l'été - René Frégni - Folio - Lu en mars 2019.
l'été ! La saison de toutes les folies, de toutes les beautés, de tous les possibles mais aussi de toutes les noirceurs.
Et sous la plume de René Frégni, s'y ajoutent la magie, la poésie et le rêve.
Paul aime les femmes, toutes les femmes, en travaillant dans son restaurant, le Petit Farci, quelque part dans le sud de la France, ils les observe, celles qui viennent manger, celles qui traversent la place, celles qui font leurs courses "Sans qu'elles le sachent, j'ai caressé tous les seins de la ville en faisant la plonge" page 9.
Mais c'est sur Sylvia que son regard va chavirer, lorsqu'il la croise un soir assise sur un rocher face à la mer occupée à écrire. "Déjà j'attendais cette femme qui venait de percuter ma vie comme un météore de lumière" page 25.
Mais qui se cache derrière le beau visage de Sylvia ? Qui est-elle vraiment ?
Seul Tony, l'ami et associé de Paul, fin cuisinier, flambeur au Casino a deviné et met en garde Paul qui n'a que faire de ses conseils, fou qu'il est de cette jeune et si belle femme. Car Sylvia a la beauté d'un ange et du diable. "J'étais perdu et heureux comme un homme qui attend une pluie d'or" page 44.
Il n'a plus qu'elle en tête, il n'a plus qu'elle dans son corps, il n'a plus qu'elle dans son coeur. "Toutes les femmes sont en elle ai-je pensé" page 55.
Paul est déboussolé.
Hélas, cela ne pouvait pas durer. Il y avait Alteno le peintre de l'obscur, le peintre de la fureur, la jalousie dévorante des deux hommes et les petits jeux de Sylvia.
Paul commettra l'irréparable, il y perdra son âme et sa santé.
Un jour, après l'avoir revue une dernière fois, il monte dans un bateau et part se reconstruire.
Il règne dans ce livre une ambiance tendue à l'extrême qui côtoie la douceur, la beauté, l'horreur. le tout enrobé par les parfums et les paysages superbement décrits par l'auteur. " L'heure de s'asseoir dans un jardin public sous le vacarme des rossignols et le parfum des citronniers. L'heure de comprendre ou d'oublier. Comprendre ce que j'avais fait. Je venais de tuer une partie de ma vie" page 139.
Et voilà, j'ai largué les amarres le temps de lire ces 139 pages et me suis laissée porter par les mots sur les vagues de l'écriture de René Frégni.
Je viens d'accoster, je suis ailleurs, quelques part dans le sud de la France.
Et j'ai commandé dans ma librairie préférée, encore 5 de ses livres.
Je vais entamer "La fiancée des corbeaux" pour rejoindre son Isabelle, une autre femme de sa vie.
Je suis devenue accro de cet auteur vous l'avez compris.
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Je poursuis ma rencontre avec les livres de René Frégni. Je reviens cette fois très en arrière, vers une œuvre de fiction qui s'appelle l'Été, parue en 2002.
L'été, chez René Frégni est une saison brûlante comme le vertige du désir. C'est quelque chose de sensuel et d'incandescent. C'est l'été du sud, de Marseille ou de Manosque, deux endroits chers à l'auteur. Peut-on parler d'un été camusien, noir et jaune qui sont les deux couleurs du soleil chez Camus, la lumière qui nous captive au bord de nos rivages et celle qui nous dévore en dedans ? Oui, il y a quelque chose de cela ici, vif et tranchant comme la lame d'un couteau dans l'éclat de la lumière renvoyée par le ciel au-dessus de nous.
L'Été, c'est en effet une histoire qui commence par la douceur des mots, la nonchalance d'une saison presque banale qui s'étire dans la paresse.
Le narrateur s'appelle Paul et tient un restaurant en bord de mer dans le sud de la France avec son ami Tony. Tout se passe bien jusqu'à la venue de Sylvia. Voilà, le décor est planté. Je pourrais m'arrêter là et vous proposer de continuer seuls à poursuivre le roman sans moi. Mais déjà vous sentez que quelque chose survient, que ce n'est pas une rencontre ordinaire, qu'il va se passer quelque chose de fort, de tragique aussi.
Je vais quand même vous dire deux ou trois mots sur ce roman court de cent trente-neuf pages. Un récit fulgurant qui ne m'a laissé en paix que lorsque je l'ai terminé. Et encore...
Une femme donc survient dans cet été aux allures désinvoltes. Ici c'est encore calme. Nous sommes au bord de la saison estivale. Dans quelques jours, les touristes vont arriver en masse.
Sylvia est belle, mystérieuse, troublante. Un petit cahier l'accompagne sur lequel elle griffonne des notes, des phrases, assise sur une petite table, à la terrasse d'un café en plein soleil, ses jambes nues croisées qui attirent ce soleil brutal. Paul la remarque et ne reste pas insensible à cette présence lumineuse. Il s'en approche. Souvent, je pense à cette image du papillon de nuit, attiré, enivré, par le feu de la bougie, ses ailes effleurent les flammes tout en demeurant à une distance suffisante, sinon elles s'enflammeront. Pourquoi Paul s'est-il approché si près ce jour-là du feu et de la destruction ?
C'est elle pourtant qui a mis de la distance au départ, refusant ses avances, disant qu'elle préférait l'amitié si belle et si douce à l'amour trop souvent destructeur. Comment ne pas la croire ? Paul se laisse prendre au jeu.
C'est une rencontre avec le bruit des vagues, le rire des oiseaux qui effleure l'onde, le ciel qui se courbe sur la peau nue de Sylvia, la caresse du soleil qui se love sur ses courbes généreuses. Ce sont des instants volés à l'éternité, à ce qui viendra après, tout cela peut attendre encore...
Sylvia dit qu'elle vit avec un homme, c'est quelque chose d'étouffant, elle ne peut s'en détacher, c'est un artiste, un peintre, il s'appelle Altona. Elle dit qu'elle a besoin de la tourmente et du tumulte auprès d'Altona, mais qu'elle aime aussi trouver l'apaisement dans la relation auprès de Paul. Pourtant, il y a ce qu'elle dit, il y a ce qu'elle fait...
Il y a, en elle, quelque chose de fatal
Puis Sylvia disparaît, ne donne plus de nouvelles. Paul ne dort plus. Il pense à elle tout le temps. Sa relation avec Tony se détériore. Il devient fou, le silence de l'attente le broie dans cette absence d'elle.
Les nuits sans sommeil s'égrènent comme les marches d'un escalier dans lesquelles on trébuche jusqu'à la désescalade.
Sylvia apparaît comme une femme mal aimée, blessée, et ses blessures secrètes deviennent comme des puits sans fond où s'enfoncer encore plus dans le vertige devient comme une obsession pour Paul.
Paul devient jaloux.
Un soir, Sylvia appelle Paul, elle est totalement désemparée... Elle appelle au secours... Voilà, je n'irai pas plus loin dans le récit. L'Été est l'histoire d'un amour incandescent et tragique, vous savez, cette chose qui brûle au fond de nous, parfois on y est un peu pour quelque chose mais souvent on n'a pas vu la trainée de feu arriver, on n'a rien voulu entendre, c'est un peu comme Paul qui ne veut pas écouter Tony.
Ce roman court est une plongée sans fin dans les méandres de nos terres intimes où gisent le désir, la jalousie, la capacité de détruire l'autre et soi-même. Il y a des étoiles qui brûlent le ciel, elles brûlent aussi les yeux et les coeurs de ceux qui s'en approchent.
Et pourtant, les papillons de nuit que nous sommes aiment rejoindre la cruauté de la lumière. Même sous nos paupières, cette lumière nous poursuit inlassablement.
Une voix pourtant nous intime de retrouver les terres perdues de notre enfance. Mais comme Paul, nous n'entendons rien, nous posons nos mains sur nos oreilles et avançons fébrilement sur le fil tendu vers le soleil brûlant, noir et jaune, le soleil camusien...
J'ai aimé ce récit vif et alerte, même si ce n'est pas celui que je préfère de cet auteur que j'appris à connaître au fil de quelques ouvrages et que j'aime beaucoup. Je préfère le côté "autobiographique de cet écrivain à son côté "fiction", étrangement il me paraît plus achevé. Je reconnais pourtant ici un pan intime de son chemin, quelque chose de sensuel et de douloureux, quelque chose d'essentiel comme une pierre qui donne un sens à son œuvre ; je soupçonne que Paul a quelque chose à voir avec l'auteur, lui ressemble étrangement. La candeur, la spontanéité, l'aveuglement du narrateur pourraient prêter à sourire, nous pourrions dire poliment, quel fou ! Mais une humilité de derniers instants nous oblige à nous retenir avec pudeur, contempler le désastre dans lequel Paul s'embrase, dire que peut-être nous n'aurions pas fait mieux... C'est magnifiquement écrit, c'est brûlant et poignant. C'est comme le reflet de la lame d'un couteau dans le ciel d'été qui bascule. Désolé, mais moi je chavire...
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J'ai loué une petite chambre dans le premier hôtel du port. De la fenêtre je voyais des grues, des containers, des docks. La mer derrière la jetée.
Dans tous les ports du monde il était l'heure de commander un café, assis devant un guéridon de marbre ou debout au comptoir avec des oiseaux de nuit et des marins. L'heure de regarder les bateaux disparaître dans l'or et la brume. L'heure d'ouvrir un journal, de rentrer se coucher. L'heure de la confiance. L'heure d'avoir envie d'une paire de seins ou d'un croissant chaud. L'heure de monter dans son camion. L'heure de se cacher. Celle de naître ou d'abandonner. L'heure de s'asseoir dans un jardin public sous le vacarme des rossignols et le parfum des citronniers. L'heure de comprendre ou d'oublier. Comprendre ce que j'avais fait. Je venais de tuer une partie de ma vie.
… Laver les verres et les tasses, debout derrière le comptoir, en regardant les femmes traverser la place, voilà mon plaisir. Les voir surgir des ruelles et s'avancer en toute saison, élégantes, sûres d'elles et parfumées pendant que l'eau chaude ruisselle sur mes mains. C'est comme si je glissais mes doigts sous leurs pulls de coton, mes doigts tendus vers leurs beaux seins pointus.
Sans qu'elles le sachent j'ai caressé tous les seins de la ville en faisant la plonge. Chaque fois que je prends une tasse je caresse un sein.
Je connais les horaires de chacune d'elles. La pharmacienne s'avance la première, apparaissent presque aussitôt les employées de mairie, celle de l'état civil et celle des cartes grises, puis la libraire et la retoucheuse du Jardin des robes. Les coiffeuses arrivent avant moi, je le regrette, elles sont plus troublantes les unes que les autres avec leurs cheveux rouges, blond doré ou noir corbeau. Je me fais couper les miens une fois par semaine. Pendant le shampooing je ferme les yeux.
Notre place est un petit théâtre à l'italienne, conçue pour les rencontres et l'amour comme d'autres sont faites pour vendre des légumes ou faire pisser les chiens.
Je ne finis jamais la vaisselle le soir, la ville m'appartient dès que le soleil touche le premier clocher.
Début mai, cela fera un an que nous avons ouvert Le Petit Farci avec Tony. Il aurait aimé quelque chose de plus classe comme enseigne, Côté place par exemple, ou La Belle Époque. Un restaurant distingué avec des nappes blanches, de la musique discrète et un petit bouquet de fleurs fraîches sur chaque table.
C'est le meilleur cuisinier de la ville, moi je n'étais pas du métier. Je les ai tous faits. J'ai trouvé le nom, il les réussit comme personne les petits farcis, les aubergines à la parmesane aussi.
Chaque matin je fais l'ouverture. Je n'allume que le comptoir. Je me fais un café dans un verre et je mets les Gipsy Kings. Toutes les chaises sont encore perchées sur les tables. J'aime rester seul un moment dans cette salle vide et propre qui sent le café, en écoutant Gitano Soy, Madré Mia ou Tu Quieres Volver.
C'est l'heure où les pies désertent les platanes qui protègent leurs nuits et foncent en smoking vers les collines. Ma première gorgée de café je la bois avec les Gitans aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
Elle s'est mise à parler sans respirer.
Je ne sais pas pourquoi je suis née. J'ai grandi dans une maison vide. Mes parents ne pensaient qu'à leur vie. Ils me laissaient seule des nuits entières. Ma mère ne regardait que mon père. Chacune de ses paroles, chacun de ses gestes était pour lui. Elle était envoûtée. Elle pouvait me marcher dessus sans me voir, passer des jours sans m'adresser la parole. Personne ne se souciait de moi. Ils rentraient à l'aube ivres de plaisir. Le rire de ma mère déchirait mon coeur. Pas une seule fois elle n'est entrée dans ma chambre embrasser mon front. Elle embrassait tout le corps de mon père avec des râles effrayants. A 15 ans je pesais 85 kilos. J'avalais tout ce qui me tombait sous la main. Dès qu'ils partaient, je dévalisais les placards, le frigo. Je vidais les pots entiers de confiture avec mes doigts, je mangeais des kilos de viande crue.
Tu n'as pas remarqué sur mes fesses les vergetures ?
Ce ne sont pas des marques de cravache. Crois-moi, j'aurais préférée être battue plutôt que cette indifférence. Les fessées de ma mère, je les auraient bénies. Rien. Jamais un regard, une caresse... Quelques temps plus tard j'étais anorexique, je ne pouvais plus rien avaler. La moindre nourriture me faisait vomir tripes et boyaux. Je suis tombée à 35 kilos. On m'a mise dans une clinique psychiatrique. Des assistantes sociales sont venues enquêter, ma mère a été déchue de ses droits parentaux. Pendant six mois je suis resté dans cette clinique à avaler des cachets, à tourner dans un bâtiment avec cinquante folles. Folle, j'étais persuadée de l'être moi aussi. Ma mère m'avait tellement répété que j'étais égoïste, méchante et ne pensais qu'à moi. Oui, Paul, je me sentais coupable d'avoir été depuis ma naissance insensible et cruelle. Coupable d'être née. J'étais seule sur cette terre où personne ne m'avait attendue, aimée. Partout, je n'étais qu'un poids.
"Plus on attend les gens, moins ils viennent. Je suis descendu l'attendre au bistrot d'en face. A travers la vitre, je la guettais. J’apercevais aussi le va-et-vient du Petit Farci, entre la fontaine et les platanes. Ça ne m’intéressais pas. Tous les quarts d'heures j'allais dans la cabine composer son numéro. Personne. Les gens surgissent dès qu'on ne les attend plus."
"Je serai concise, c'est pourtant un style que je déteste. La concision tue toute chose. L'essentiel réside toujours dans les détails."
Nouvel horaire pour l'émission "Le coup de coeur des libraires" sur les Ondes de Sud Radio. Valérie Expert et Gérard Collard vous donne rendez-vous chaque dimanche à 13h30 pour vous faire découvrir leurs passions du moment !
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Henri VIII de Cédric Michon aux éditions Perrin
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Chroniques de la prépotence de Pierre Bisbal aux éditions L'Harmattan
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Quand cessent les combats de Pierre Bisbal dit Gourdan aux éditions L'Harmattan
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Minuit dans la villes des songes de René Frégni aux éditions Gallimard
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Il n'y a pas de Ajar : Monologue contre l'Identité de Delphine Horvilleur aux éditions Grasset
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Vivre avec nos morts: Petit traité de consolation de Delphine Horvilleur aux éditions Livre de Poche
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Féminin de Claire Touzard aux éditions Flammarion
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La Trilogie royale (François 1er, Henri IV, Louis XIV) de Gonzague Saint Bris et Jean-Marie Rouart aux éditions Télémaque
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Gonzague Saint Bris, le dernier dandy de Jean-Claude Lamy aux éditions L'Archipel
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Super bande de potes de Smriti Halls, Steve Small aux éditions Sarbacane
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