Julien Freund, qui s'interroge dans cet ouvrage sur
l'essence du politique, s'est distingué très jeune par des actes de bravoure comme résistant. Après guerre, proche de
Robert Schuman, il a oeuvré comme lui à la réconciliation et à la construction d'une nouvelle europe et, d'instituteur, il devient agrégé de philosophie et maître de recherche au CNRS. Professeur de sociologie, disciple de
Max Weber, il s'est intéressé aux réflexions de Carl Schmitt sur l'Etat, sans jamais adhérer à ses thèses pro-nazies. C'est sous la direction de
Raymond Aron qu'il a écrit sa thèse sur
l'essence du politique, reprise dans cet ouvrage.
Maniant avec plaisir le paradoxe, démocrate mais ne se satisfaisant pas de grands principes théoriques,
Julien Freund fait appel à
Aristote, Machiavel et
Max Weber pour définir une politique - action : relevant d'une éthique de responsabilité, et non de conviction,
la politique ne s'inscrit pas dans le camp de la morale traditionnelle du bien et du mal. Pour autant, elle ne saurait se restreindre, comme chez Machiavel, à une technique ; elle poursuit ses fin propres. Ce sens téléologique de l'action politique , est selon lui la conservation d'une unité et le droit n'est qu'un instrument au service de cette force légitime, en lutte contre les tendances à la désagrégation d'une communauté. En cela, il s'oppose avec force à toute tentation au marxisme, tout en partageant l'idée que l'idéologie venant remplacer la foi dans le champ politique participe à établir l'ordre politique. elle n'est toutefois pas suffisante, car, dépourvue du poids de l'action, elle n'est qu'utopie, et sort alors du champ politique. de plus, comme Carl Schmitt,
Julien Freund voit dans
la politique une continuation par d'autres moyens de la confrontation guerrière, semblant parfois s'inspirer de
Clausewitz.
Au même titre que celle d'
Aristote, de Machiavel,
Max Weber ou
Raymond Aron, la pensée de
Julien Freund est venue enrichir ma compréhension du fait politique, réalité inhérente au regroupement naturel des hommes, animaux sociables par essence, équilibre de Pareto entre commandement et obéissance, et non construction contractuelle. Sa conception se retrouve avec force dans les grands principes du droit français, et notamment du droit administratif, justifiant les prérogatives de puissance publique par la prééminence d'un intérêt général. Mais surtout, digne continuateur d'
Aristote et Machiavel, il offre au lecteur une clé de lecture de ce qu'est effectivement
la politique, dans toute son ambiguïté phénoménologique, et d'éviter aussi bien le rejet du politique, la dépolitisation constituant une utopie niant le fait social lui-même, que la politisation totale, source majeure du totalitarisme.
Je ne saurais donc trop recommander ce petit ouvrage, finalement assez accessible, car développant une pensée certes fine associant les contraires, mais aux principes explicatifs cohérents et bien repérables.