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Critique de HordeDuContrevent


« Chacun de nous devrait commencer sa journée par un café et quelques mots dessinés sur un cahier rouge », par lever les yeux au ciel pour accueillir les premiers rayons de soleil perçant la coquille noire de l'obscurité, déguster le breuvage ancestral, emmitouflé.e de l'écharpe rose orangée de l'aube, comme si la nuit était venue se réfugier dans la tasse ; observer à l'heure bleue le rosier aux fleurs fanées découpé en ombre chinoise qui n'apprécie guère notre procrastination pour enfin le tailler, les branches de l'albizia dont les éphémères fleurs à pompons roses virevoltent dans une dernière danse, tout en ayant dans le noir de l'iris le reflet de la blancheur immaculée de la page vierge bientôt remplie de signes, telles de faibles pattes d'oiseaux impatients sur la neige fraichement tombée.

Du mercure au coeur
Cette nostalgie d'alcôve
A l'automne roux
Odeur du chocolat chaud
Toute embrumée de silence

Chacun de nous devrait commencer sa journée par se dire - Je suis vivant, profitons-en ! -, avaler toute la beauté, celle d'un corps nu niché chaudement contre nous en position foetale, celle d'un sein palpitant qui tient dans la paume comme une pomme sacrée, celle d'une nature en éveil, d'un écureuil furtif venu sauter de branches en branches, avaler cette beauté « jusqu'à la pointe éblouie de chacun de nos nerfs », et avoir pour seule volonté, dans les heures qui viennent, de se contenter des joies paisibles que nous offre la vie : « marcher, écrire, dormir, aimer une femme, entrer l'été dans l'eau fraîche d'une rivière, m'étendre nu sur des galets blancs de lumière, manger le plat du jour dans le premier bistrot d'un village, demander une paire de boules et me joindre à ces hommes qui ne semblent pas avoir d'ombre, même au soleil, ils s'interpellent, rient, balaient le sol du plat de la main, font trois pas et lèvent les bras au ciel. Reprendre la route et regarder tout ce qui bouge, détale, embaume, étincelle, pousse, s'envole, rampe, frémit, hurle, s'émerveille, s'enfuit, surgit, se décompose, renaît ».

La vieillesse cogne
De ses impatientes mains
A l'huis de ma vie
Consciente de n'être pas plus
Qu'une goutte sur la vitre

Chacun de nous devrait commencer sa journée par accepter sa part incompréhensible, sa part de sauvagerie, ses ombres barbares qui poussent parfois à prendre des décisions nous mettant en danger, voire en grand danger, qui nous empêchent de laisser tranquillement couler sa vie, paisiblement. Parfois par simple amitié, par générosité, par empathie. Cette inconscience qui nous pousse au rebord de la société, acculé aux lisières. Transformer cette obscurité, y voir de la lumière et de la joie. Savoir rire et être touché.e dans les moments graves même si nous en sommes la cause. Puiser dans le travail la ressource nécessaire pour passer les étapes les plus sombres et passer de la rive tumultueuse des eaux sombres et déchainées pour celle, verte, du lac calme du quotidien. Assumer. Savoir partir pour protéger ceux que l'on aime. Disparaitre. Et écrire inlassablement car « Dès que j'écris quelques mots, un peu de calme revient, un peu de sagesse, d'équilibre. Écarter la tempête de la pointe de mon stylo. Me raccrocher à la blancheur des pages, aux fines lignes violettes, si rassurantes, si immuables ».

Parfum de dragée
Le ciel est d'un blanc d'acier
Qui blesse les yeux
Enrobant d'un silence rond
Mes rêveries les plus noires

Chacun de nous devrait commencer sa journée en plaçant la sensualité et la poésie au coeur de tout, malgré tout, oser l'extase des aubes rosées, ne jamais perdre son âme d'enfant, s'émerveiller, voir en lieu et place des nuages des formes animalières : « du hangar, j'observe le mouvement de ces forteresses de nuages, elles sont arrivées en un instant, en un instant elles entrouvrent une porte massive, derrière d'épaisses murailles apparaît un ciel couleur de gentiane ».

Le kimono rouge
Dans la tiédeur de la pièce
Effleuré d'un doigt
Sur la soie coquelicot
Fleurissent de noirs pavots

Chacun de nous devrait commencer sa journée par lire quelques pages de René Frégni pour sentir sa sensibilité et surtout sa poésie éclore à fleur de peau, pour aimer davantage la vie, malgré les coups durs, aimer les mots et l'écriture, pour être réellement dans une attitude de pleine conscience toute la journée. Savourer l'ici et le maintenant. Pour être davantage humain. Pour sentir le soleil du sud caresser sa peau, sentir les effluves moelleuses d'un risotto aux artichauts, imaginer le croquant d'un nougat aux amandes de Provence ou d'une navette de Saint-Victor, l'amertume du génépi ou du pastis, l'onctuosité d'un gratin de ravioles ; écouter le bruit des petits verres de blancs dans les bistrots, ainsi que celui des boules qui s'entrechoquent ; sentir le mistral à senteur de lavande, de résine tiède et de thym, parfois de pétrole, s'infiltrer et purifier tous les interstices de notre être, fouler d'un pied léger un tapis scintillant de myosotis sous une guirlande de chardonnerets, se fondre dans l'élégant argenté des oliviers…

D'autant plus qu'en ce mois de septembre, en ce jour si particulier, dehors il faut mauve et, déjà, la vie hésite.

Cueillir des dahlias
Pieds nus dans la brume
A l'aube automnale
Savourer ce qui ne change pas
Depuis la nuit des temps



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