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EAN : 9782021052732
276 pages
Seuil (02/02/2012)
3.95/5   19 notes
Résumé :
"Historia argentina", 1991 ; traduit de l'espagnol sous le titre "L'Homme du bord extérieur", puis sous le titre "Histoire argentine".
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Roman éclaté sous forme de nouvelles courtes qui, tout en aspirant à exister séparément, tenteraient en même temps de converger - sans jamais y réussir complètement- vers un seul et même lit romanesque, HISTOIRE ARGENTINE- L'HOMME DU BORD EXTERIEUR fait penser à un kaléidoscope que le lecteur ferait tourner, constitué de fragments aux motifs symétriques à combiner et à emboîter les uns dans les autres au fur et à mesure que celui-ci avance dans sa lecture. Construction prodigieuse étayée par quelques-uns des principaux mythes de l'imaginaire et la culture populaire argentines, ainsi par des épisodes marquants de l'histoire contemporaine du pays, servant de motif et de toile de fond aux seize nouvelles («chapitres») qui le composent (les gauchos, le foot, les vicissitudes connues par la dépouille d'Eva Péron, les actions terroristes des Montoneros, le retour de Juan Péron en Argentine, le coup d'état militaire, la torture et les disparitions, la guerre des Malouines..) HISTOIRE ARGENTINE est une oeuvre que l'on pourrait qualifier comme étant le résultat d'une sorte «hybridation », où les niveaux de fiction se superposent et les intrigues et les temporalités se structurent et s'imbriquent à la manière d'unités organiques différenciées, quoique solidaires d'une même et étrange créature pluricellulaire : une sorte d'ornithorynque littéraire, et quoi qu'on en penserait en fin de compte, une preuve incontestable de l'intelligence et de l'humour du Créateur..!
Les scories de l'Histoire avec un grand «h» s'immiscent ici constamment dans la «petite histoire», dans le flux de conscience des personnages, dont certains incarnent des doubles plus ou moins avérés de l'auteur (le personnage, par exemple, du «fils qui voulait être écrivain» dans le chapitre intitulé «La Vocation Littéraire ») ; à d'autres moments encore, c'est l'auteur lui-même, en chair et en os, qui fait subitement irruption dans le récit en tant que personnage de sa fiction, ou tout simplement en tant que figurant accessoire, tel un Hitchcock traversant son écran («Le Système Éducatif»).Dans tous les cas, la production et l'accumulation de sédiments mélangeant éléments fictionnels, réflexions sur la création littéraire, souvenirs d'enfance, et résidus historiques se juxtaposent et s'interpénètrent d'une nouvelle à l'autre de manière tentaculaire, pour ensuite bifurquer et brouiller à nouveau les pistes, l'écrivain semblant jouer à désorienter volontairement son lecteur dès que ce dernier s'imagine être enfin arrivé à une destination narrative stable…Non, ce ne sont que des escales provisoires! Pas de bord pour le lecteur non plus où pouvoir s'installer confortablement «à l'intérieur» du récit!
Quelle entrée en matière pour l'auteur! Inclassable et pourtant accessible, drôle et incisif, roman «en désagrégation constante» selon les mots même de son auteur, le livre rencontre dès sa parution un succès immédiat auprès du public et de la critique argentine. Brillant disciple de ses compatriotes émérites, grands maîtres du réalisme magique argentin, Bioy Casares, Borges et Cortázar, auxquels il ne cesse de rendre hommage, Rodrigo Fresán est devenu depuis la publication d'HISTOIRE ARGENTINE en 1991 l'une des voix les plus originales de la littérature contemporaine de son pays. Par l'intelligence de la construction formelle, par la finesse de ses réflexions sur l'inconsistance d'une représentation commune de la réalité environnante partagée par tous, par la transitivité mise en oeuvre entre univers imaginaires parallèles et le monde réel et tangible, par la mise en abîme de différents niveaux de narration, par l'humour pince-sans-rire dont il fait constamment preuve, Rodrigo Fresán, par ailleurs grand copain du chilien Roberto Bolaño qui appréciait aussi énormément son travail, m'a personnellement beaucoup fait penser au grand Julio Cortázar.
L'auteur ne souhaite pourtant pas (et là où probablement on l'aurait attendu «du dehors») être reconnu comme représentant d'un renouveau du réalisme magique argentin. Fresán revendique son appartenance à un autre mouvement ( «pratiqué par un seul auteur : moi-même») qu'il dénomme «l'irréalisme logique». Si l'on considère le réalisme magique en littérature comme «l'irruption du magique dans le réel», nous dit-il, l'irréalisme logique voudrait à l'opposé «faire apparaître des lueurs sporadiques de logique dans l'irréalité du monde».
En l'occurrence, ici, de celle qui avait marqué l'histoire de son pays, notamment dans les années 1970 et 80, au moment de son enfance et adolescence (l'écrivain est né en 1963). «L'histoire argentine est si tumultueuse, si désordonnée, si soumise à des cycles, si intermittente, si amnésique qu'elle prend la forme de nouvelles : elle recommence sans cesse, se réécrit et, lorsqu'elle s'achève, le final est toujours ouvert».

En ce 2 avril 2022, quarante ans donc après la fin de la guerre qui avait opposé le pays à la Grande-Bretagne, les images du discours de l'actuel président argentin réaffirmant la souveraineté de son pays sur les îles Malouines, ou celle de cette grande banderole («MALVINAS NOS UNE») dépliée il y a à peine quelques jours avant un match de l'équipe de foot porteña du Boca Juniors, semblent donner pleinement raison à l'écrivain lorsqu'il déclarait, dans sa postface de 1999, que «L'Argentine comme pays est un très mauvais roman»...
Rodrigo Fresán a réussi avec HISTOIRE ARGENTINE le pari fou d'écrire un livre en train de s'écrire, toujours «du bord extérieur» de l'histoire qu'il raconte, un livre sans véritable incipit et sans point final, sans unité temporelle précise, installé plutôt dans une sorte d'instantanéité de l'écriture, érigée et maintenue en constant devenir. «Open work» d'un écrivain essayant de se regarder «du dehors» en train d'échafauder son récit, et en même temps d'entraîner son lecteur aussi vers une zone liminaire de lecture…
Capisce? Non? Qu'importe : ce puzzle endiablé aux multiples entrées et au découpage surprenant, est en même temps une lecture fort agréable et pas du tout indigeste, qu'on savourera pleinement, certes « du bord extérieur» et devant néanmoins renoncer à la faire rentrer à tout prix dans des cases. Roman de la déconstruction, postmoderne et expérimental ? HISTOIRE ARGENTINE est avant tout, à mon sens, une oeuvre intrigante, un coup de génie littéraire, intelligent et ludique, totalement «suis generis» et, plus important que tout, pour des lecteurs en quête de sensations nouvelles, une lecture absolument jouissive !
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Parfait interprète de sa génération, Rodrigo Fresán symbolise, au moyen de la citation hermétique, de l'énumération précipitée et du récit extravagant, les années pop, leur liberté suicidaire, leur infantilisme nihiliste et leur kitsch halluciné. Ses personnages, des maniaques délirants, se révèlent tueurs ou criminels, paranoïaques ou égarés, cultivant le traumatisme d'enfance. Ils habitent des récits habilement construits sur la base du fragment, où l'énigme policière et littéraire ainsi que son coup de théâtre révélateur représentent un tribut parodique au récit traditionnel.
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Des petites histoires nouvelles qui en créent une grande.

Un fabuleux moment passé en compagnie de ces lignes.

Merci
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Je me demande où s’en va la mémoire après notre mort. Parce que la mémoire, en tant que concept théologique, me paraît plus intéressante et plus riche de possibilités que l’âme. Peut-être, après tout, que l’âme est la mémoire. J’aimerais savoir ce que va penser Srinivasa de tout cela. Srinivasa croit en la réincarnation et il va jusqu’à jurer ses grands dieux qu’il se souvient de divers chapitres d’une vie passée, lorsqu’il était ni plus ni moins qu’un gaucho argentin assailli par des fièvres prémonitoires. Ainsi peut-être, ne sommes-nous que cela, et rien que cela : des mémoires qui, siècle après siècle, se fondent avec d’autres mémoires. Et logiquement il ne serait pas du tout absurde de penser que les mémoires sont mortelles et qu’au bout du compte toutes les mémoires ne seront qu’une, et que cette mémoire totale sera la preuve manifeste de l’existence de Dieu. Ce paradoxe ne manque pas de piquant : le Dieu que nous recherchons depuis l’aube de l’Histoire ne nous apparaîtra qu’à la fin des temps, alors que savoir que Dieu était la somme de nous tous ne nous servira strictement plus à rien.
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J’étais un individu ayant publié un ou deux livres qui, aujourd’hui, me paraissent lamentables. J’avais abouti dans l’Iowa grâce à un système de bourses très compliqué et à des prix littéraires truqués. (..) En ce temps-là, la vie elle-même semblait être construite à partir de la structure parfaite d’un très bon roman. Et c’est ainsi qu’un beau jour j’ai découvert que l’eau de la cuvette des w-c nord-américains s’écoulait dans le sens inverse de celle de la cuvette des w-c de ma patrie, aujourd’hui disparue.
Quelque temps après, j’ai lu quelque part que ce phénomène (à savoir que l’eau ne tourne pas dans le même sens dans les deux hémisphères, et que l’eau s’écoule sans tournoyer du tout si le w-c est installé juste sur la ligne de l’Équateur) porte le nom de force de Coriolis. Je me souviens de m’être alors précipité sur mon carnet de notes pour y écrire à peu près ceci : «Faire allusion dans une nouvelle à ce machin de Coriolis!»
Aussi, si l’on me demande quelle est cette maladie qui frappe un être normal et le transforme en quelqu’un qui écrit, faute de réponse adéquate et considérant que l’eau d’un écrivain tourne toujours en sens inverse, me contenterai-je de répondre la chose suivante :
-Force de Coriolis !
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- Argie, un de ces jours on va faire un film de ma vie, dit Mike.
Mike est australien, Mike est en larmes, Mike est le héros de cette histoire, Mike est en train d’éplucher un oignon.
- Et moi, ce film, je n’irai pas le voir, je lui réponds.
Moi, je nettoie le four. Et la conversation, ou ce que, dans ces lieux, on entend par conversation, se termine plus ou moins comme ça. On nous a bien prévenus que la mise en marche du muscle de la langue est des plus accessoires et injustifiables et, qui plus est, ne contribue en rien à la perfection de toute chose.
Mike a encore quelques kilos d’oignons à éplucher, quant à moi, il me reste encore deux ou trois fours à nettoyer. Le plat pour lequel travaille Mike s’appelle «seaside fantasy», et les oignons, il faut leur donner la forme de ces petites étoiles qui évoluent au fond des mers. Au fond des mers, ce lieu où, d’une façon ou d’une autre, plus ou moins tôt, nous nous retrouverons tous.
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À mon humble avis, T.E. Lawrence est le paradigme de l’homme du bord extérieur. Le bord extérieur, c’est cet endroit imprécis où il n’y a de place que pour un seul homme. Ce n’est pas un côté, ce n’est pas l’autre, ce n’est pas cette idéologie, ce n’est pas cette autre. C’est tout simplement le bord extérieur. Et choisir le bord extérieur, c’est choisir la plus euphorisante des solitudes. (…) Je pense à Lawrence, tout de blanc vêtu, faisant son entrée dans Akaba, au bord de la mer Rouge, ou bien écrivant sous le halo diffus d’une lampe à kérosène ; ombres arabes sur les parois de la tente qui, après la chaleur, crisse sous l’effet du froid. Lawrence en ange exterminateur, massacrant les Turcs à Damas, impuissant et viril comme le vent du désert. Et des années plus tard, Lawrence, plume en main, qui couche tout cela sur le papier (…) Lawrence se faisant appeler Ross afin de pouvoir s’engager dans la Royal Air Force. Lawrence se faisant appeler Shaw afin de pouvoir s’engager comme simple soldat dans le Royal Tanks Corps. Lawrence se faisant appeler Peter O’Toole afin de pouvoir jouer dans le film de sa vie.
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Vidéo de Rodrigo Fresan
Rodrigo Fresans'entretient avec Sylvain Bourmeau à l'occasion de la parution de son roman "Le fond du ciel" (Le Seuil), l'un des 30 livres de la rentrée littéraire Mediapart 2010.
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