Au milieu des années 1950 les lecteurs et lectrices du Journal de Tintin avaient réclamé une série sur les Vikings, et l'éditeur Raymond Leblanc la leur a offerte en confiant le projet à Liliane et Fred Funcken : le succès est immense et immédiat temps du côté du lectorat du côté de la critique, sans doute parce qu'il s'agit de la première série du magazine qui ressemble à autre chose qu'à du Hergé... En effet cela ressemble beaucoup plus aux comics vintage de King Features Syndicate qu'à "Tintin" et "Blake et Mortimer" : on retrouve les sensations de "Jungle Jim", "The Phantom", "Mandrake the Magician", pour se retrouver quelque part entre le "Flash Gordon" d'Alex Raymond et le "Prince Valiant" d'Hal Forster ! Mieux on a sous les yeux un pulp d'aventure de qualité qui privilégié la diversité à la répétitivité, donc beaucoup plus proche d'un roman feuilleton dixneuvièmiste que d'un d'un comic strip trépidant certes mais épuisant à la longue en mettant en scène un twist, un danger mortel, une résolution et/ou un cliffhanger à chaque page... On aurait pu et on aurait dû avoir une série culte comme "Alix", "Vasco" et tant d'autres : oui mais non, j'en parlerai pour l'intégrale !
"L'Île de la brume", 1ère aventure d'Harald le Viking, a été publié en Belgique entre juillet et 1956 et janvier 1957, et en France entre août 1956 et févier 1957. Nous y découvrons le meilleur champion du roi Elge de Norvège, mis en difficulté par son frère Thorer amoureux de la nièce de Vigda, roi suédois ennemi de son suzerain et souverain, et par le champion Snorri rival jaloux de son efficacité et de sa notoriété. Victime d'un complot, il est arrêté par son propre équipage et passe au jugement devant le Grand Ting et la peine de mort est commuée en bannissement grâce à sa victoire au jugement d'Odin. C'est ainsi qu'il part vers l'Amérique avec ses hommes repentis et repentants...
Aventures maritimes, aventures terrestres, aventures spéléologiques, fondation d'une colonie, gestion économique, guerre contre les Amérindiens Mohawks, alliance avec les Amérindiens Iroquois, retour au pays où l'union entre Visages Pâles et Peau Rouge l'emporte sur les forces obscures de la crevardise grâce au retour du frère prodigue : pendant 60 pages c'est rythmé et c'est varié ! Mais à un moment j'ai failli me fâcher : après un Gambit de Dieu, trope issu de la culture colonialiste, on oppose Blancs civilisés, pacifistes, courageux, industrieux et modestes à des colorés barbares, bellicistes, lâches, paresseux et orgueilleux... Oui mais non, car ensuite on développe l'amitié entre Harald le héros viking et Tuskarora son frère de sang iroquois : entre les succès de la saga Winnetou en livres et le succès de la saga Winnetou en films, et alors que la saga Winnetou en BD faisait un carton en Europe de l'Est, les auteurs se sont rappelés au bon souvenir du « bon sauvage »... Ouf, l'honneur est sauf ! ^^
Harald aux cheveux rouges est un action man classique pour ne pas dire archétypal de la culture populaire de la la 1ère moitié du XXe siècle, donc droit et honnête, courageux et musculeux, intelligent mais pas cérébral, rusé mais pas fourbe (il est amusant de voir la ressemblance avec Kirk Douglas, alors que celui-ci allait incarner quelques années plus tard Einar dans le film "Les Vikings" de Richard Fleisher ^^). Les dessins réalistes et le découpage dynamique sont donc plus proches des blockbusters américains de l'époque que de l'École de Bruxelles (le style Hergé) ou de l'École de Marcinelle (le style Franquin), le tout dans une ambiance très hollywoodienne qui ne peut qu'enchanter un enfant de la Dernière Séance comme moi... Les époux Funcken avait la côte auprès des pédagogues pour le sérieux de leur production, d'ailleurs ils sont aussi connu pour les albums sur les costumes historiques (ils complétaient l'immense documentation prêtée par Hergé par des heures et des heures de recherche en bibliothèque), mais on n'échappe pas toutefois au gimmick du casque à cornes ! Alors certes, il reste cet horripilant narrateur omniscient qui décrit et commente peu ou prou ce qui nous est montré (et ce parfois de manière totalement superfétatoire, genre mentionner le temps qui s'écoule entre chaque case !) : c'est très pénible, surtout avec ses phylactères qui changent de couleurs comme de chemises, et ce même si j'ai bien senti qu'on essayait de limiter la casse à ce niveau-là. Les kikous railleront rétrospectivement donc anachroniquement des auteurs passéistes enfermés dans un monde de narration à chier, les vrais connaisseurs qui auront lu les interviews des auteurs concernés savent qu'il s'agit d'un cahier des charges imposé par des éditeurs venu du monde de la littérature et très mal à l'aise avec les médias de masse (et longtemps persuadés que pour faire une bande il suffisait de reprendre les méthodes du cinéma muet, alors que les auteurs avaient compris que pour faire une bd il suffisait de rependre les méthodes du cinéma parlant, car oh oui les plupart des bds feraient de bons films ^^)
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Pourtant, le jugement d'Odin ne te lave pas des fautes commises.
Le grand Ting te condamne au bannissement.
Tu devras partir vers l'ouest, au-delà de l'île de la brume.
Tu coloniseras la première terre que tu rencontreras et tu verseras un tribut annuel au roi ...
En Norvège, au large des terres de Framme, un drakkar viking tente péniblement d'atteindre la côte ...