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En sillonnant les routes des vacances, ces chers villages de notre France rurale, on tombe forcément un moment ou un autre sur un vide-greniers. Début août j'étais à Bruniquel, magnifique village médiéval avec son vieux château perché au-dessus de l'Aveyron, célèbre entre autres pour avoir accueilli le tournage du film Le Vieux Fusil. Certains de là-bas s'en rappellent encore... Dans un vide-greniers, à part des meubles dévorés par les vers, des bibelots ringards, de la vaisselle inutilisable, des vieux vêtements poussiéreux couverts de naphtaline, qu'y a-t-il d'intéressant ? Des bouquins ! Enfin, j'exagère un peu, parfois on y découvre une perle rare, mais moi ce sont les livres qui m'amènent à aimer farfouiller dans ces endroits... C'est donc là un dimanche matin, avant de me couler dans les eaux langoureuses de l'Aveyron, que j'ai acheté sur un étal, ce livre de poche qui a attiré mon attention : L'ombre dans l'eau, d'Inger Frimansson. C'est le premier livre que je lis de cette auteure suédoise. C'est son second roman et d'ailleurs je me suis aperçu très vite qu'il était la suite de son premier roman, Bonne nuit, mon amour, mais ouf ! on peut lire les deux distinctement... Ici on a affaire à un thriller psychologique. Amateur de sensations fortes, de meurtres toutes les deux pages, de rebondissement à chaque fin de chapitre, passez votre chemin ! ici on est un peu plus dans la nuance. Pour autant, il y a du suspense. Le départ est très lent, cela m'a sans doute décontenancé. Je m'étais dit, un thriller suédois, wouah ! Or ici, il s'agit d'un thriller psychologique. C'est-à-dire de l'humain en plus et du sang en moins. L'humain est présent à chaque page, dans chaque personnage qui vient, qui déambule son histoire, son chemin. La richesse de la narration est que chacun des personnages n'a a priori rien à voir avec les autres qui entrent peu à peu dans l'histoire, au départ on a l'impression que chacun trace une sorte de sillon, quelque chose de rectiligne, brusquement, on s'aperçoit que les chemins ne sont pas parallèles et se rejoignent à des jonctions qui ne sont pas forcément Tout débute par la disparition depuis sept ans de Berit, la compagne de Tor. Il semble ne jamais pouvoir s'en remettre. Jill l'amie de Berit le soutient dans cette épreuve. C'est cela l'intrigue du récit. À partir de cela, l'auteure développe avec beaucoup de justesse des itinéraires que j'ai empruntés avec beaucoup de plaisir, permettant de venir à la rencontre des autres personnages du récit. Au départ de la lecture, je me perdais un peu dans tout ce méli-mélo. Puis j'ai fait confiance au récit, je me suis laissé porter par les histoires des uns et des autres, heureuses, tristes, tragiques... On s'aperçoit peu à peu que tout ceci se construit comme une toile d'araignée, que les uns et les autres, à un moment ou à un autre, vont finir par se rencontrer ou entrer dans une logique commune... Le personnage ambigu de Justine est fascinant. Au final, tout remonte à l'enfance. Elle était sans cesse le souffre-douleur de ses deux autres copines, Berit et Jill. Aujourd'hui Justine vit dans une étrange maison au bord du lac, avec un étrange oiseau, j'ai cru deviné un corbeau mais je n'en suis pas sûr, qui tantôt vit dedans, tantôt vit dehors, s'envole brusquement, frôle les gens, les effraie, laisse derrière lui des fientes. Femme perturbée pour différentes raisons, ne serait-ce que par ses cauchemars incessants ; son compagnon Hans Peter apaise alors ses tourmentes. J'ai adoré Hans, ce personnage qui est sans cesse dans l'empathie. Il l'est aussi avec sa collègue de travail Ariadne, victime des sévices de son mari, qui comme beaucoup de femmes battues, ne veut pas admettre. Hans Peter est le premier à comprendre... La trajectoire douloureuse d'Ariadne et celle aussi de sa fille Christa aveugle sont magnifiquement décrites. D'autres trajectoires apparaissent, se poursuivent, des personnes moins bienveillantes, animées par la folie ou la haine, ou tout simplement la bêtise humaine... Ici viennent alors l'abandon, la violence, la maltraitance, le harcèlement, la banalité qui fait parfois aussi mal que la violence brute avec ces petites doses quotidiennes qui coulent une à une dans les veines des corps et des cœurs, viennent aussi la bienveillance et la compassion... Ce roman est troublant, perturbant au premier abord. On s'aperçoit que l'âme des personnages peut être parfois une eau claire ou d'autres fois une eau couverte d'ombres. Au fond, tout ceci ressemble à nos existences. Le récit qui se construit comme un puzzle est servi par une très belle écriture, ciselant des portraits de personnage, entre folie et réalité, qui à certains moments m'ont sidéré ; le suspense ne réside-t-il pas finalement dans notre propre jugement : hésitant entre compassion ou suspicion ? Une seule envie désormais : lire le premier roman cette auteure, Bonne nuit, mon amour. + Lire la suite |