Je remercie Babelio et les éditions Belfond pour m'avoir proposée la Masse Critique spéciale avec la lecture de «
les chasseurs de gargouilles » de
John Freeman Gill.
Les thèmes de ce premier roman pouvaient me plaire : le New-York artistique et architectural des années 70 au travers de la relation entre un fils (13 ans) et son père.
Aujourd'hui âgé, Griffin nous raconte la période marquante de sa vie alors qu'il avait 13 ans. Ses parents viennent de se séparer. Il vit avec sa mère, artiste, et sa soeur de deux ans son ainée. Son père quant à lui est brocanteur. Ses parents -peut-être parce que l'âme artiste, bohème, un peu fou fou- sont plus obsédés par leur passion réciproque que de l'éducation de leurs enfants. La vie des deux jeunes adolescents est souvent rythmée par des prises de bec entre les parents divorcés, des moments où ils sont livrés à eux-mêmes, même si des adultes gravitent autour de leur quotidien (comme les locataires de la maison parentale).
A cette époque-là, New-York est en pleine crise, criblée de dettes, frôlant la banqueroute. Les administrations n'ont plus de quoi payer les fonctionnaires (un certain nombre de policiers vont être virés), manifestation parfois violentes, notamment contre le président Ford. C'est aussi le New-York où des bâtiments les plus anciens sont démolis pour de plus « modernes » et des gratte-ciels.
Le père est passionné d'architecture, des ornements qui composent les édifices mythiques de New-York et particulièrement les gargouilles. Voir les immeubles détruits et avec, les trésors artistiques et culturels dont ils sont composés, est un véritable crève-coeur pour lui. Il va alors commencer à récupérer les gargouilles et autres décorations des façades, afin de les sauver avant la démolition de ces immeubles. D'ailleurs, « Récupérer » n'est pas forcément tout à fait le terme adéquat. Les « voler » serait plus juste puisque il le fait sans autorisation, de nuit, avec l'aide de deux assistants, d'autant qu'il les revend en partie.
Son fils, parce que plus jeune, fin et agile, va peu à peu participer à ces opérations « commandos ». Même s'il comprend que les agissements du père ne sont pas vraiment des plus légaux, Griffin accepte de les aider dans l'espoir de créer du lien avec ce père absent. Bien entendu, ces activités ne seront pas sans risque et conséquences…
Le garçon est dans sa phase de construction et d'apprentissage, découvrant son premier amour (avec une autre élève Dani). Un peu rebelle (à faire les pires bêtises avec un de ses potes), plutôt distant de sa soeur, il est aussi à la recherche de l'affection de ses parents, cherchant leur considération et leur amour surtout chez ce père mystérieux et passionné. Malgré leur relative profondeur, j'ai néanmoins trouvé les personnages dans leur ensemble un chouia trop « brut de décoffrage ». Cela ne m'aurait pas déplu qu'ils soient un peu plus complexes, qu'ils aient un peu plus de contrastes, de jeux de lumière dans leur caractère et contour de leurs traits (telle que la mère un peu trop dans son monde à mon goût).
Pour ma part, j'ai trouvé l'écriture assez agréable, pimenté parfois d'un peu d'humour (qu'on apprécie ou pas) et l'histoire assez bien construite. Les différentes péripéties du jeune narrateur, les équipées nocturnes créent assez de suspense et donc d'intérêt. Et il est évident que le sujet de l'architecture new-yorkais a dû demander pas mal de recherches en amont.
Au final, j'ai apprécié la lecture sans éprouver de grandes bouffées de plaisir. Il est cependant assez difficile de le recommander à d'autres lecteurs types. L'histoire racontée par le truchement d'un jeune adolescent pourrait convenir plus à de jeunes adultes (je m'écarte de la cible, donc). Mais, les nombreux détails architecturaux ou encore les longues explications de l'enlèvement des ornements que nous donne l'auteur sont relativement techniques (les matériaux, les outils utilisés, etc.). Il faut parfois s'accrocher (c'est le cas de le dire) pour visualiser exactement leur position, leur escalade et comment ils procèdent afin retirer les gargouilles des façades et cela nuit un peu à la fluidité de la lecture (J'étais plus à l'aise avec les références cinématographiques ou musicales).
Sans parler des références géographiques et historiques (ces quartiers et bâtiments de l'époque, etc.) qu'un français lambda ne connaît pas forcément. le jeune lecteur français pourrait alors être tenté de sauter les passages les plus abscons et, à l'aide d'un grossier burin, faire ainsi de grossières tailles dans l'oeuvre.
Dans l'idéal, il faudrait que le lecteur ait moins de trente ans, que l'un de ses parents soit américain ou ayant vécu à Manhattan dans les années 70, avec un grand-père passionné d'architecture et un oncle féru d'alpinisme. Cela nécessiterait en plus qu'ils soient bien entendu tous présents lors de la lecture du roman par le jeune lecteur, prêts à l'éclairer et à l'assurer lors de son escalade (armés d'harnais et de mousqueton) (le passage sur les jeunes écoutant l'exposé d'un des pères scientifique spécialiste du point G fera marrer le jeune, mais le grand-père peut-être moins).
Même si un lexique n'aurait pas été de trop, c'est finalement le petit plus à la lecture de ce roman : aller sur internet pour comprendre ou me rappeler les termes architecturaux (les ordres architecturaux : dorique, ionique, etc. ou encore les cariatides, les oves,...), trouver les images des édifices dont il est fait mention (Le Bogardus, Pennsylvania Station, etc.). Grâce à cela, j'ai découvert un peu de la culture et de l'histoire de New-York, ses quartiers et magnifiques monuments.
En les découvrant de visu, je comprenais mieux la désolation du père devant ces magnifiques oeuvres d'art sur le point de disparaître. Ses carences en matière de devoirs paternels, ses comportements extrêmes et illicites parfois agaçants avaient tout à coup une autre portée.
Nous, les français, fiers de notre patrimoine, que ressentirions-nous si on démolissait le Musée d'Orsay pour en faire une gare des plus modernes et froides, si on mettait des fast-foods (un magasin Eurodisney, etc.) tous les deux mètres sur la plus belle avenue du monde ? (Ahh, ça, c'est déjà fait ? Bon…), si on rasait le palais des Papes ou encore un des châteaux de la Loire pour en faire un building ou encore un gigantesque centre commercial ??