![]() | Inaka 17 janvier 2016
Si l'on considère l'attitude de parents tendres envers leurs enfants, l'on est obligé d'y reconnaître la reviviscence et la reproduction de leur propre narcissisme qu'ils ont depuis longtemps abandonné. Un bon indice que nous avons déjà apprécié, dans le choix d'objet, comme stigmate narcissique, la surestimation, domine, c'est bien connu, cette relation affective. Il existe ainsi une compulsion à attribuer à l'enfant toutes les perfections, ce que ne permettrait pas la froide observation, et à cacher et oublier tous ses défauts ; le déni de la sexualité infantile est bien en rapport avec cette attitude. Mais il existe aussi devant l'enfant une tendance à suspendre toutes les acquisitions culturelles dont on a extorqué la reconnaissance à son propre narcissisme, et à renouveler à son sujet la revendication de privilèges depuis longtemps abandonnés. L'enfant aura la vie meilleure que ses parents, il ne sera pas soumis aux nécessités dont on a fait l'expérience qu'elles dominaient la vie. Maladie, mort, renonciation de jouissance, restrictions à sa propre volonté ne vaudront pas pour l'enfant, les lois de la nature comme celles de la société s'arrêteront devant lui, il sera réellement à nouveau le centre et le cœur de la création. His Majesty the Baby, comme on s'imaginait être jadis. Il accomplira les rêves de désir que les parents n'ont pas mis à exécution, il sera un grand homme, un héros, à la place du père ; elle épousera un prince, dédommagement tardif pour la mère. Le point le plus épineux du système narcissique, cette immortalité du moi que la réalité bat en brèche, a retrouvé un lieu sûr en se réfugiant chez l'enfant.
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Pourquoi tant d'écrivains mélancoliques se sont-ils suicidés, alors qu'ils étaient déjà célèbres et en train d'écrire leurs oeuvres les plus prometteuses ? Franz Kaltenbeck montre comment l'écriture est devenue mortelle en elle-même pour des auteurs comme Kleist, Stifter, Nerval, Celan, Foster Wallace.
Alors que l'écriture d'une oeuvre peut soutenir son auteur jusqu'à lui éviter la folie, comme on le voit chez Joyce et d'autres artistes, certains, au contraire, en meurent. C'est à résoudre cette contradiction, qui a dans chaque cas des coordonnées singulières, que s'attache Franz Kaltenbeck en lisant des écrivains mélancoliques célèbres du xixe au xxie siècle. Il les considère comme des puits de savoir sur leur mélancolie, longuement décrite à travers leurs fictions. Il s'appuie sur sa solide connaissance de Freud, dont il tire des arguments nouveaux grâce à Kafka. On comprend, à le suivre, que ce qui a d'abord résisté à la mélancolie chez ces auteurs a subi par la suite une défaite mortelle. L'écrivain américain David Foster Wallace met particulièrement ce phénomène en évidence : il dit qu'une catastrophe, qu'il identifie de loin sans pouvoir la maîtriser – la transformer – par l'écriture, l'attend au tournant comme un cyclone. À l'instar de Kleist, Stifter, Celan, Nerval avant lui, il s'est suicidé au sommet de son art.