AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de litzylitzy


L’histoire est intéressante, écrite (ou du moins traduite) dans un style d’écriture très américain qui fait son miel de descriptions crues dans des langages de type oral et d’une pensée matérialiste rationnelle. En tant que simple lecteur de romans, sensible aux rebondissements scénaristiques, je n’ai pu qu’apprécier ce livre qui a une grande force narrative. Le fait que les chapitres marchent comme des témoignages est bien vu, même si les spécificités de langage de chacun tirent un peu vers le grotesque et que l’on retrouve dans tous les témoignages des expressions qui sont propres à l’auteur, celui-ci n’arrivant finalement pas à totalement s’effacer derrière ses personnages. C’est un scénario hollywoodien génial et tout laisse à penser que James Frey l’a élaboré dans cette optique.

Néanmoins, sans tout à fait être naïf, ce roman n’est pas aussi profond que j’aurais pu l’espérer. Je vois les choses ainsi : Frey fait preuve de finesse en ce qui concerne l’histoire des religions, il montre qu’il s’est bien documenté et réussi à rattacher des éléments de l’histoire de christianisme et du judaïsme de façon originale et convaincante. Par contre, en terme de théologie et pour les quelques essais timides de numérologie qu’il tente en début d’ouvrage, il y a vraiment une faiblesse qui finit par plomber l’ouvrage. Car le fond de l’histoire n’est pas de rétablir un réalisme historique des religions, Ben Zion d’ailleurs rejette sans détours les Écritures qu'il juge obsolètes pour faire une prêche plus en phase avec le monde dans lequel il évolue. Le coup de connaitre toutes les Écritures par cœur et la réponse aux grandes énigmes scientifiques est d’ailleurs la marque d’une pensée extrêmement rationnelle matérialiste. Car d’une part il n’existe pas une seule version des Écritures, parfois elles se contredisent et souvent les originales sont perdues, et ce si originales il y a car on sait que certaines sont originalement des traditions orales avec tout ce que cela comporte de changements d’une version à une autre. Et surtout d'autre part Ben Zion détient les réponses aux grandes énigmes scientifiques actuelles qui pourraient se révéler plus tard n’être que des questions sans réponses mais dont il a toutes les réponses, impliquant que ce sont des questions bien posées qui attendent une réponse claire. D’un côté est critiqué le formalisme « mort » d’une pensée religieuse fixiste et dépassée, mais c’est pour mieux renverser cet espoir d’une réponse définitive dans le tonneau de la science physique ! C’est à mon sens dû à un manque de compréhension réel des enjeux épistémologiques à l’œuvre dans les rapports complexes des ordres de connaissance. On aurait pu s’attendre dans un tel scénario à retrouver du Feyerabend, du Popper, du Kuhn ou même du Quine, comme on y retrouve des allusions informées aux spéculations rabbiniques sur le messie. Mais non. Et c’est cela qui en fait un bon roman mais tout sauf un roman avec un fond spéculatif ou même simplement un roman à propos.

L’amour que Ben Zion prône est un amour qui va de pair avec le corps, le sexe, prendre du bon temps et… une critique d’un système matérialiste qui en est une conséquence possible mais surtout le cadre le plus favorable à cette jouissance. De fait, c’est le développement de sociétés matérialistes qui a permis une approche purement rationalisée du corps dont le cerveau est le siège et c’est pourtant cette vision que Ben Zion finit par affirmer comme seule vraie à la fin du roman. C’est cela qui enlève aussi du poids au roman : ce qui y est critiqué est ce qui y est mis à l’œuvre, il y a un écueil structurel qui est vraiment dommage. Alors bien sûr il suffit de ne pas aller chercher derrière la scène comment fonctionne la machinerie pour vraiment apprécier ce roman, et je l’ai vraiment apprécié. Pourtant il y a de la « mentalité » à l’œuvre et celle-ci m’a parue un peu facile, dans l’air du temps, qui implique que jouir de nos corps est une chose essentielle qui appartient à une vérité humaine, et cet axiome du roman m’a paru dogmatique car il n’est jamais contredis ou mis à l'examen, même pour triompher en fin de compte, à aucun moment du roman. C’est un genre de monologue idéologique alors que c’est ce que dénonce précisément le roman qui aurait voulu paraitre comme une dialectique de l'amour mais qui n'en a que l'apparence!
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}