Turbulences : Les Réformés en crise... Analyses et propositions

Je vous présente un livre qui mérite un très grand coup de coeur. Il a suscité de vifs débats dans l'Eglise réformée ces derniers mois.

Eric Fuchs était professeur d'éthique à l'Université de Genève, il a écrit de nombreux livres. Pierre Glardon est pasteur, thérapeute et responsable de la formation aux ministères de l'Eglise Réformée vaudoise. Ces deux théologiens ont écrit un livre à la lecture parfois exigeante qui analyse la crise de l'Eglise réformée et propose des pistes pour y remédier.

Dans l'introduction, les auteurs expliquent leur projet et rappellent les fondements de l'identité protestante: Soli Deo Gratia, Solus Christus, Sola Scriptura et Sola Fide sans oublier le principe du sacerdoce universel et celui de la nécessité pour l'Eglise de se réformer sans cesse.

La première partie du livre analyse la crise et ses raisons. Les Eglises réformées romandes ont perdu près de la moitié de leurs membres en un demi-siècle, les finances sont dans le rouge, les vocations en chute libre, tant pour les ministres que pour les bénévoles. le contexte de déchristianisation de la société est une des cause. Les maîtres du soupçon (Feuerbach, Nietzche, Marx et Freud) ont fortement ébranlé la pensée chrétienne, les guerres et génocides du vingtième siècle ont fait douter de nombreuses personnes de l'existence même de Dieu et la société contemporaine a un problème de transmission, la mémoire des générations précédentes s'est effondrée, notre société vit dans l'immédiat. Certaines valeurs comme l'humanisme sont également en perte de vitesse, les repères issus du dix-neuvième siècle (pluralisme et multitudinisme) ont besoin d'être revisités et réinterprétés pour notre temps. Mais les causes ne sont pas seulement externes.

La discipline s'est fortement relâchée depuis cinquante ans et s'il n'est pas question de rétablir les méthodes musclées en vigueur du temps des pères de la Réforme, on peut légitimement s'interroger sur certaines pratiques qui sont un contre-témoignage des exigences évangéliques. Les auteurs critiquent aussi vertement les positions théologiques de Pierre Gisel, accusé de trahison envers l'Eglise à cause de sa pensée agnostique.

Mais les Réformés ont aussi une grande responsabilité dans ce qui leur arrive, ils sont dans le déni en refusant de se confronter à ces problématiques, les Eglises sont frappées de paresse spirituelle et sont en deuil. Les ministres sont menacés de burn-out et les responsables ne mettent pas les priorité là où il le faudrait en s'épuisant dans des changements de type I (qui ne remettent pas en cause l'institution elle-même ) et dans un activisme inutile.

Les auteurs soulignent à maintes reprises qu'il s'agit d'un constat général qui n'empêche pas certains lieux d'Eglise d'être fraternel et fécond. Ils font une analogie avec le Japon des années 1940 où il existait sans doute des familles heureuses mais où le système courait à sa propre destruction sans pouvoir l'enrayer.

La deuxième partie du livre est consacrée à l'éthique et propose d'en trouver une nouvelle. le premier chapitre, écrit par Eric Fuchs articule morale et éthique dans un texte exigeant et assez difficile d'accès. Il détecte trois noeuds de sens, le premier articulant bonté de la création et permanence du mal, le deuxième étant la tension entre liberté et obéissance et le dernier l'inaccessibilité et la proximité de Dieu. Fuchs examine quelles sont les conséquences éthiques et morales de ces noeuds de sens. le chapitre II, écrit par Pierre Glardon, traite de l'éthique vu sous l'angle de la neurophysiologie, c'est à dire de la plasticité de notre cerveau. Ce passage est étonnant et passionnant, il nous explique comment sortir de nos vieux blocages.

Cette partie éthique s'interroge aussi sur la difficile question de la discipline et se termine en passant en revue quelques questionnements contemporains comme la conjugalité, l'accès au ministère des homosexuels, l'euthanasie, le suicide ou le rapport à l'argent.

Les auteurs estiment que l'accès au ministère ne doit pas être ouvert aux personnes homosexuelles, non pour des raisons de morale, mais d'anthropologie biblique. Ils proposent aussi de différencier les cérémonies de mariage religieux selon le type de demande des fiancés (rituel social ou vrai engagement devant Dieu). Ils suggèrent aussi de n'autoriser qu'un seul mariage religieux , mais sans stigmatiser l'échec conjugal aussi durement que ne le fait l'Eglise catholique. Les personnes divorcées et remariées civilement participeraient pleinement à la vie de la communauté, y compris à la Sainte Cène, mais le remariage religieux serait impossible.

La troisième partie propose de s'ouvrir à une spiritualité réformée basée sur la méditation et surtout la mise en pratique de l'Ecriture pour sortir de la compréhension purement intellectuelle de la foi qui marque souvent le protestantisme contemporain, sous l'influence de l'ultra libéralisme théologique. Les auteurs traitent de la nécessaire articulation sur tous les plans du triple amour (Dieu, le prochain et soi-même) afin de retrouver une spiritualité nouvelle et vivante.

Ils concluent le livre en résumant la crise, ses causes et les remèdes pour en sortir. Ils proposent en particulier d'offrir de nouvelles formations pour les adultes pour apprendre à mettre en pratique les principes de cette spiritualité vivante et exigeante. Si les Eglises réformées ne mettent pas en pratique des changements importants dans les quinze prochaines années elles disparaîtront.