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Citations sur Premier de cordée (78)

Des coureurs de montagnes et des escaladeurs de cimes, il y en a toujours eu chez les Servettaz comme dans les autres familles de la région de Charnonix - et depuis que la vogue de l'alpinisme amène en Savoie des «monchus» désireux de vaincre les sommets, on est aussi guide de père en fils mais, parce qu'il connaît trop bien les dangers du métier, Jean Servettaz a décidé de préparer le sien à devenir hôtelier. Cela n'a pas empêché Pierre de s'entraîner et d'être un fin grimpeur. Aussi est-il un des volontaires de la cordée qui doit descendre le corps de son père tué par la foudre pendant un orage au retour d'une course dans les Drus. La neige et la glace rendent l'expédition quasi impossible. Pour avoir voulu forcer quand même un passage, Pierre tombe. Il ne se relèvera de son lit d'hôpital que plus résolu à ne pas s'enliser dans la vie d'homme des plaines. Il sera guide comme son père. Il découvre alors que son accident lui a laissé une terrible séquelle : le vertige. Un prodigieux effort de volonté et l'aide de ses camarades lui permettront pourtant de répondre enfin à l'appel envoûtant des hauteurs. Un appel qui résonne tout au long de ce récit où sont merveilleusement évoqués la rude existence des montagnards et le site grandiose où ils vivent.
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Un grand souffle chaud parcourt depuis huit jours la vallée de Chamonix. Venant d'Italie, le vent s'engouffre dans le corridor de la mer de Glace, vient heurter les raides pentes herbeuses de l'aiguille à Bochard, puis retombe comme une haleine tiède sur les étroites prairies qui bordent l'Arve, faisant éclore brusquement en une nuit l'admirable flore alpestre. Chaque jour la vieille neige de l'hiver recule, monte, se réfugie dans les alpages, puis plus haut dans les grands couloirs et dans les glaciers... On peut suivre cette progression du printemps : c'est comme un immense assaut que donne la nature à la montagne. Les forêts toutes rougies par les gels et les tourments reverdissent de jeunes pousses d'un vert très tendre, mais plus haut, vers les deux mile, tout est encore brûlé. Les névés fondent les uns après les autres, laissant sur le paysage une tache rougeâtre. On dirait une plaie mal guérie ; cela fait comme une croûte qu'on aurait arrachée et qui laisserait dessous le ton plus clair de la peau mal formée. Puis, ces plaies des alpages se cicatrisent à leur tour, verdissent, et le gazon dru des altitudes vient unifier la teinte fraîche de la montagne.
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Pierre assure son piolet à sa ceinture, vérifie une dernière fois l'ajustage de ses crampons et s'élance avec joie. Au passage, il arrache à coups de marteau les précieux pitons, qu'il enclenche dans sa ceinture ; à son tour, il étreint furieusement la glace, et poursuit sa reptation ascendante vers le soleil. Sur sa tête, un coin de ciel très bleu lui indique le chemin ; encore tout essoufflé par cet effort rapide, il se retrouve assis à côté de Georges.
Sous eux, c'est la coupure de la rimaye, puis le glacier qui déferle, moutonne et craque comme une pâte en fermentation.
Alors les deux hommes tournent leurs regards vers le haut.
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Ravanat s'approcha de lui, et sa grosse main, si solde lorsqu'elle s'agrippait aux prises, tremblait lorsqu'il la posa sur l'épaule de Pierre... Il ne lui dit rien : entre montagnards, il n'est pas besoin de paroles. Tous ceux qui étaient là étaient de rudes hommes, et Servettaz savait qu'il pouvait compter sur eux, mais il lui sembla que de sentir peser sur son épaule la poigne affectueuse et rude du Rouge le réconfortait bien mieux que tout. Il redressa enfin la tête − et ses yeux étaient rouges comme lorsqu'on a longtemps marché sur les glaces sans lunettes noires − pour dire avec une étrange fierté :
« Le père n'est pas tombé, oncle, tu as entendu... foudroyé.
− Ça, tu pouvais en être sûr, déclara Zermatten lentement et avec un rauque accent suisse-allemand. Servettaz n'était pas de ceux qui lâchent. »
Cet hommage du grand Zermatten alla droit au cœur du jeune homme. Son père était mort en guide, en pleine action, et le porteur avait sauvé le client. Serverraz aurait voulu l'embrasser, ce Georges à la Clarisse, de quelques années son aîné, pour avoir ramené sain et sauf le voyageur pris en charge par Jean Servettaz.
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Curieuse figure que celle du vieux guide, patinée en brun-rouge, avec des yeux clairs, vifs et malicieux, enfoncés dans les orbites, d'énormes sourcils roux d'une extrême mobilité et qu'un tic remuait sans arrêt de haut en bas comme s'ils eussent été postiches ; de belles moustaches de corsaire barbaresque, qu'il lissait d'un geste machinal, ne dépareillaient pas l'ensemble d'une frappante et lointaine ascendance sarrasine. Son corps long et osseux était taillé à la hache : les mains étaient de véritables battoirs, noueuses, poilues sur le dessus - toujours ces longs poils roux - tavelées de tâches de son, avec les extrémités tout usées et craquelées, pelées par le rocher. Des mains, comme il se plaisait à le répéter, qui ne lâchaient jamais leur prise.
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Pierre Servettaz venait d'éprouver la satisfaction la plus complète qui puisse être réservée à un alpiniste, celle de marcher en premier de cordée. Il avait cessé de suivre aveuglément, en toute quiétude, en tout sécurité ; il était devenu le chef, celui qui commande, qui combat, qui prend ses responsabilités et de qui dépendent les vies qui lui sont confiées.
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Le crépuscule ensanglante le ponant ; c'est un embrasement très fort, comme une aurore boréale, qui domine les vallées d'ombres, et c'est bien la sensation qu'ils éprouvent d'être échoués quelque part sur une banquise polaire au bord d'un océan de ténèbres qui viendrait battre des récifs enneigés. Il n'y a plus que quelques points de lumière accrochés sur la terre : les sommets de plus de 4 000 mètres. Cela fait cinq ou six foyers lumineux qui semblent veiller comme des phares sur le repos des hommes, puis ils s'éteignent les uns après les autres ; finalement, il n'en reste plus que deux : le mont Rose, à l'est, le mont Blanc, à l'ouest. Le mont Rose se met en veilleuse puis disparaît dans la nuit ; alors l'invisible Gardien, jugeant que l'heure est définitivement au repos, éteint à son tour la dernière lueur irisant la coupole du mont Blanc.
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Et puis, je voudrais les voir ; ça ne te paraît pas dangereux, cette expédition, avec la neige fraîche ?
− Que si, que si, mais tu ne voudrais pas qu'on laisse un des nôtres là-haut, sans sépulture, au risque de le voir arraché par le vent, précipité dans les abîmes et enseveli à jamais dans une crevasse. Ses morts, vois-tu, faut les garder chez soi ; la plus grande joie de mon père, ça a été lorsqu'il a reconnu, quarante années après l'accident, le corps de mon grand-père presque intact, conservé dans la glace, qui avait déambulé du sommet du mont Blanc dans son cercueil de cristal jusqu'en bas sur le plateau inférieur du glacier des Bossons. Le grand-père était tombé jeune, bien plus jeune que mon père, il avait encore tous ses cheveux et la figure toute rose, mais il était si gelé que ses yeux étaient durs comme des billes d'agate. Quarante ans à suivre le mouvement du glacier ! Et tous les ans, à la Toussaint, on savait pas où aller prier : alors le père regardait le mont Blanc, là-haut vers les Rochers rouges, là où est arrivé l'accident, et il se lamentait : « Savoir où est passé le père » disait-il. Il y avait sa place marquée au cimetière, on a eu juste besoin de le mettre dedans, c'est comme si la famille s'était retrouvée tout à coup au grand complet. Le père était heureux ! « Maintenant, qu'il m'a dit, on s'est tous retrouvés ! »
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« Le drame était sur la montagne, mais impavide et souveraine, elle montait la garde sur les vallées d’alentour, insensible aux pensées des hommes qui gîtaient dans ses flancs, frileusement pelotonnés dans leurs cabanes de pierre. Sa faction millénaire n’était troublée, de loin en loin, que par le sourd grondement des avalanches ou le fracas plus sec des chutes de pierres qu’un regel trop brusque venait de déclencher. » (p. 32)
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Subitement, sur un coup de vent plus frais, le brouillard se déchira. Georges aperçut la paroi entière du Dru qui se découvrait, offrant un spectacle fantasmagorique. Toute plaquée de neige fraîche, elle semblait caparaçonnée d'ivoire et ses colonnes gigantesques, qui s'effilaient vers le haut dans une perspective irréelle et se perdaient dans un moutonnement de nuées argentées, semblaient taillées dans un marbre très pur.
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