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EAN : 9782749164144
176 pages
Le Cherche midi (16/01/2020)
3.97/5   70 notes
Résumé :
Paris, une terrasse de café ensoleillée. C’est l’heure du déjeuner, les gens font la queue. Les salades sont immangeables, une tasse de thé coûte huit euros, le personnel est abject. Mais les gens font la queue.
Une jeune provinciale est attablée, seule. À ses côtés, une Parisienne attend son amoureux qui tarde à la rejoindre.
Deux femmes qui n’ont a priori rien en commun. Si ce n’est que l’une et l’autre se regardent, se jaugent, se moquent.
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Critiques, Analyses et Avis (47) Voir plus Ajouter une critique
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Je ne connaissais pas Charlotte Gabris ( comédienne et scénariste de ses One Woman Show ) ; il est probable que sans le titre (qui fait référence à une chanson de Stephen Escher) et surtout sans le dessin sur la couverture ; oui, sans ces baskets, sans la robe [ je veux la même ! ] et la chaise en rotin, sans cette chevelure qui cascade, je n'aurais probablement pas été tentée par ce livre . Loué soit le talent de Cécile Roubio !
Elles sont deux jeunes femmes sur la terrasse d'un café, ensoleillé, parisien, à vouloir ; si la vie leur permet♫ Déjeuner en paix ♫.
La première, trente-deux ans, attend son amoureux, Etienne.
Elle est belle, elle est trop stylée, à l'aise dans ses baskets, sûre d'elle, parisienne , quoi.
C'est ce que pense la deuxième , Sophie, vingt-trois ans, en stage à Paris, pour clôturer son diplôme de décoratrice d'intérieur. Elle loge dans neuf mètres carrés. Ah les joies de l'immobilier parisien...
Elle a le blues, ne connaît personne, ne parle à personne, a le mal du pays.
Elle est jolie mais ne le sait pas, elle a une tête à s'appeler Solenne (avec 2 n) . Ça , c'est que pense la première.
Unité de lieu et deux monologues intérieurs comme seule action, c'est le pari risqué de Charlotte Gabris, laquelle sait ce qu'elle fait puisque ça ressemble étrangement à ce qu'elle pourrait raconter sur scène.
Deux femmes qui se regardent, qui s'imaginent , qui se jaugent , qui se rêvent, qui se critiquent quand elles ne sont pas occupées à décortiquer leurs vies. Et ça fait mal...
Sans pitié, cruels, réalistes, contemporains, féministes, parfois exagérés, crus, parfois drôles, parfois profonds: ces monologues intérieurs sont sans concession.
Le postulat de départ est courageux et très original.
La fin est complètement surprenante et fait taire toutes les petites "récriminations" que je pouvais avoir ( interrogations, exagérations ). Oui, la fin est vraiment top !
Et l'on comprend tout le sens de ce titre , ces femmes qui voulaient tout simplement Déjeuner en paix, qu'elles s'appellent Sophie, Sophia, Solenne, peut importe !
Un roman assez féministe et très contemporain .
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Elle est sûrement comme ça…

Avec «Déjeuner en paix» la comédienne et dramaturge Charlotte Gabris imagine les réflexions de deux femmes qui se trouvent par hasard à la terrasse d'un restaurant parisien. On a trouvé la Claire Bretécher du XXIe siècle!

Commençons par avouer la chose, le petit jeu imaginé par Charlotte Gabris dans ce délicieux premier roman est l'une de mes occupations favorites. Je ne peux pas m'empêcher lorsque je suis au restaurant où au café de regarder les gens assis aux autres tables et d'essayer d'imaginer un bout de leur vie. Que celui qui ne l'a jamais fait me lance la première pierre…
Bien entendu, il m'arrive rarement de pouvoir vérifier le bien-fondé de mes réflexions. Alors j'imagine que, comme les deux femmes assises à la terrasse de ce restaurant parisien – et dont nous allons faire la connaissance à travers leurs réflexions et jugements sur leur voisine – je dois me tromper souvent. Mais l'exercice n'en reste pas moins plaisant.
Cela commence comme dans un sketch de Jean-Marie Bigard, avec ce dialogue aussi absurde que convenu avec le serveur: «C'est pour déjeuner? Combien de personnes?
— Une personne.
— Vous attendez quelqu'un?
— Non, je suis toute seule.
— Donc vous n'attendez personne?»
Et voici la provinciale débarquant à Paris pour la durée d'un stage installée à la petite table en terrasse et pour laquelle elle a dû se battre, manquant de cette assurance dont elle affuble sa voisine qui elle dispose des codes. Aucun doute, c'est une Parisienne. Dans sa façon de s'habiller, de bouger, de parler au serveur. Et voilà le duel à distance lancé, avec cette pointe de jalousie qui fait vite monter la température. Mesdames qui me lisez, avouez que vous êtes beaucoup plus cruelles envers vos consoeurs que nous ne le sommes entre hommes. Ce récit jouissif en apporte une nouvelle preuve et un début d'explication. Ce besoin d'entrer dans le moule, cette pression sociale qui voudrait qu'à tout moment les femmes soient belles et professionnelles, élégantes et distinguées, spirituelles et enjouées. Alors forcément, il manque toujours quelque chose à la panoplie. Et le risque est grand que soudain, d'un battement d'aile de papillon, tout s'effondre. Peut-on commander des escargots et un verre de beaujolais si on en a envie? Voilà un exemple, parmi des dizaines d'autres, des questions qui se posent durant cette pause-déjeuner et avec lesquelles nous lecteurs allons nous régaler. Autour de ce plat va d'abord se nouer la culpabilité, l'impression d'avoir franchi une limite. Impression confirmée par les réflexions de sa voisine se disant qu'avec ces escargots, elle «coche vraiment toutes les cases». le ridicule accompli. Sauf que… Quelques minutes plus tard, le jugement a changé. La fille aux escargots, que notre Parisienne a décidé de prénommer Solenne, commence sérieusement à l'agacer. «Elle dégage une force tranquille. Solenne est une vraie beauté, elle a un profil parfait, elle ne sait pas s'habiller, mais elle n'a pas besoin de ça pour être belle. Moi, je suis déguisée, je triche sans cesse. Solenne n'a pas les codes pour mentir, les bases pour tricher, les trucs pour feinter, je crois que ça s'appelle la pureté.» Une pureté perdue pour elle qui, on le découvrira quelques lignes plus loin, n'attend pas avec un enthousiasme débordant Étienne, «son» homme qui n'arrive pas. Quand l'une se plaint de sa solitude, l'autre se dit qu'il vaut mieux être seule que mal accompagnée…
À l'heure du dessert, attendez-vous à une belle surprise. Mais je n'en dis pas davantage.
Derrière le ton caustique et les piques, c'est à un vrai travail de sociologie que se livre Charlotte Gabris, dressant un catalogue raisonné des codes de la vie en société, des préjugés qui nous étouffent, mais aussi cette aspiration à l'authenticité. Il y a le même sens de l'observation de nos tics et manies que l'on peut trouver dans «Les frustrés» de Claire Bretécher, férocité et joyeusetés comprises.
Si ce roman empêchera l'une et l'autre de déjeuner en paix, il vous fera en revanche passer un excellent moment. Pétillant et cruel, enlevé et culotté. Et si, après tout, derrière la légèreté du propos, on découvrait ce beau message subliminal: allez-y, acceptez-vous dans votre originalité et votre authenticité, vivez avec vos contradictions et votre fragilité!


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Elles sont deux sur cette terrasse : l'une, sûre d'elle, parisienne, attend son compagnon ; l'autre, nature et mal dans sa peau, arrive de province pour prendre un premier poste. Elle est seule et l'accepte. Elles se regardent, se scrutent, s'examinent, se jugent, se jaugent, s'interrogent...Un premier roman qui analyse avec beaucoup de finesse et d'humour la psychologie féminine et présente des personnages des plus crédibles, toutes deux à la croisée des chemins. Si différentes et si semblables. le fil du récit est intéressant et la fin plutôt maligne. Une lecture plaisante.
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Unité de lieu : la terrasse d'un café parisien. Unité de temps : le temps d'un déjeuner. Unité d'action : un déjeuner, justement. C'est une chose qui m'a frappée dans ce livre, c'est que, en dehors du twist final, je l'aurai bien vu sur une scène de théâtre, ce roman. Il faut dire aussi que le texte n'est que monologues intérieurs (celui des deux femmes, celui d'une fillette et celui de sa mère) tous très vivants malgré l'absence d'actions. Deux jeunes femmes se sont attablées à la terrasse d'un café à l'heure du déjeuner. L'une, fraîchement arrivée à Paris, plutôt nature et mal dans sa peau, mange seule en l'assumant ; l'autre, parisienne, plus apprêtée, maîtrisant tous les codes, attend son compagnon qui tarde à la rejoindre. Tout au long de ce déjeuner elles vont s'observer, se juger, essayer d'imaginer la vie l'une de l'autre, se jauger et questionner leur estime de soi. Dans leurs réflexions on peut voir beaucoup de clichés, ou plutôt de banalités, ce qui donne d'autant plus de sel à la fin. Il y a un petit quelque chose des Frustrés de Claire Brétécher dans ces banalités dans l'air du temps. Ces deux femmes sont croquées à un instant où elles sont toutes deux à la croisée des chemins, tout comme les femmes de Fugitives d'Alice Munro, que je viens de finir tout juste avant, difficile pour moi de ne pas faire y songer (amusant comme parfois des lectures peuvent se répondre sans qu'on l'est cherché). La construction est implacable et remarquable, avec une alternance entre les voix des deux jeunes femmes jusqu'au twist final qui donne une tout autre ampleur au texte, très très loin du côté chick-lit apparent au premier abord. On sent dans l'écriture que l'auteure de ce premier roman a déjà l'expérience de l'écriture, elle est humoriste et cela se sent, tant par la finesse des observations sociologiques que par quelques pointes et jeux de mots. Je me suis bien faite avoir, j'avais bien repéré un indice, mais il m'a envoyé dans une mauvaise direction, le lecteur ne peut qu'être scotché par la chute. A découvrir absolument. Et pour ma part, c'est une auteure à suivre.
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Livre reçu dans le cadre de l'opération "Masse Critique ".
Le titre et l'exergue donnent l'idée générale : les nouvelles du monde ne sont pas bonnes – comme d'habitude – et au lieu de se morfondre, il est préférable de se détendre et de profiter du déjeuner, sachant que la vie est imparfaite.
À la terrasse d'un café, il y a deux jeunes femmes. D'un côté, Sophie (de son vrai nom) / Sophia (celle qu'elle voudrait être) / Solenne (selon la description de sa voisine) / la fille aux escargots (vue de l'extérieur, parce qu'elle commande des escargots) incarne la fraîcheur provinciale, sympathique mais un peu naïve. À quelques mètres de la première, la fille au vélo (parce qu'elle est arrivée en vélo)/ Stéphanie (selon la caricature de sa voisine) / sans vrai nom indiqué (on saura pourquoi à la fin) est « parfaite » mais dégage l'aigreur de la Parisienne type odieuse.
La forme est originale : Solenne et Stéphanie commencent chacune un monologue intérieur (auquel s'ajoute un troisième, celui de la fillette assise un peu plus loin avec sa mère (qui sont-elles ? je vous laisse la surprise). Quoi qu'il en soit, elles représentent des voix distinctes, des étapes dans (les âges de) la vie d'une femme. Pour le moment, les deux filles dont le prénom commence par « S » (comme Stephan, d'ailleurs) s'épient, se comparent, se jugent : mal dans leur peau, l'une envie l'autre et réciproquement. Elles tracent le portrait d'une société dédiée aux apparences car l'étude à laquelle ses deux femmes s'adonnent révèle faux-semblants et égoïsme, peur du regard des autres et jugement perpétuel. Les vêtements, les attitudes, tout est symbolique et le prénom qui en est déduit donne corps à la personne imaginée.
Ce qu'il en ressort, c'est qu'il s'agit de mettre un frein pour se laisser la marge de manoeuvre (ne pas tout donner, laisser croire/espérer/désirer) qui prévient la peur de la désillusion, de la déception, d'avoir mal. Qui préserve sa fierté. C'est une carapace qui montre le peu d'assurance et d'estime de soi (accepter la concurrence, c'est s'aimer soi-même) pour se parer contre l'humiliation (le regard du serveur). Selon Charlotte Gabris, les filles intègrent vite la notion de concurrence et tant qu'il y aura des « Stéphanie », le manque de solidarité existera entre les femmes (p 40). Car ces femmes ont peur de la solitude, elles en ont honte, elles la cachent en faisant semblant d'attendre quelqu'un. Elles attendent de toute manière un homme, qui signifiera la fin de la solitude et le début de l'amour.
Le ton est résolument usuel, moderne/contemporain, avec un aspect « bavardage de filles » (gossip girl). C'est un mélange de familiarités et de « grossièretés d'usage » (très répandues de nos jours : putain, con, merde, bordel) qui s'intensifie jusqu'à atteindre une certaine crudité (bite, cul, féconder/vagin. Si ces deux derniers termes ne dénotent pas dans un livre de médecine, ils prennent ici une connotation provocatrice). L'ensemble est donc enlevé, vif, doté d'un humour décapant et d'une ironie amusante, au service d'un féminisme assumé. C'est un feu d'artifice de détails perturbants mais pertinents, un mixte entre le Jean Gabin de la chanson « Maintenant je sais » et le Raymond Devos de « le bout du bout » (p 63). C'est drôle, puis cela devient profond, un peu triste aussi, avant que la pirouette finale rétablisse l'espièglerie de la situation. Les deux filles se confondent progressivement et la fin boucle sur le titre du roman inspiré de la chanson de Stephan Eicher.
C'est un petit roman qui se lit très bien (pour celles qui ne s'associent pas à « Stéphanie »), très vite et remet quelques préjugés en place.

Bonus : paroles de la chanson Déjeuner en paix, de Stephan Eicher :
"J'abandonne sur une chaise le journal du matin
Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent
J'attends qu'elle se réveille et qu'elle se lève enfin
Je souffle sur les braises pour qu'elles prennent
Cette fois je ne lui annoncerai pas
La dernière hécatombe
Je garderai pour moi ce que m'inspire le monde
Elle m'a dit qu'elle voulait si je le permettais
Déjeuner en paix
Déjeuner en paix
Je vais à la fenêtre et le ciel ce matin
N'est ni rose ni honnête pour la peine
"Est-ce que tout va si mal?
Est-ce que rien ne va bien?
L'homme est un animal" me dit-elle
Elle prend son café en riant
Elle me regarde à peine
Plus rien ne la surprend sur la nature humaine
C'est pourquoi elle voudrait enfin si je le permets
Déjeuner en paix
Oui déjeuner en paix
Déjeuner en paix…"

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D'habitude, je suis plutôt bavarde, mais pour être bavard, il faut avoir une personne à qui parler, et pour ça, il faut connaître quelqu'un. Et pour connaître quelqu'un, il faut faire des rencontres, et pour ça, il faut sortir, donc je sors.

Je n'ai jamais vraiment fait de crise d'adolescence, et je le regrette énormément. Je n'avais pas conscience, à l'époque, que mes parents m'aimaient et que mon comportement, mes choix et mes bêtises importaient peu. J'ai toujours voulu être exemplaire, j'ai toujours eu peur de perdre l'amour des miens. Mais celui d'une mère et d'un père pour leur enfant est inconditionnel, et si je l'avais su plus tôt, j'en aurais davantage profité. J'aurais pris de la drogue, j'aurais fait des fugues, des comas éthyliques, j'aurais fait ma vie, en somme.

Faire une crise d'adolescence, ça marche quand on a des parents, une autorité enfin quand on est adolescent, c'est même le critère numéro un pour pouvoir la faire, cette crise. Mais passé trente ans, ça s'appelle péter un plomb, tout simplement. On ne peut pas fuguer à trente ans, parce que personne ne vous cherche. On ne peut pas faire le mur, puisque personne ne vous empêche de sortir. Je ne peux plus vivre de crise d'adolescence, parce que plus personne ne m'empêche de faire quoi que ce soit, à part moi-même. La solitude et l'indépendance, ça me terrorise.

Moi, je ne pourrais pas assumer cette solitude. Quand j'attends quelqu'un, je me sens toujours obligée de préciser que j'attends quelqu'un et, quand je n'attends personne, je fais toujours en sorte de dire que j'attends quelqu'un.

Une femme a pris ma déposition, mais elle m'a d'abord demandé quelle tenue je portais au moment de l'agression. Apparemment, certaines tenues justifient tout à fait qu'un homme distribue son sperme sur le dos des voyageuses dans les transports en commun, c'est toujours bon à savoir...

Le pire c'est que son jugement me touche. Son jugement m'importe. Son jugement m'atteint. J'ignore pourquoi, j'ai toujours voulu plaire aux gens qui ne m'aimaient pas. Je peux faire des milliers d'efforts pour gagner la sympathie de ceux qui me rabaissent. Je veux systématiquement être amie avec les filles méchantes, elles me fascinent.

Je n'ai jamais compris ce principe d'oublier de manger... On peut oublier un parapluie, sa pilule, un rendez-vous, mais pas de manger !

La fille belle a plus de droits que les autres : elle peut mal se comporter, ne pas dire bonjour, prendre un air hautain, on la qualifiera toujours de rêveuse, alors qu'une fille moche qui se comporte mal, c'est une frustrée, une aigrie et une mal baissée. Oui, "mal baisée", car la société pense encore que, si une femme est méchante et de mauvaise humeur, c'est parce qu'elle a besoin d'une bite. "Elle, il lui faudrait un bon coup de bite !" Pas de quelqu'un en particulier, non, n'importe laquelle. Une bite, et hop, la bonne humeur et la joie reviennent !

Une belle qui s'ignore est bien plus dangereuse qu'une femme sûre de sa beauté.

Parfois j'éprouve tellement le désir de rentrer que j'en ai mal au ventre. Je me sens seule au point d'avoir envie de vomir. Il paraît que c'est ça le mal du pays, un pic qui reste constamment accroché au coeur et qui empêche de respirer. Il m'est arrivé plusieurs fois d'aller à la gare pour voir les trains qui repartaient chez moi. Je ne monte pas dedans, mais ça me rassure de savoir que je pourrais le faire.

Je pense que je ne sais pas grand-chose, mais il paraît que ceux qui ne savent rien, et qui savent qu'ils ne savent rien, savent beaucoup plus que ceux qui ne savent rien et ne savent pas qu'ils ne savent rien. C'est ma mère qui me disait toujours ça, je lui ai demandé d'où elle savait ça, mais elle n'en savait rien. Moi, je sais surtout qu'il y a trop de choses que je ne sais pas.

J'attends une vraie raison d'aller mal, et je garde mes larmes bien au chaud : je ne veux pas gâcher ma réserve lacrymale, c'est mon côté écolo.

Je n'aime pas les gens qui disent : "Fais comme chez toi !" Il n'y a rien de moins chaleureux que de souligner que la personne n'est justement pas chez elle.

Il paraît qu'on attire ce qui nous advient, dans le bien comme dans le mal. Moi, je n'attire rien. Je provoque les choses, mais je ne les attire pas. Je ne crois pas aux énergies qui circulent. Les énergies sont faites pour les passifs et les riches qui ont le luxe de pouvoir se fier à la chance.

Moi, je suis fermée, je ne sais pas si je me force à ne rien attendre pour ne pas être déçue, ou si, vraiment, je n'attends rien, naturellement. L'ennui, c'est que le rien n'est pas surprenant alors que, si on attend quelque chose et que rien n'arrive, il se passe quand même quelque chose. Je veux dire, le rien est actif lorsque la possibilité du changement lui est donnée. Je veux attendre quelque chose, moi aussi, parce que j'en ai marre de tout faire toute seule et de ne pas laisser de place à la surprise, à l'inattendu. Voilà, je vais attendre l'inattendu.

On dit que les gens et les choses ne changent pas, que seul le regard que l'on porte sur eux peut les faire évoluer, je pense que c'est valable, mais pas pour les cons. Eux ont cette capacité à résister à tout changement et à durer.

Moi, je n'aime pas mon anniversaire. Je suis toujours déçue. Personne ne m'offre jamais le cadeau que j'espérais. Je fais toujours semblant de ne rien vouloir pour qu'on me prépare une surprise. Alors, les gens ne font rien, justement pour me faire plaisir, et effectivement, je suis surprise, par le fait qu'il ne se passe rien.

Il faut savoir ce que l'ont veut, il faut savoir l'exprimer et l'assumer. C'est ça devenir adulte. Personne ne fera les choses à notre place.

Devenir adulte, ce n'est qu'une succession de concessions, de désillusions, et de projets qui nous terrifient. Peut-être qu'être adulte, c'est tout simplement accomplir des choses effrayantes en faisant semblant de ne pas avoir peur ?

Je ne suis pas aigrie, mais la vie est injuste. C'est injuste que les femmes soient censées se teindre les cheveux à la moindre racine blanche et que les hommes exhibent fièrement leur chevelure argentée. C'est injustes une leurs poils sur le torse soient considérés comme virils et les nôtres comme antiféminins sur les jambes. C'est injuste que le ventre arrondi soit mignon chez un homme et de trop chez une femme, que les rides soudent sexy chez eux et à bannir chez nous. Pourquoi ? Les rides, les cernes sont bien le signe d'une vie pleine d'expériences. Donc, nous devons garder un visage figé, sans les traces du temps qui passe.

Souvent, on m'explique que, si je ne veux pas d'enfants, c'est que je n'ai pas encore trouvé "la bonne personne". Moi, je pense aussi que les gens qui se permettent de dire ce genre de choses n'ont, eux non plus, pas encore trouvé "la bonne personne" pour les inviter à fermer leur gueule de temps en temps.

Il paraît que pour garder un homme il faut être à la fois : sa maîtresse, sa mère, sa meilleur amie. Mais moi, je n'ai pas que ça a foutre, en fait. C'est déjà assez compliqué d'être une seule personne, alors si en plus il faut jouer minimum trois personnages pour stimuler le désir de l'autre, ce n'est pas viable. Je ne veux pas devenir schizophrène par amour.

J'ai tant aimé mon enfance, cette insouciance du corps, cette inconscience du regard extérieur, cette légèreté de l'âme.

J'aimerais tant retourner en arrière, pour revivre mon enfance, mais avec mon âme d'adulte. Je me sens encore profondément triste de ne plus être une petite fille. Je ne supporte pas le temps qui passe, je suis obsédée par chaque seconde qui s'écoule. C'est d'ailleurs pour ça que je ne porte pas de montre, le tic-tac infernal me rappelle sans cesse qu'il faut profiter, qu'une pensée fugace fait déjà partie du passé, que tout est déjà derrière. Et plus j'essaie de profiter, moins je profite. Moins je profite, plus je me dis que j'aurais dû profiter. Profiter, finalement, c'est ne pas avoir conscience de profiter.

Je pense toujours que je serai plus heureuse demain, mais je crois aussi que je suis plus malheureuse qu'hier. J'ai foi en l'avenir, j'idéalise le passé, mais je méprise le présent.

Être sereine... Est-ce que je saurai l'être, un jour ? Est-ce que je parviendrai, moi aussi, à me sentir heureuse d'être moi ? J'ignore pourquoi, mais depuis toujours, je veux être quelqu'un d'autre.

Une copine de ma mère m'a prêté cet appartement. "Un petit appartement de charme", comme elle dit. "Petit", je suis d'accord, "de charme"' je ne vois pas. Je crois qu'à Paris, on utilise l'expression "de charme" pour "de merde". d'ailleurs, ici, le mot "charme" est rarement employé de manière positive : "Elle a du charme." = "Elle est moche."

Il dit que je suis insensible. Ce n'est pas vrai, c'est aussi une sorte de sensibilité que d'être insensible à certaines choses. Je suis sensible, parce que je sais que je souffre de mon insensibilité, donc si je souffre, c'est justement la preuve que je sens des choses.

Elle doit s'entourer des mauvaises personnes pour fuir la solitude, et moi, je les fuis tellement que la solitude m'entoure.

Je veux toujours que les choses soient différentes de ce qu'elles sont, et quand elles deviennent ce que je veux, je souhaite qu'elle redeviennent comme avant, quand elle étaient ce qu'elles étaient.

Quand je suis avec quelqu'un qui m'aime pour ce que je suis, qui me caresse les cheveux avant de dormir, et qui me fait des déclarations, je pressens le danger. Le danger de la routine. Alors je brise tout, j'essaie de mettre du piment, je veux de la passion quand l'amour est paisible. Des cris à la place des rires, de la baise à la place de la tendresse, de l'insécurité à la place de la quiétude, et surtout, des disputes. Il faut que ça vive.

Je crois que je ne cherche pas le bonheur avec un homme. Ce que je veux, c'est marquer son esprit. Qu'il se souvienne de moi, toute sa vie. Qu'il pense à moi avec regret en se disant qu'il n'a pas réussi à me garder. Je préfère être un regret plutôt qu'un
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INCIPIT
Je n’ai rien dit aujourd’hui. Il est midi passé, et je n’ai pas encore prononcé un seul mot. Pas un seul son. Hier non plus, d’ailleurs. Je ne sais pas à qui je vais parler en premier au cours de cette journée, ou si je vais parler tout court.
J’ai peur que ma voix soit bizarre, endormie, enrouée. Et si, à force de ne pas m’en servir, je la perdais comme la Petite Sirène? Mais, contrairement à Ariel, moi, j’aurais toujours mes deux jambes, pas une queue de poisson. D’ailleurs, ça ne l’a pas empêchée de trouver un homme. Je pense même que celui-ci est tombé amoureux de la Petite Sirène parce qu’elle ne parlait pas, justement. Il s’est dit: «OK, ma fiancée est moitié femme, moitié poisson, mais, au moins, elle ferme sa gueule.»
D’habitude, je suis plutôt bavarde, mais pour être bavarde, il faut avoir une personne à qui parler, et pour ça, il faut connaître quelqu’un. Et pour connaître quelqu’un, il faut faire des rencontres, et pour ça, il faut sortir, donc je sors.
J’ai faim. Pour une fois, je ne vais pas manger chez moi, non, je vais me faire plaisir, je vais déjeuner au soleil. La solitude commence à me peser, la preuve, je parle toute seule, et j’ai des expressions de solitaire: «JE vais ME faire plaisir.» Comme si «je» et «moi» étaient deux personnes différentes. C’est peut-être ça, le début de la schizophrénie. Je ne sais pas si je souffre de troubles de la personnalité, je sais juste que je suis affamée.
Les gens font déjà la queue devant la terrasse. Le serveur prend d’ailleurs un malin plaisir à ne pas les placer tout de suite. Il les regarde patienter d’un air satisfait. Comme si tout ce beau monde était là pour lui, comme s’il avait une sorte de pouvoir sur sa clientèle. Ça doit lui plaire de prendre son temps, d’avoir l’impression de maîtriser quelque chose, pour une fois, dans sa vie.
Je me suis toujours demandé: les gens font-ils la queue parce que le restaurant est extraordinaire, ou parce qu’ils voient d’autres énergumènes faire la queue?… C’est quand même étrange d’attendre si longtemps simplement pour déjeuner en terrasse. C’est même à la limite du ridicule. Voilà ce que je me dis… tout en faisant la queue.
En tout cas, moi, je ne sais pas si le restaurant est bon, je suis juste les autres. J’aurais fait de même si j’avais vu un attroupement devant un poteau. Je n’ai vraiment aucune personnalité.
C’est long, j’ai chaud, j’ai faim, j’ai soif, j’ai…
«C’est pour déjeuner? Combien de personnes?
— Une personne.
— Vous attendez quelqu’un?
— Non, je suis toute seule.
— Donc vous n’attendez personne?»
J’ai l’impression que ce dialogue dure une éternité. Je suis seule, certes, mais avant sa petite pique, je ne m’étais pas rendu compte à quel point je l’étais. Pour lui, je suis donc une personne qui n’attend personne… Il aurait pu dire : « Vous êtes paumée ? Vous n’avez pas d’amis ? », ça aurait sonné pareil.
Je tente de le suivre. Il marche très vite, comme s’il cherchait à m’impressionner, à me montrer qu’il connaît mieux les lieux que moi. Je ne vois pas trop l’intérêt, ni la raison de cette précipitation – si ce n’est la queue, mais les autres peuvent bien attendre encore un peu –, quoi qu’il en soit je le suis bêtement, tout en me cognant maladroitement aux chaises de quelques clients mal placés. Le serveur se dirige maintenant à l’intérieur, puis s’arrête devant une petite table à côté des toilettes.
En fait, je t’explique, connard : ce n’est pas parce que je déjeune seule que j’ai des goûts de merde.
Évidemment, je ne dis rien de tout cela. Une toute petite voix sort de ma bouche :
« J’aurais voulu être en terrasse, si possible… »
Le serveur lève les yeux au ciel.
Non seulement elle est seule, mais en plus elle est exigeante. Les gens seuls ne devraient pas être autorisés à manger en terrasse. Les gens seuls devraient rester chez eux, ou alors ils devraient la fermer et s’estimer déjà heureux d’avoir la chance de manger près des toilettes. Les gens seuls sont seuls pour une raison, mais cette raison, ils ne la comprennent pas. C’est pour ça qu’ils sont seuls, c’est pour ça qu’ils font chier.
C’est ce qu’il doit se dire derrière son sourire hypocrite, derrière son «Y a pas de souci!» Ça sonne faux.
D’ailleurs, c’est quoi cette expression, «Y a pas de souci»? Bah non, il n’y en a pas! C’est quoi cette façon de montrer à l’autre qu’il pourrait y en avoir ? On marche sur les pieds de quelqu’un, on s’excuse, et l’autre répond: «Y a pas de souci!» Mais j’espère bien qu’il n’y en a pas. C’est fou, quand même ! Enfin si, il y a un souci : c’est le fait que tu me dises qu’il n’y en a pas, justement. C’est ça, mon souci.
Bref, le serveur m’installe. Je dis « m’installe » parce que c’est comme ça qu’ils parlent, les serveurs : «Je vais vous installer en terrasse.»
Tu vas surtout redescendre un peu.
« Installer »… C’est un grand mot, quand même. «Installer», c’est beau, c’est généreux, c’est asseoir quelqu’un, c’est prendre soin de bien faire les choses, c’est peut-être même dresser une belle nappe en ajoutant une corbeille de fruits… C’est ça, « installer ». Ce n’est pas montrer vulgairement une table du doigt, au loin.
Je suis en première rangée, presque sur le trottoir. « Comme ça, vous verrez passer les gens ! » me dit-il avant de me jeter le menu sur la table. Je m’en fous de voir passer les gens, moi. Je veux juste déjeuner au soleil. Je ne suis pas parisienne, je ne pratique pas le matage, sport favori de la capitale, qui consiste à juger les passants et à leur inventer une vie.
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Je hais Carrie Bradshaw, j'aurais envie de déballer que c'est sa faute tout ça, qu'à cause d'elle, des milliers de jeunes filles ont voulu partir à l'aventure dans les grandes villes, qu'à cause d'elle, des milliers de jeunes filles se sentent seules et tristes, qu'à cause d'elle, j'ai même idéalisé les laveries... (...)
J'ai envie de rentrer dans ma télévision et de dire à Carrie ses quatre vérités : " " Non...non, Carrie, c'est pas comme ça, la vraie vie, tu comprends ? On ne se balade pas en tutu dans la ville, on n'a pas des copines qui sont dispos vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour aller bruncher, on prend du poids quand on mange des pizzas tous les soirs en sortie de boite, et on ne marche pas pieds nus dans les rues en rentrant de soirée, tout simplement parce qu'on ne veut pas attraper le tétanos, Carrie !"
Quand on est seule, la vie à Paris est comme dans toutes les grandes villes : vide et anonyme.
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C'est horrible de vivre seule, et je ne sais pas être adulte. Je ne sais pas aller à la poste, je ne sais pas où est mon compteur électrique et je n'ai pas envie de savoir , je ne sais pas mettre de l'argent de côté, je ne sais pas choisir une mutuelle, je ne sais pas penser à la retraite, je ne sais pas payer les factures en temps et en heure, et parfois je crois très fort qu'en les déchirant elles n'existeront plus. Comme une sorte de tour de magie (...).
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Je crois que je ne supporte plus ce qu’il dit, ni ce qu’il pense. Je ne sais plus qui est Étienne, et je ne sais plus qui je suis. Chaque soir, j’ai l’impression de m’endormir à côté d’un étranger. En ce moment, ma vie de couple, c’est un voyage en terre inconnue. Je me couche dans le doute, je me lève dans le doute, sans comprendre ce que je fous encore ici. Je ne parle plus la même langue que lui. Comme si j’étais touriste dans ma propre vie. Je veux rentrer chez moi, mais je ne sais plus où c’est, chez moi. Je n’ai pas de carte, ni de boussole, alors je marche au hasard, je suis le vent en attendant de trouver le bon endroit, le bon pays, la bonne maison pour mon âme.
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Vidéo de Charlotte Gabris
Paris, une terrasse de café ensoleillée. C'est l'heure du déjeuner, les gens font la queue. Les salades sont immangeables, une tasse de the coûte huit euros, le personnel est abject. Mais les gens font la queue. Une jeune provinciale est attablée, seule. À ses côtés, une Parisienne attend son amoureux qui tarde à la rejoindre. Deux femmes qui n'ont a priori rien en commun. Si ce n'est que l'une et l'autre se regardent, se jaugent, se moquent. Peut-on parler fort, ne jamais sourire, et porter un panier en osier avec autant d'assurance et d'aplomb ? se demande la première. Peut-on boire un verre de vin en trinquant… avec soi-même, et sembler heureuse malgré tout ? se demande la seconde. Mais sont-elles si différentes ? Et qui sont-elles pour se juger si durement ? Charlotte Gabris s'amuse ici de la rivalité féminine avec malice. Et si nous essayions, nous aussi, de déjeuner en paix ?
En savoir plus : https://bit.ly/2PTbx4U
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