Citations sur Tout ce que je suis (43)
Le rabbin aux yeux bleus de notre village, à Samotschin, me parlait comme à une grande personne alors que je n'étais qu'un enfant. Il nous faut croire en Dieu, m'avait-il dit, car sinon c'est en l'homme qu'il nous faudra croire et nous serons forcément déçus.
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En 1928, il (Hans Wesemann) alla écouter un discours d'Hitler, alors simple leader d'opposition qui devait lui fournir la matière de l'un de ses plus fameux articles. Enfant, Hans avait surmonté les plus lourds handicaps de son bégaiement en observant attentivement les lèvres des autres. Il composait mentalement à l'avance toutes ses phrases, du premier au dernier mot, avant de les prononcer. Il en conservait un rare talent d'observateur, fort utile à son métier de journaliste. Hans raconta ainsi à ses lecteurs l'épisode du Sportpalast lors duquel le microphone était tombé en panne. Après s'être interrompu puis repris à plusieurs reprises, Hitler, furieux, avait fini par balancer le micro. "Et c'est ainsi que naquit la célèbre technique du mugissement du Grand Adolf, ironisait Hans. "L'abâtardissement des peuples a commencé" hurlait Hitler. "La négroïsation de la culture et des mœurs, pas seulement celle du sang, est déjà en marche." Hans décrivait une foule murmurant son assentiment, une foule, face à d'indivisibles et contagieux ennemis qui ne faisait plus qu'une avec son Fürhrer.
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On veut d'une mère gentille , pas seulement parce qu'on souffre quand elle ne l'est pas, mais aussi parce que l'écart par rapport a la norme est quelque chose qu'on prend soin de cacher.
Le 28 février (1933) avant midi, Hitler présenta au gouvernement son "décret de l'incendie du Reichstag", "pour la protection du peuple et de l'Etat" et contre le "terrorisme". Il autorisait les arrestations sans mandat, les perquisitions de domiciles, la surveillance du courrier, fermait les journaux et interdisait les réunions politiques. Tout comme Bertie (Berthold Jacob) l'avait prédit, il empêchait de facto les autres parties de faire campagne pour l'élection. A la fin de la journée, des milliers de militants opposés à Hitler furent placés en "détention préventive" dans des baraquements de fortune de SA - des usines désaffectées, un château d'eau de Prenzlauer Berg et même une brasserie à l'abandon. Très vite l'espace manqua. C'est à ce moment là que commença la construction des camps de concentration.
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Si Dora me quittait, il n'y aurait personne pour me rattraper. Il faut que l'être cher vous quitte pour comprendre qu'avec lui disparaît le tuteur. Ne restent que le vide et le froid, plus rien pour vous tenir.
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Quand Dora et moi étions au travail, j'arpentais la pièce, ou le jardin par beau temps ; elle restait assise, le nez sur son bloc dont les pages glissaient les unes après les autres autour de leurs anneaux métalliques. Les gens ont souvent besoin d'être seuls pour réfléchir ou pour écrire mais la présence de Dora n'était pas une présence comme les autres. Nos regards se croisaient rarement. Je tournais en orbite autour d'elle, je regardais sans voir ses cheveux courts sur la nuque, soyeux et brillants. Etre avec Dora, c'était se décharger du fardeau de moi-même. C'est là tout le secret de la création : il faut se trouver dans un état second, un peu comme en amour. A la fois plus vivant et plus soi-même que jamais et aussi moins certain de ses limites, plus réceptif. Nous lancions tous les deux à la volée autant de mots et d'idées qu'il en fallait pour façonner une nouvelle manière de faire avancer le monde, plus claire, plus assurée, plus noble que toutes celles qui avaient précédé. Puis, tout à notre euphorie, nous nous mettions au lit à n'importe quelle heure.
Pages 238/239
NdL : Il y a de très jolies pages sur la relation amoureuse d'Ernst Toller et Dora Fabian
Bizarrement, on a en général moins peur de ce qu'on a sous les yeux, en l'occurrence de gamins en uniforme sous les ordres d'un représentant en brillantine complètement enragé. On ne se laisse pas effrayer par ce qui est risible, la peur s'épanouit mieux dans l'invisible.
Cette vie immense - la vraie vie, cette vie intérieure dans laquelle nous restions liés aux morts (puisque le rêve passe outre à ces bagatelles que sont le souffle et l'absence) -, cette vie immense nous échappe totalement. Tout ce que nous avons vu, tous ceux que nous avons connus pénètrent en nous et nous constituent, que cela nous plaise ou non. Nous sommes liés les uns aux autres par une trame invisible dont nous ignorons les effets. Un noeud ici, une maille sautée là, une bosse là-bas, et une fois tissée, c'est toute la tapisserie qui change.
L'espoir tient pour une large moitié à la seule conviction qu'on peut encore faire quelque chose.
Entre les appels téléphoniques, les lettres et les regards qui, dans la rue, guettaient sous des chapeaux à large bord, nous avions désormais le sentiment, à l'appartement de Great Ormond Street, de vivre en état de siège. Nous essayons de ne pas trop y penser--sinon nous serions devenus Fous....
L'amour tient pour une grande part à de la curiosité, à la recherche, chez l'autre, de quelque part infime de soi. Et quel bonheur, un jour, de sortir de la caverne de l'autre, une bougie d'anniversaire dans la main, un filament de minerai dans l'autre, et de dire : " Moi aussi, je suis fait de ça!"