AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lutopie


L'hystérie, un joli mot, apparu sous la plume d'Hippocrate.
L'etymologie : ὐστέρα, ou matrice en grec, ou l'utérus ou encore " les entrailles".
Quand je pense à la Grèce Antique et à l'hystérie, je ne peux m'empêcher de penser à la Pythie. L'Oracle, accédant à l'extase et à la transe par l'usage de drogues, l'Oracle ou la Voix de la Vérité. On se la représente souvent hystérique cette femme.
Charcot qui s'est intéressé de près à l'hystérie et Freud qui nous intéresse ici sont les disciples d'Hippocrate. L'objectif, c'est de guérir l'hystérie. L'hystérie est une maladie.
Il présente la position du médecin face à l'hystérie et nous dit que "[l]es hystériques perdent [...] la sympathie du médecin" et qu'on considère les hystériques comme des gens qui transgressent les lois et qui outrepassent la science du médecin et qu'alors, on les rejette, on les refoule. - J'ajouterai tout de suite parce que Freud n'en parle pas tout de suite – qu'ils sont les symptômes d'une société malade.
Alors que Charcot considère l'hystérie comme un trouble organique, une affection organique du cerveau, Freud y voit "cet état bizarre et énigmatique auquel les médecins grecs donnaient déjà le nom d'hystérie" (p.11).
Il explique que la maladie et ses symptômes proviennent de "chocs affectifs".
Il nous propose d'examiner le cas de la jeune fille (c'est devenu un mythe fondateur de la psychanalyse cette femme – et des critiques se demandent si ce n'est pas une mystification freudienne – entre autres parce que la psychanalyse n'aurait pas guéri cette femme, Bertha Pappenheim, dite Anna O.). Elle souffrait de pertes de conscience, d'absences,de paralysie partielle, de mutisme ... Elle avait traversé plusieurs phases de deuil et avait dû s'occuper de malades, dans le cercle familial, notamment de son père, de les veiller. L'hystérique avait l'habitude "de murmurer quelques mots qui semblaient se rapporter à des préoccupations intimes" pendant ses absences. La parole – comme celle de la Pythie – a son importance – car elle permet d'accéder à ce qui nous échappe – il s'agira de l'écouter – de l'entendre – de comprendre.
J'ai trouvé ce cas très intéressant. Freud nous dit que "c'étaient des fantaisies d'une profonde tristesse, souvent même d'une certaine beauté – nous dirons des rêveries" (p.14)
Il lui donne peu la parole dans ses leçons sur la psychanalyse et c'est malheureux. C'est l'un des premiers reproches que je fais à Freud. Il donne la parole au malade lors de la thérapie mais il ne donne pas sa parole à entendre ce qui fait qu'on ne se rend pas vraiment compte de la valeur de cette expérience pourtant significative, dans ces leçons. "La malade elle-même, qui, à cette époque de sa maladie, ne parlait et ne comprenait que l'anglais, donna à ce traitement d'un nouveau genre le nom de talking cure ; elle le désignait aussi en plaisantant, du nom de chimney sweeping". C'est tout de même la femme qui a donné son nom à cette pratique de la psychanalyse : la talking cure. Mais moi, c'est la plaisanterie qui retient le plus mon attention, parce que "chimney sweeping", ça me fait immédiatement penser à la poésie de William Blake. Et la malade, nous dit-il, ne communique alors qu'en anglais. On la présente dans les Etudes sur l'hystérie comme une femme qui s'intéresse de près à la poésie. Je me demande si elle ne lui citait pas Blake, justement. Je vous invite à vous reporter au poème de Blake, qui se trouve en deux temps, dans les Chants d'Innocence et dans les Chants d'Expérience. Je trouve que les poèmes de Blake font incroyablement écho à l'histoire de cette jeune fille ( que je n'ai que résumé dans ses grandes lignes). Je crois en la thérapeutique par la poésie, je suis comme ça. La parole libératrice quoi.
Un peu plus tard, Freud nous dit (p.18) qu'elle sort d'un mutisme prolongé "grâce à une poésie enfantine anglaise" ... là encore, il ne précise pas. Freud nous dit que les associations sont toujours signifiantes mais il omet de nous dire ce qu'elle récite à ce moment crucial, ce moment où la parole revient. Il est quelque peu frustrant.
Par contre, j'ai bien aimé quand il parle des traumatismes psychiques. Il appelle les symptômes des "résidus d'expérience émotives" ou des " résidus mnésiques". Je trouve que c'est poétique comme termes. Il avance donc que "les hystériques souffrent de réminiscence" (p.18). Qu'ils sont tournés vers le passé, qu'ils y sont attachés, affectivement. Et qu'un "traitement cathartique" est nécessaire. J'ai bien aimé quand il parle du transfert aussi ( ou c'est la traduction qui m'a bien plu). Il parle du fait que le patient " déverse sur le médecin un trop-plein", de "source", de "fragments", de reviviscence" et il fait une comparaison à la chimie avec ses " précipités d'anciennes expériences amoureuses" qui "ne peuvent se dissoudre et se transformer en d'autres produits psychiques qu'à la température plus élevée de l'évènement du "transfert". Dans cette réaction, le médecin joue, selon l'excellente expression de Ferenczi, le rôle d'un ferment catalytique qui attire temporairement à lui les affectifs qui viennent d'être libérés". C'est assez poétique et même mystique comme vision. Il y a quand même un peu de mystification là-dessous.
La talking cure, c'est assez intéressant, ce travail de traduction, d'interprétation, avec comme matériau l'association d'idées, ou les allusions etc. L'Interprétation des rêves par Freud, ça doit être pas mal. Il en donne un bref aperçu là du travail onirique, il parle de condensation et de déplacement. Je crois qu'il explique un peu mieux ses concepts dans l'Introduction à la psychanalyse. Freud propose néanmoins un bref aperçu de la psychanalyse dans ses leçons et il explique pourquoi il se refuse de recourir à l'hypnose ( et que c'est cette décision qui l'a amené à privilégier la talking cure) et puis Freud n'a de cesse de nous répéter que sa démarche est rigoureusement scientifique.

Il est pertinent de souligner que Freud vulgarise plutôt bien dans les leçons. Quand il parle de résistance et de refoulement, par exemple. Ce que j'ai bien aimé, c'est encore sa comparaison. En bon professeur qu'il est, il s'adapte à son public, et il compare la résistance à un élève qui serait turbulent dans l'amphithéâtre, et le refoulement c'est le fait qu'on le fasse sortir de la salle pour poursuivre le cours et qu'on lui bloque la porte ; mais l'élément perturbateur peut continuer à crier, à déranger le reste du cours (il est comme le symptôme qui désorganise l'organisme).

Un mot sur le mot d'esprit (et je pense que Freud ne devait pas être dénué d'humour enfin j'espère pour lui). Il explique que c'est une manière de dire sans dire – de dire autre chose - et il explique que c'est une manière courtoise, civile, de substituer l'injure. Il donne l'exemple du critique d'art qui ne se permet pas ouvertement d'insulter les peintres qu'il considère comme des voleurs. Au lieu de les traiter de voleurs (ou de larrons) il demande où se trouve le Christ entre les deux tableaux.

Un autre exemple des associations, comparaisons, métaphores de Freud : un apologue, qui se trouve à la fin des Cinq leçons sur la psychanalyse où Freud raconte l'histoire du cheval de Schilda, pour nous parler de l'appétit sexuel. Le cheval a faim et Freud nous dit qu'il suffit de le nourrir si on ne souhaite pas la mort du petit cheval. Le pauvre cheval meurt dans l'histoire, c'est tragique, mais Freud c'est quand même un marrant parce qu'il parle d'un cheval et de la faim pour ne pas parler ouvertement de l'appétit sexuel.

Mais Freud parle énormément de la sexualité et surtout de sexualité infantile, c'est son dada. Je l'admire quand même d'avoir fait sa carrière sur un sujet aussi tabou. Freud, c'est un peu de la libération sexuelle, quand même. Il a pas mal bousculé les convenances, certes. Personnellement, j'ai bien lu les cinq leçons, scrupuleusement même, et il ne m'a pas choquée (mais amusée par moments, parce que ouais, il part dans son délire un peu) mais je lis avec un minimum de distance critique. Il n'empêche que je ne suis pas complètement contre ses théories les plus farfelues. J'attends de lire plus de chose sur la psychanalyse pour me faire une véritable opinion. Par contre, je n'irai pas sur son divan parce que la séance telle qu'il la présente ressemble un peu trop à un interrogatoire pour moi. En plus, Freud il dit que le patient doit s'exprimer sans émettre de jugement critique ( Ouais mais moi Freud, comment que je fais ? Je fais de l'auto-critique tout le temps !) En plus, le patient se doit d'accorder une grande confiance au médecin ... avec moi, c'est pas gagné ouais, je me défie de cette profession.

J'ai nettement moins apprécié la Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique que je ne vous recommande pas sauf si vous avez envie de découvrir le personnage de Freud, un Freud un peu grognon et même carrément hargneux ( il est peut-être hystérique - pardon Freud, je retire mes propos, oui oui !) Freud se lance dans l'auto-justification et il insiste sur son rôle majeur dans l'émergence de la psychanalyse. Il se pose limite comme "le seul représentant de la psychanalyse" à la fin du chapitre 1 comme un héros solitaire, décrié par ses contemporains. Puis il parle de sa petite vie avec ses collègues, tout ça. Il y a pas mal de mauvaise foi je crois là-dessous. Enfin, j'en sais rien. Il m'a bien fait rire quand même, à bien insister sur ceux qui ne l'auraient pas inspiré, comme Schopenhauer ( il a découvert un peu par hasard, nous dit-il, que Schopenhauer avait écrit avant lui des choses qu'il croyait avoir découvertes – mais du coup il les a quand même découvertes hein) et il se défend d'avoir lu Nietzsche parce qu'il ne voulait pas être influencé. Mouais mouais mouais Freud. Je ne sais pas pourquoi il ressent ce besoin de se justifier. Il se pose comme thérapeute pour sa défense. Mais la littérature ne peut-elle pas être thérapeutique ? Après il parle encore de ses collègues ( rolala !), de ses disciples qui propagent le christianisme – euh pardon la psychanalyse – ou de ceux qui font pas comme il veut et ça l'agace. Leurs désaccords tout ça blablabla. Il est pas très gentil avec Jung mais je m'en fous Freud, je le lirai quand même Jung.

Voilà voilà ! Donc la Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique, ce fut pénible à lire et j'ai bien failli décrocher et les Cinq leçons, c'est pas mal du tout, parce que la psychanalyse appliquée à la littérature, moi je trouve ça intéressant et que Freud, il a ouvert la voix sur pas mal d'interprétations. Freud recommande l'analyse (logique). Il parle d'ailleurs de la nature de la création poétique (p.134) et même de la critique littéraire (la critique psychanalytique) dans la dernière leçon.
J'ai toujours la Psychanalyse des contes de fées de Bettelheim dans mes livres à lire et c'est prometteur ! De la sexualité infantile sublimée par la littérature, je crois que ça me parlerait un peu plus que les essais de Freud.

Freud se lit bien quand même et c'est même marrant.
Il suffit de voir comment il se défend contre ces critiques (p.55)
Il se défend tout particulièrement à propos de la sexualité infantile (p.62-63), qu'on lui a beaucoup reproché ( il ne s'en étonne pas plus que ça – il a conscience que c'est un sujet délicat). Et il dit carrément que ceux qui résistent à la psychanalyse et à ses théories, c'est qu'ils refusent de mettre à jour ce qui est refoulé et du coup il invite ses critiques sur son divan. Freud ou comment faire de ses détracteurs des clients.

PS : Freud, l'analyseur analysé.

Sinon ne faites pas attention, mais je me mets un article en post-it ici. Apparemment, ça parle de l'hystérie et des poètes. Je le mets là que je le retrouve plus facilement, je le lirai plus tard :

Daniel FABRE, « L'androgyne fécond ou les quatre conversions de l'écrivain », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 11 | 2000, mis en ligne le 24 mai 2006, consulté le 02 avril 2019. URL : https://journals.openedition.org/clio/214
Commenter  J’apprécie          1511



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}