Parfois il nous arrive d'aborder un livre, non pas pour son histoire à proprement dit, ce qu'elle peut raconter, mais pour tout autre chose, c'est-à-dire les à-côtés du livre, ce qui se promène sur la marge, sa petite musique, ce qu'il prépare en souterrain, le sens qu'il donne déjà à l'empreinte d'un écrivain dont, quelques livres plus tard, celui-ci vous devient familier, presque un ami, ses mots vous semblent fraternels, chaleureux, comme s'ils étaient écrits simplement pour vous. Une main apaisante, avec le soleil de Provence qui se glisse sous la peau, quelques cerisiers en fleurs, des cris de joie, des cris de révolte, des doutes aussi qui effleurent cette même peau quelques pages plus tard... Je suis heureux d'être entré par l’œuvre plus autobiographique que romanesque de René Frégni car elle me parle davantage, même si les deux pans de cette oeuvre se parlent, se conjuguent, finissent par former un même chemin. Dans la partie romanesque, chaque personnage, à commencer par le narrateur, ressemble un peu à sa vie. C'est à force de côtoyer son oeuvre, s'en approcher au plus près, sentir la tendresse de ses pages, qu'on finit par le déceler. Et dans ses récits plus autobiographiques, il y a des personnages romanesques qui se mêlent à la réalité.
On ne s'endort jamais seul est bien un roman, un roman noir.
Ici au premier abord, l'histoire ne m'a pas franchement emballée. Non pas parce que le thème est totalement rebutant, portant entre autres sur les réseaux pédophiles et tout l'envers glauque d'un décor qu'on ne soupçonne pas, derrière des vitrines de magasins d'apparence anonyme ou des pavillons silencieux perdus en rase campagne. Le fait divers sur lequel repose l'histoire est en effet particulièrement ignoble et sordide. Mais il m'a semblé que le scénario était un peu cousu de fils blancs, même si le suspense se veut haletant. Difficile d'y croire un seul instant et d'être pris par l'intrigue.
Non, le roman vaut pour tout autre chose. Les personnages sans doute, mais bien plus que les personnages et l'âme fragile qui traîne autour d'eux, il y a un paysage propre à l'univers de René Frégni qui s'installe ici.
Antoine est facteur. Il est veuf depuis peu. Sa fille Marie, sept ans, est tout pour lui. Il y a comme un rituel chaque soir. Après la pétanque, à dix-sept heures, il va chercher sa fille à la sortie de l'école. Mais voilà, ce jour-là il a un quart d'heures de retard, pour des broutilles, et Marie n'est déjà plus là. Marie a disparu. Bientôt le constat est sans appel : Marie a été kidnappée.
Le hasard permet à Antoine De renouer le contact avec un ami d'enfance, Jacky Costello, qui a purgé une longue peine de prison, mais demeurant toujours un caïd du grand banditisme marseillais... Par amitié, Jacky Costello s'engage à aider Antoine.
La douleur d'Antoine ressemble à un précipice. René Frégni pose des mots sensibles sur ce trou béant. Plus tard, la douleur fait place à la rage, à l'abattement d'un homme seul, effondré, prêt à se laisser couler dans ce trou béant, mais l'amitié a cette magie capable de créer des sursauts improbables et c'est là que se construit le ressort principal permettant la résolution de l'intrigue.
Dans le personnage d'Antoine, j'ai reconnu un père, ce père qu'est aussi René Frégni à d'autres endroits lorsqu'il nous parle de sa fille, Marilou, dans plusieurs de ses livres.
Le personnage de Jacky Costello revient souvent dans d'autres récits et sous d'autres identités, René Frégni s'est construit des amitiés solides dans le milieu carcéral, notamment par le biais des ateliers d'écriture qu'il a longtemps animé aux Baumettes ou dans d'autres prisons.
Plus tard dans le roman, comme un soleil, celui de Provence, dans l'arrière-pays au-dessus de Marseille, il y a l'institutrice de Marie qui vit avec son père Lili, il a quatre-vingts ans, s'occupe encore de ses arbres, les taille, prend soin d'eux. Comment ne pas retrouver ici ces personnages que j'avais découvert avec tant d'empathie dans ce livre qu'est La fiancée des corbeaux. Camille Ferréol, l'institutrice, ressemble comme deux gouttes d'eau à la fameuse Isabelle qui m'a tant ému dans La fiancée des corbeaux, par sa tendresse, une présence, une attention, une façon de cueillir le soleil dans son regard, le contour de ses seins comme une promesse à venir.
Ici il est question aussi des vivants parmi les morts, à la faveur d'une citation biblique. C'est peut-être déjà un prémices de ce que sera le livre Les vivants au prix des morts.
Voilà, ce livre est intéressant pour tout cela. Une sorte de « galop d'essai », pour reprendre une très belle expression, citée à propos, par une de mes amies Babelio, mais j'invite les novices, celles et ceux qui ne connaissent pas encore l’œuvre de René Frégni à entrer par d'autres portes, comme je l'ai fait naguère.
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Un petit Fregni pour la route !
Un polar bien marseillais, hommage à Izzo, fraîchement disparu, où le facteur Antoine, transformé en loque clochardisée de douleur par l'enlèvement de sa petite fille Marie, prunelle de ses yeux, bouffe soudain du lion pour la retrouver , l'arracher aux pédophiles très- vilains -pas -beaux qui la détiennent, et leur faire croquer les pissenlits par la racine.
Le fregnimane averti aura tôt fait de reconnaître René sous les traits d'Antoine, Marilou, transparente sous Marie, d'identifier , derrière Jacky , Toni, le ganster-sauveur-au-grand-coeur, et dans le personnage de Camille Ferréol, institutrice compatissante aux seins réconfortants, la douce Isabelle, la Maîtresse des corbeaux ...
Du coup, la fiction policière un peu outrée, pas vraiment crédible, devient, pour les amateurs que nous sommes, un galop d'essai romanesque de personnages qui vont bientôt, comme leur auteur, sauter de plain-pied et tels qu'en eux-mêmes , de la vraie vie au livre, quand Fregni, affranchi de la fiction, se fera confiance, et comprendra que son monde, poétique, rebelle et ensoleillé , est un univers romanesque à part entière , et qu'on l'aime tel qu'il est, tout frais sorti de ses carnets..
Pour notre bonheur plus grand et pour notre plus grand bonheur!
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Jusqu'à maintenant, je n'ai lu de cet auteur que j'affectionne, des romans qui nous aident à apprécier les petits plaisirs de la vie. Les côtés sombres étaient cependant présents. Cette fois, c'est plus que noir, puisqu'il y parle de pédophilie, écrit à l'époque de l'affaire Dutroux. Sa fille se fait kidnappée à la sortie de l'école. Il l'élève seul et est facteur. L'histoire met en avant la solidarité et les valeurs des caïds et prostituées. Une ambiance marseillaise qui n'est pas sans penser à Izzo. Y sont présents, tout de même, les seins de l'institutrice.
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Une écriture qui fascine. J'ai fini ce roman, en sautant quelques pages qui me semblaient insupportables. La descente aux enfers est décrite sans fioriture. La remontée est aidée par des personnages qui m'ont parus très stéréotypés. La prostituée au grand coeur, l'ami-caïd fidèle entre les fidèles, l'institutrice fleur bleue.
Le dénouement est improbable.
La fin m'a laissée perplexe
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