Certains tirent une joie esthétique aussi pure de l'examen de la formule d'une chaîne moléculaire que d'autres de la contemplation d'une fresque de Piero Della Francesca.
L'auteur, pétillant d'intelligence et doué d'un appétit de savoir gargantuesque, reçut très tôt le conseil (que l'âme du conseiller repose en paix !) d'éviter université et autres institutions vouées au commerce de la pensée toute faite. Tel Aladin s'éclairant de sa lampe, fuyant la « nuit de l'âme » il déambula loin des collèges et campus pour surprendre, observer et écouter la vie suintant des ruelles et canaux de l'East End Londonien. Par une nuit de brouillard, alors qu'il se balade dans le quartier des docks sous les réverbères ouvrant des halos dans la brume, une enfant surgit de nulle part, peut-être des volutes s'échappant de la lampe…
En rentrant, ce soir-là, Flynn eut l'impression de revenir de la foire de Hampstead Heath, légèrement éméché, encore étourdi du vertige des manèges, mais pas trop étonné que la poupée gagnée au stand de tir se soit animée et marche près de lui.
-« Comment t'appelles-tu, Pitchoun ?» lui demanda-t-il.
-« Anna » lui répondit l'enfant.
Ce n'est pas tant la crasse, ni la robe trois fois trop grande pour elle, mais ce mélange de limonade, de Guinness… On eût dit un petit sauvage, bariolé de peinture jusque sur le visage. le devant de sa robe était une vraie palette… comme ma rue. « Avec ses vingt maisons, notre rue était une société des nations. Il y avait des enfants de toutes les couleurs, à part le vert et le bleu. C'était une rue bien »…
De retour chez lui : -« M'man viens voir ce que j'ai trouvé ! »
-« Pauvre chou ! » Sur ce, la maman se laissa tomber à genoux et prit Anna dans ses bras. La dame avait une particularité anatomique qui rendait son entourage perplexe, elle avait un coeur de quatre-vingt-dix kilos dans un corps de soixante-quinze… -« Allez, un bon bain, une soupe et au lit… nous verrons demain. »
-«Dis-moi Flynn, tu ne penses pas que Mister God sait qu'il est sage et bon et gentil, si ? »
-« Non, je ne pense pas » dit Flynn en hésitant.
-« Ouais, poursuivit Anna, la lumière de Mister God au-dedans de nous est faite pour qu'on voie la lumière de Mister God au-dehors... »
Pour elle, tout est limpide : on allait à l'église pour recevoir le message quand on était petit. Une fois le message reçu, on sortait pour agir. Si on continuait à aller à l'église, c'est qu'on n'avait rien reçu, ou qu'on n'avait pas compris, ou simplement « pour se faire voir ».
Le récit est construit tel un conte parsemé d'allégories toutes plus surprenantes les unes que les autres…
La fuite du temps, le manque d'heures aux journées, trop à faire, trop de choses à découvrir…
L'intelligence d'une enfant cachant sous de naïves questions une surprenante maîtrise du message de la Bible. Son émerveillement de l'infiniment petit, dans une échelle de grandeur qui dépasse le cadre des connaissances. Avec une candeur d'ange, elle décrit l'univers et son côté sexuel. Cet univers qui ensemence et engendre en même temps. Les semences de mots engendrent des idées. Les semences d'idées engendrent Dieu sait quoi…
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