Une formidable relecture de la vie de J.M. Barrie, de son personnage
Peter Pan... et des Sixties.
Publié en 2003, traduit en français au Seuil en 2004 par
Isabelle Gugnon, le cinquième roman de l'Argentin
Rodrigo Fresan (le sixième si l'on prend en compte le "recueil de nouvelles" qu'est "
La vitesse des choses") marque un tournant dans la formidable exploration littéraire jusqu'alors entreprise, car, poursuivant ses discrètes mais profondes réflexions sur le lien entre la narration et la vie,
Fresan s'appuie cette fois sur un univers mythique à part entière, pour en rendre compte et le subvertir : celui de James M. Barrie, le créateur de
Peter Pan.
Au cours d'une longue nuit, un écrivain à succès de littérature pour enfants,
Peter Hook, lui-même fils d'un couple de rockers anglais du "Swinging London" des années 66-67, raconte à un jeune interlocuteur, dont on découvrira peu à peu, par micro-touches, qui il est réellement, la vie de James M. Barrie et l'histoire de la création de l'univers de
Peter Pan, en les rapprochant sans cesse, en une puissante analogie, de l'univers artistique d'enfance éternelle, également, des rock stars et des milieux artistico-littéraires à l'époque de la création de "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band".
Tout en poursuivant la contamination de l'univers (des univers, plutôt - Angleterre victorienne et Swinging London) par la mythologie personnelle de
Fresan, la ville douée d'ubiquité de Canciones Tristes / Sad Songs s'imposant lentement mais sûrement, ici aussi, comme le point focal du monde, localisée occasionnellement "tout près" de Neverland, et le roman ayant été écrit en fait parallèlement à "
Mantra" (un processus d'échange subliminal entre Londres et Mexico est d'ailleurs évoqué par l'auteur dans sa postface),
Rodrigo Fresan questionne comme peu l'ont fait - ou sont capables de le faire - la fonction même de la littérature pour enfants, la manière dont existe ou non une "barrière" entre enfance et âge adulte, entre littérature pour les petits et littérature pour les grands, entre imagination débridée et tentation de cette résignation éternelle qui est bien souvent appelée maturité.
Inventant juste ce qu'il faut dans les interstices biographiques, créant de toutes pièces un univers pop rock sixties bien personnel et ô combien jubilatoire, maniant les codes des genres avec son perpétuel brio,
Fresan réussit à nouveau à imposer son foisonnement singulier au service d'une quête profondément habitée, entre vie et littérature, ou avec littérature-vie.