ne se résume pas à un seul roman historique. Exploitant à outrance l'image de Don Quichotte laissée par Desoto, l'auteur a choisi le parti-pris de l'ironie pour souligner l'absurde et délétère cupidité qui gouverne le rapport au monde de l'homme occidental. Sous sa plume goguenarde, les aventures conquérantes de ces troupes expéditionnaires tournent sans mal à la bouffonnerie, lorsque la narration met l'accent sur la stupide obsession d'enrichissement facile d'un ramassis de réprouvés, de bandits et de laissés-pour-compte, croyant dur comme fer au pays de cocagne et à leur bon droit de saccage, d'appropriation et de réduction en esclavage, au nom grotesquement brandi du Christ et de leur supériorité civilisée. Si cette pantalonnade résonne sinistrement, ce n'est pas seulement parce qu'elle s'assortit d'une vague d'agressions meurtrières, mais aussi parce qu'en superposant cette amorce de colonisation et les traits les plus piteusement caractéristiques du mode de vie américain moderne, le récit opère une mise en perspective débouchant sur un terrible constat : la généralisation d'une absurdité prédatrice, qui, non contente d'avoir très sauvagement détruit les autres formes de rapport au monde, poursuit imperturbablement sur sa lancée la destruction de la planète entière.


Récit historique donc, mais aussi satire et diatribe morale menant à la question de la réparation aux peuples amérindiens, ce livre, que, de l'aveu de l'auteur, l'intervention de son éditeur a empêché de devenir fleuve, pourra pourtant encore sembler trop long et fastidieux. Solidement construit et étayé, mais volontiers provocateur au gré de ses débordements loufoques et de son humour grinçant, nul doute qu'il a de quoi entretenir le clivage autour de cet écrivain célèbre et controversé qu'est Franzobel en Autriche.


Un grand merci à Babelio et aux éditions Flammarion de m'avoir fait découvrir cet ouvrage peu ordinaire.

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Au moment de rédiger ce billet, je suis bien embêtée, et franchement, je me sens un peu perdue. Je me faisais une telle joie de lire un roman historique sur une période qui m'a toujours fascinée : la découverte de l'Amérique. Mais, je suis déçue de ma lecture, je n'ai pas trouvé ce que j'attendais.

Lorsqu'un livre ne me plaît pas, je le referme et je passe à un autre. Je ne fais pas de critiques, trouvant malhonnête de critiquer un livre abandonné. J'ai reçu ce roman par le biais d'une masse critique privilégiée, et dans ce cadre-là, on se doit de rédiger un avis. J'ai donc lu le roman en entier pour en faire une critique sincère et argumentée.

Je regrette d'avoir demandé à le lire, et j'espère que l'auteur ne sera pas blessé de ma franchise. Chaque livre a son public et je ne faisais vraisemblablement pas partie des lecteurs visés.
Je remercie très sincèrement Babelio et les éditions Flammarion pour l'envoi de ce roman.

*
Tout d'abord, j'ai réellement aimé le postulat de départ, à savoir que L Histoire est partiale et que la vérité a été limée de toutes aspérités pour auréoler les vainqueurs.
Alors, lire le récit de la conquête de l'Amérique en balayant toutes les idées reçues, remettre en question tout ce que l'on a appris dans les livres d'histoire, réfléchir sur les concepts de vérité et de manipulation, m'enchantait.

« Jamais encore les conquérants ne se sont souillés avec la gloire. »
Joseph Conrad

*
Le personnage principal de ce roman est le conquistador espagnol Hernando de Soto que Franzobel nomme ici Ferdinand Desoto.

« Conquérir ce pays est ma destinée. Qui s'oppose au cours naturel des choses sera réduit à néant. L'Histoire le veut ainsi. »

Cet « illustre » personnage, après avoir accompagné Pizarro au Pérou, décide de financer en 1538, une grande expédition en Indes occidentales, pour devenir gouverneur de la Floride. Les héros de cette aventure sont des conquérants, des escrocs, des charlatans, des criminels, des missionnaires, des dames, que du beau monde !

« La morale est notre bien suprême. »

Ce sombre personnage mènera une campagne désastreuse.
Lui et ses hommes parcourront des distances prodigieuses, découvriront des contrées jusque-là inexplorées, rencontreront les premiers, les populations indiennes. Mais ils pilleront les villages, tortureront les indigènes pour leur soutirer leurs richesses, violeront les femmes, et sèmeront la mort et la désolation sur leur passage.

« Ils n'avaient aucune chance avec leurs armes ridicules. le village fut pillé, les femmes violées. le programme habituel. »

Parallèlement à l'expédition, près de 500 ans après ces évènements, un cabinet d'avocats New-Yorkais porte plainte contre les Etats-Unis au nom de tous les peuples amérindiens pour réclamer la restitution de l'ensemble des terres volées.
L'idée de créer un pont entre les évènements du passé et ceux présents capte l'attention autour de cette question de la propriété. Mais l'auteur ne va pas au bout. Ces scènes trop courtes s'intercalent dans le récit, ne laissant qu'une impression diffuse qui se dilue dans le récit.

*
C'est dans un style humoristique que nous accompagnons ces personnages particulièrement loufoques, à la découverte de l'Amérique.

« Les Apalachees n'aimaient pas les étrangers qui puaient, n'avaient aucune culture et couraient après les fentes de leurs femmes. Ils ne voulaient pas de fainéants, de parasites qui n'étaient pas d'ici et vivaient aux dépens de la communauté. Ils ne voulaient pas d'une religion qui chantait les hymnes à un crucifié. »

Les premières pages m'ont plu, mais très vite, l'originalité du livre a fait place à un sensation de fatigue et de malaise devant tant de lourdeur.
Le ton se veut amusant, ironique, sarcastique, dénonciateur, mais cet humour manque de finesse et ne m'a pas du tout amusé. J'irai jusqu'à dire qu'en poussant trop loin cette idée de dérision, l'auteur dessert l'intrigue et l'histoire. Je me suis, peu à peu, détachée du récit jusqu'à attendre avec impatience la dernière page.

Des comparaisons persistantes avec l'époque actuelle, des références à des célébrités (Paul Newman, Robert Redford, Brad Pitt, …) m'ont ennuyée, n'apportant rien à l'histoire. Certains personnages sont tellement caricaturaux que cela a troublé ma lecture.

*
On voit que l'auteur a fait de nombreuses recherches pour écrire un livre étayé de plus de 500 pages, mais malheureusement, je me suis perdue dans la construction d'un récit enchâssé qui fait des bonds incessants dans le temps et dans l'espace, passant d'un personnage à un autre. Il m'a fallu du temps pour m'habituer à ce rythme.
Pourtant, on apprend beaucoup sur la colonisation, la soumission des populations indiennes, les massacres perpétrés, l'esclavage des Amérindiens.
Le récit est brutal, direct, ce qui permet de plonger le lecteur dans l'esprit et la réalité de l'époque.

Néanmoins, le rocambolesque, l'absurdité, l'ironie, le sarcasme, ne m'ont pas plu pour en parler. Je comprends l'envie de Franzobel de nous pousser à une réflexion morale par cette forme de provocation, mais je n'y ai pas adhéré.

*
Je pense très sincèrement qu'avec un récit moins alambiqué, plus court, et moins tourné vers la caricature et le ridicule, il aurait gagné en profondeur.
Ce n'est bien sûr qu'un avis très personnel et je vous engage à vous faire votre propre avis en découvrant la plume atypique de Franzobel, un des auteurs les plus populaires et controversés d'Autriche.
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1537. le conquistador Ferdinand Desoto vient plaider sa cause auprès de Charles Quint pour obtenir la direction d'une nouvelle expédition en Amérique. Il est accompagné de deux de ses serviteurs, un nain et un indien excentrique. À son grand dam, l'empereur lui accorde la Floride, ses marécages et ses indigènes cannibales...
Le conquistador recrute alors une armée hétéroclite où les aventuriers et les chercheurs d'or côtoient les brigands en fuite.

J'ai longuement hésité avant de porter une appréciation sur ce roman qui se veut une évocation tragicomique de la colonisation de l'Amérique par les espagnols.
Les très nombreux personnages sont plus loufoques ou monstrueux les uns que les autres, y compris l'empereur, présenté sous un jour très éloigné de celui de nos livres d'histoires. Les événements dramatiques, notamment l'extermination quasi systématique des tribus indiennes, sont décrits au travers d'une loupe déformante qui les fait virer à la pantalonnade.
Sur un fond de vérité historique, cela aurait pu donner une présentation amusante d'une époque qui le fut beaucoup moins, dynamisée par de nombreux allers-retours entre scènes sans liens apparents. Hélas, l'auteur en fait un peu trop et finit par égarer le lecteur.
Et puis, quel besoin d'ajouter des constructions du type "Revenons à notre naufragé..." pour assurer certaines transitions ? Enfin, que viennent faire là des références à des modèles d'automobiles, des marques de rhum ou des acteurs américains du XXème siècle ?
Dans un film des Monty Python cela aurait pu passer. Mais cela devient beaucoup trop lourd pour ce roman.
Peut-être une bonne idée, mais hélas mal traitée...

Merci à Babelio et Flammarion de m'avoir fait découvrir ce roman et son auteur.

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Lorsque Babelio m'a proposé en masse critique privilégiée « Toute une expédition » aux Éditions Flammarion, je fus très emballée. Ceux qui me connaissent savent que L Histoire est un de mes thèmes préférés en lecture. Et puis ma foi, le XVIème siècle, l'Espagne, les civilisations primitives américaines sont très riches en enseignement. Partir à l'aventure avec les découvreurs espagnols me parut fort intéressant.

Dommage pour moi, cette lecture fut fastidieuse, malgré l'intérêt apporté par l'auteur avec un tas d'informations sur la façon de vivre, de conquérir, de châtier de l'époque. Entre les guerres, l'inquisition, l'Église, la brutalité de tous aussi bien soldats que religieux, je me doutais bien que cela ne serait pas forcément une lecture paisible.. Mais lorsqu'on y rajoute la caricature et le sarcasme pour moi cela passe moins bien.
Et pourtant j'ai attaqué gaillardement le début du livre, les informations et les allers retours entre les différentes époques et personnages promettaient de bons moments. La vie de Fernando de Soto, celle de ses amis proches, de son amour de jeunesse contrarié, le recrutement de sa troupe, la vie d'Elias Plim avec son séjour forcé à Alger en esclavage, etc....démarrait bien l'histoire.
Niveau style de l'auteur, mélange de narration à la gouaille fleurie et de pensées parasites à notre époque, peut prêter à sourire lors d'une conversation, mais lors d'une lecture trop c'est trop .. Je me suis lassée.
La destinée du personnage pourtant me paraissait fort intéressante. Il fait ses débuts de conquistador en herbe au côté de Pedrarias Davila, puis de Pizarro. Il revient du Pérou en Espagne couvert d'honneur et d'argent. Mais la gloire et le pouvoir monte souvent à la tête des vainqueurs, ils en veulent toujours plus. Il convainc Charles Quint de monter une expédition pour Cuba, avec le but final de conquérir La Floride, terre inconnue et sauvage plus au Nord. La civilisation vers les peuples primitifs de l'époque. Que deviendrait l'Amérique si les descendants de ses peuples réclamaient leur part de ce qui leur fut voler à l'époque. C'est aussi une facette de ce livre.
Finalement je dirais à lire à petites doses pour pouvoir assimiler le tas d'informations livrées par l'auteur, dans son vouloir de dénoncer le colonialisme forcené de l'époque par la force et la torture. Sous prétexte de s'enrichir, d'enrichir encore plus les riches, les conquistadors ont commis un vaste génocide.
Je ne noterai pas ce livre. Je pense qu'il peut avoir son public. L'auteur fait preuve d'érudition, j'ai vérifié sur internet (source d'informations à prendre avec précaution, il s'en faut!!) de nombreux faits sont vrais, mais les cinq cents pages de récit/farce tragi-comique au détriment de la population indienne de l'époque, m'a paru fort indigeste.
Merci à Babelio et à Flammarion de m'avoir permis de découvrir Franzobel un auteur autrichien populaire et controversé en son pays et qui n'en est pas à son premier livre du genre. Son premier récit retraçait le naufrage de la Méduse, je n'ose pas imaginer sa façon de la narrer. J'en ferais des cauchemars je pense.
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TOUTE UNE PURGE

1539. Nous sommes presque au beau milieu du fameux "Siècle d'Or espagnol". La plus grande partie des Caraïbes, de l'Amérique centrale ainsi qu'une bonne part de l'Amérique du Sud, futurement "latine", est découverte, voire colonisée, divisée en coupes franches entre Portugais et Espagnols, les malheureux autochtones régulièrement massacrés, punis pour rien, malades de nos germes, poussés à ce point à bout qu'on assiste à d'abominables scènes de suicides collectifs, les survivants étant mis en esclavage (ou quasi), quoi que complétés - on manque déjà de bras - par des "nègres" d'Afrique : En trois mots comme en cent : l'Horreur sur Terre... au nom des Rois, au nom de Jésus, au nom de l'Or, parfois même, au nom de l'Humanisme ! En revanche, en dehors de quelques incursions sans grande envergure - on pense à celle de Juan Ponce de León qui aurait découvert la célèbre Fontaine de Jouvence (il paraît qu'on la cherche encore) dans l'actuelle Floride, l'Amérique du Nord a encore passablement échappé à ces grands massacreurs et évangélisateur de force qu'étaient alors les sujets de l'empereur Charles Quint. Mais la soif de l'Or et les rêves d'une richesse facile ne pouvaient maintenir les aventuriers, nobles ou roturiers, dans un tel statu quo. C'est ainsi que Ferdinand Desoto (de son vrai nom historique Hernando de Soto) voulut découvrir les trésors fantasmés et promis par les colporteurs de fausses nouvelles, les trafiquants de rumeurs, les hommes qui ont vu l'homme qui ont vu l'ours... dans cette partie de l'Amérique encore presque totalement vierge de toute présence européenne... mais belle et bien habitée par des femmes et des hommes de chair et de sang, des cultures inviolées, des sociétés tout aussi dignes d'intérêt que de droit absolu à subsister et prospérer telles quelles. Las ! Les conquistadors - fussent-ils d'une autre nationalité, et même d'une autre civilisation que l'Espagnole -, «le plus souvent, [...] étaient vulgaires, immondes et immoraux, ils se combattaient, se torturaient et s'entretuaient», nous rappelle en préambule l'écrivain autrichien Franzobel, précisant même un peu avant qu' «en réalité, c'étaient de grosses brutes qui, sous prétexte de christianisation, commirent des actes d'une incroyable cruauté.»

C'est donc, après moulte pérégrination, détours, détails, va et vient, retards et complexes progressions, boucles diverses, marches lentes ou temps d'attente, l'histoire de ce qui fut, très probablement, l'expédition la plus ratée, la plus catastrophique, la plus cruelle, la plus inutile et la plus mortifère que cette époque lointaine a jamais connu. Ratée, parce que Desoto et ses quelques 600 hommes, 200 chevaux, 30 chiens de guerre suivis d'une multitude de porcs (porteurs de germes bientôt terribles) et de poules ne trouveront pas plus d'or que de Fontaine de Jouvence ni de Cité glorieuse ou d'Empire (tels ceux des Mayas ou des Incas précédemment). Catastrophique, parce qu'elle bouleversa les équilibres établis de longue date entre les indigènes. Cruelle, puisqu'au nom de l'Empereur et de sa foi en Jésus-Christ, on assujettit de force et convertit de même, de préférence après des démonstrations de force et des abominations souvent gratuites, ces mêmes populations. La plus inutile puisque, loin d'être en quoi que ce soit une expédition - ne serait ce qu'à la marge - à caractère scientifique (même selon les critères balbutiant de l'époque), les espagnols ne comprirent par exemple pas qu'ils étaient les premiers européens découvrant le Mississippi, les Appalaches, sans oublier un nombre conséquent de bêtes et de végétaux inconnus chez nous, et n'évoquons surtout pas le caractère possiblement ethnologique d'une telle aventure, puisque tout est nié des sociétés rencontrées. Certes, les quelques récits de voyage qui en découlèrent seront, pour longtemps, les seules sources concernant ces régions méconnues, mais elles n'apporteront en rien la notoriété à ce périple. Mortifère car, nonobstant le massacre régulier d'Indiens réfractaires au "progrès" occidental, la troupe empanachée et cuirassée de Desoto se rendit coupable d'un des pires massacres, en une seule bataille, de toute l'histoire de la colonisation de l'Amérique du Nord, en un lieu aujourd'hui complexe à définir qui se nommait alors Mabila (probablement un village modestement fortifié, vers le centre de l'actuel Alabama) et où entre 2 500 à 3 000 guerriers amérindiens de culture mississippienne laissèrent la vie ! Cette sanglante "mésaventure" sonna cependant le début de la fin de l'expédition espagnole, le nombre de morts et de blessés côté conquistador ainsi que des pertes en chevaux et vivres les laissant exsangues. 

Trois années plus tard et après avoir parcouru, en zig-zag, plusieurs milliers de kilomètres à la recherche d'un introuvable Eldorado, Fernando Desoto laissera la vie dans un village indien de l'Arkansas (proche de l'actuel MacArthur), perclu par des fièvres maligne. Quant aux restes de son expédition reviendront laborieusement vers les rives du Mississippi, manqueront d'être achevés par des autochtones en mal de vengeance, et finiront par regagner le golfe de Floride sur des embarquements de fortune. Ils auront fait quelques fortuites découvertes, y auront "égaré" suffisamment de chevaux pour que ceux-ci y créent l'une des principales lignées des futurs "mustangs", et provoquerons, sans le savoir, un véritablement dépeuplement auprès de ces premières nations, ayant emporté dans leurs bagages ces cochons pleins de miasmes contre lesquels nous étions naturellement vaccinés... Et l'Histoire Générale des Conquérants européens s'efforcera d'oublier au plus vite cette lamentable entreprise... Jusqu'à ce livre dont il nous faut dire maintenant quelques mots.

Avant tout, il ne faut pas perdre un instant de vue que, bien qu'appuyé sur des connaissances historiques fortes et aussi précises que cet événement lointain et un peu fantasmatique le permet, l'auteur, Franzobel (pseudonyme pour Franz Stefan Griebl) prend définitivement le parti d'en faire avant tout un roman, et même pas tout à fait un roman historique puisqu'il y prend résolument des libertés avec L Histoire, qu'il y créé des personnages parfaitement fictifs quoi que crédibles eu égard à notre connaissance des hommes et des femmes du XVIème siècle, qu'il y invente des récits annexes sans importance directe avec la véracité de l'expédition, des histoires d'amour supposées, des caractères hauts en couleurs, le tout formant une trame et une texture en tout point picaresque à l'ensemble. Il y ajoute aussi un genre de fil rouge parfaitement contemporain ainsi que parfaitement imaginaire, relatant les tribulations d'un avocat sans envergure lançant une procédure judiciaire complètement folle dans l'idée que les amérindiens d'aujourd'hui puissent récupérer la terre que les colons ont volé à leurs ancêtres ! L'ensemble est rédigé dans un style oscillant entre farce macabre, éructations néo-rabelaisiennes et humour décalé (parfois jusqu'à l'insupportable), lequel sait parfois porter mais qui, le plus souvent, ennuie (pour ne pas dire plus) et qui, même achève de rendre l'ensemble proche de l'indigeste. On se prend même à pousser à Ouf! de soulagement en apprenant en fin d'ouvrage que l'éditeur convainquit son auteur à diviser cette somme par deux, laquelle aurait alors largement dépassé les huit ou neuf cents pages, tandis que deux ou trois cents feuillets bien sentis eussent bien mieux atteint leur but ! Mais tout cela se perd sans cesse dans des marigots de détails sans fin, dans les méandres d'un fleuve de logorrhées pénibles, dans des bayous de "bon mots" pas bien légers - même si, avons-le, il nous est aussi arrivé de rire ici là. Grassement. Mais de moins en moins au fil de ce qui devient, peu à peu, une purge éditoriale -. Et si l'on comprend aussi que ces extrémités langagières et contextuelles se veulent le reflet de cette antique purge aventurière, tout autant qu'elles accréditent aussi nos petites et grandes faiblesses quant aux souvenirs souvent douteux de nos "grands" explorateurs et autres massacreurs de monde, elles finissent tant par lasser le lecteur qu'on est à deux doigts de ne plus rien pouvoir en retenir. 

C'est donc sur une lecture en demi-teinte - il s'y trouve aussi de très grands moments, des citations aussi assassines que malheureusement justes, des constats terribles et honteux, etc, et il est juste de le rappeler - que se referma cette découverte liée à une Masse Critique spéciale pour laquelle je tiens à remercier les vénérables éditions Flammarion ainsi que, bien entendu, notre cher Babelio.com sans qui ces étonnantes découvertes seraient assurément moins possibles ! 
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
"Qu'est-ce qui t'est passé par la tête, espèce de cinglé ?" Juan Desoto s'agenouilla au-dessus du chef et lui asséna une bonne claque tandis que des soldats lui enfonçaient des clous dans les mains. "Nous t'aurions converti, toi et ton peuple. Vous seriez allés au ciel, vous auriez pu sauver vos âmes puantes, mais vous avez préféré, cervelles de mouches que vous êtes, mijoter pour toujours aux enfers. Vous sentez à présent ce dont parle Dieu quand il évoque la vengeance…"
Casqui lui cracha au visage, ce qui ne fit qu'aiguillonner encore plus le missionnaire. "Je t'aurais parlé du Saint-Père à Rome, espèce de crétin, du Grand Inquisiteur et de sa bonté radicale, des pensées purificatrices de l'inquisition…"
… Quand on dressa la croix où était cloué le chef, les cantiques recouvrirent les cris de Casqui.
"Voilà ce qui arrivera à tous ceux qui s'opposeront, annonça Rodrigo, debout sur un tonneau. C'est la logique de la guerre : la cruauté. L'ennemi doit être éradiqué." Les Indiens regardaient ce nain furieux, un soldat de plomb étincelant sur son cheval avec sa cuirasse, ses jambières et ses bras d'armure. Ils ne comprenaient pas le moindre mot. Leur chef crucifié braillait à l'arrière-plan, et ce nain hurlait à l'avant. Lorsque Néron voulut se lancer dans un discours empreint de gravité, la croix bascula et resta planté de biais comme un avion en plein crash, si bien que le martyrisé suspendu subissait à présent la tension d'un baldaquin et que son support risquait l'effondrement pur et simple, ce qui déclencha chez certains un rire involontaire.
Dès qu'on eut redressé la croix, Néron dit :
"Qu'il est bas, le soleil, juste au-dessus de toi, car bientôt tout ton corps puera comme un putois. Ton éclat d'autrefois pâlit au crépuscule, tu finis au poteau et plein de mouches au cul."
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Independance Day

Hier aujourd'hui était encore demain, et après-demain demain sera hier. Il arrive qu'un chose soit vraie s'en qu'on s'en aperçoive. On écrit l'Histoire, elle est partiale, elle grouille de bouffonneries. Le Roi-Soleil, Louis XIV, par exemple, était un gros plein de soupe édenté et vorace dont le potage, au diner, giclait par les narines. Le cerveau d'Albert Einstein fut volé par un anatomiste et transbahuté par monts et par vaux pendant quarante ans. Le pape Innocent VIII était tellement gras que de petites lunes gravitaient autour de lui. Ça non ! Mais il fallait que des serviteurs le retournent dans son lit, et de jeunes femmes venaient l'allaiter. Abraham Lincoln fut abattu par un comédien et George Washington est mort parce que ses médecins lui avaient soutiré trop de sang. On a volé le petit doigt de Charles Quint et … même Christophe Colomb n'a découvert l'Amérique qu'à la suite d'une erreur de calcul.
Et c'est ce genre de personnages historiques qu'on trimbale dans les défilés ?

(Incipit du roman)
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«Messieurs, le plus grand crime de l'humanité se déroule aujourd'hui dans cette partie du monde. Comparé aux conquistadors, Caligula était un philanthrope. Des millions d'indiens ont déjà été tués. Des millions ! Et ceux qu'on laisse en vie sont marqués au fer du roi. [*]
- Vous exagérez, fit Isabella, incrédule.
- Exagérer ? Pour une seule jument, on obtient quatre-vingts Indiens. On brûle leurs idoles, on détruit leurs temples.
- Possible, mais le plus grand crime de l'histoire de l'humanité ? C'est ridicule !
- Des molosses - et j'ai entendu dire que votre époux s'en servait lui aussi - les mettent en charpie. pour un chrétien tué par des Indiens insurgés, on en liquide cent. Tout cela n'est qu'un vaste théâtre de la cruauté. Il ne s'agit pas de mission ou de civilisation, et encore moins de sauver des âmes, mais exclusivement de faire du profit. Maximisation des gains. La croissance, le progrès, tout cela au dépens de gens innocents.


[Nota Bene : La première personne qui intervient dans ce dialogue, c'est le fameux Bartolomé de Las Casas, prêtre, missionnaire et infatigable défenseur des droits des amérindiens. Il participa, entre autres événements majeurs, à la célèbre "controverse de Valladolid", l'opposant à un défenseur acharné de l'utilité de la guerre face aux Indiens par les conquistadors, Sepulveda.
À noter que l'auteur de ce livre fait de lui un évêque, tandis que Las Casas ne fut jamais autre que prêtre. Sa contradictrice est Isabella de Soto, née Arias de Ávila dont le père, dit "Pedrarias" fut un colonisateur aux mains ensanglantées et donc aussi l'épouse du "héros" de ce roman.]
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De notre point de vue, la caractéristique majeure du XVIe siècle était sa brutalité. On aurait pu croire que la mafia avait lancé à tous les surveillants de camps de concentration un défi à celui qui serait le plus atroce. On écartelait les gens, on les sciait vifs ou on les tressait sur une roue en leur broyant les membres. Nous mentionnerons seulement en passant que, pour intensifier le spectacle, on avait de surcroît préalablement arraché les tétons des malheureux avec des tenailles chauffées au rouge et que l’on versait dans les blessures du plomb fondu, du goudron et du soufre. Brutal ? Non, monstrueux et méprisant pour l’être humain, d’une cruauté démesurée.
Comparée à l’arbitraire des gouvernants, l’Inquisition était une amicale altruiste de pêcheurs à la ligne, ce qui n’empêchait pas non plus le Saint-Office de torturer, de bannir et de brûler. Le pire fut que la délation put ainsi célèbrer sa résurrection. On ne comptait plus ses innocents accusés de chiromancie, de bigamie, de sodomie, d’invoquer les démons, d’offenser les cloches des églises, de profaner l’hostie, de transgresser les règles du jeûne ou d’autres pratiques obscures, personne ne pouvait plus croire sa propre peau à l’abri – et ce au sens littéral du terme. Dans le Nouveau Monde, la population indigène fit connaissance avec les doctrines du Christ à coups de massacres. Comme si cela ne suffisait pas, les Turcs sévissaient dans les Balkans. Toute l’Europe se recroquevilla comme une limace dans le sel -- et le sel, c’était les Ottomans.
A côté de cela, la vie suivait son cours tout à fait normal, avec chagrins d’amour, soucis financiers, projets de mariage et recettes de cuisine. Le peuple se réjouissait en lisant Amadis de Gaule, admirait les tableaux d’Arcimboldo et de Jérôme Bosch, il contemplait avec étonnement les personnages apotropéens aux façades des maisons, découvrait les pommes de terre, le cacao et le tabac, se piquait avec les ananas, s’énervait contre de honteuses vagues de hausses de prix et voyait dans les caprices du climat un signe avant-coureur du Jugement dernier.
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Et voilà qu’on l’informait qu’au moment où des crimes contre l’humanité avaient été commis à leur encontre, les Indiens n’étaient pas encore des citoyens des Etats-Unis. Les Native Americans auraient dû se trouver au moment de leur naissance dans un avion volant au-dessus des frontières actuelles des USA pour être reconnus comme citoyens américains, hypothèse que l’on pouvait exclure d’emblée pour ce qui concernait les XVI et XVIIe siècles. Quel joyau de l’idiotie juridique ! Il n’existait par ailleurs aucun document prouvant que les Indiens avaient été les propriétaires légitimes du pays. Des notions telles que possession et propriété leur étaient étrangères. Ces catégories n’avaient été introduites que par le capitalisme dans le but de protéger les biens privés. Jusqu’à l’institution des cadastres, des registres d’état civil et de baptême ou d’autres documents légitimant les rapports de propriété de cette époque, on serait donc contraint… Rhubarbeàbarbedebarbare… Le rédacteur se vautrait dans le cynisme et les petits jeux intellectuels. Si la bêtise pouvait rapetisser un homme, il allait pouvoir sauter sous le tapis en parachute.
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