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EAN : 9782742754304
38 pages
Actes Sud (02/03/2005)
4.2/5   106 notes
Résumé :
Publié dans la revue Empédocle que dirigeait Albert Camus, ce texte de Paul Gadenne fut repris par Actes Sud en 1982 et il connut un succès qui lui valut ensuite plusieurs rééditions. En voici une nouvelle qui correspond avec la parution du 150e numéro de la collection "un endroit où aller", créée en 1995 avec le désir de donner à l'écriture le rôle premier qui est le sien dans le déploiement des multiples sens constitutifs d'une œuvre. H. N.
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
4,2

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Quintessence de la beauté, de la pureté de l'écriture, du pouvoir de la littérature, ce tout petit texte de Paul Gadenne. Court et magistral.
Publié en 1949 dans la revue Empédocle par Albert Camus, réédité en 2014 chez Actes Sud, nous avons entre les mains 34 pages en papier tissé, de couleur crème surannée, dans lesquelles chaque ligne est incandescente d'élégance narrative. Chaque ligne se fait bijou.

Sur une plage, quelque part en France, une baleine blanche s'est échouée. Ceci est le seul élément de cette nouvelle. Une baleine échouée qui fait naitre rumeurs, suspicions et devient le centre de toutes les conversations, au point que le narrateur décide avec son amie Odile, d'aller la voir de ses propres yeux. Cette nouvelle narre la rencontre. La rencontre avec la mort de ce colosse dans un décor profondément vivant. Et ce que la vision de cette mort va faire naitre chez les deux observateurs.

Il y a une transformation entre le moment où nous découvrons de jeunes gens engourdis, affalés, « écroulés sur le velours, dans un luxe bizarre de cristaux et d'appliques, nous protégeant, derrière une tenture à emblèmes », la déambulation pour rejoindre le lieu de l'échouage et l'observation. Comme si la vision puis la conscience de la mort redonnait vie. La métamorphose de la baleine en décomposition recompose le sens de la vie du narrateur, le sens de toute existence, à savoir la mort à venir. C'est fort et cela se fait en quelques pages. Brillant.

« Nous marchions à la lisière du bois. le vent nous envoyait des aiguilles de pin dans la figure. Elles se piquaient dans les cheveux mousseux d'Odile qui avait pour les en retirer des gestes de chinoise devant son miroir ».

L'arrivée au bord de la mer est éblouissante. En orfèvre des mots Paul Garenne nous offre des paysages marins absolument magnifiques débordant de vie, de senteurs, de sons, de couleurs et d'odeurs.

« Nous ne cessions pas d'entendre cette respiration lente et hautaine, ces chocs sourds, cette voix dédaigneuse de tout éclat. Les lames se chevauchaient, puis s'affalaient sur elles-mêmes, avec de grands soupirs faussement exténués. Une mousse inconsistante se rassemblait sur le rivage, où elle restait seule à frémir, tandis que la déclivité entrainait les eaux ruisselantes ».

Et la rencontre de "ce trait jeté en travers de la plage comme une rature". La baleine. Blanche, d'un blanc sans lumière, un blanc gelé, comme le blanc du lait épanché…Et son corps en décomposition décrit dans ses moindres détails. Je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle avec la charogne de Baudelaire. Requiem pour Moby Dick dans cette description surprenante, cette « mare aux reflets de jasmin et d'ortie, cet épanchement paresseux, promis aux plus troubles métamorphoses ». J'ai rarement lu de description aussi aboutie, aussi troublante, aussi métaphorique. Et comme pour la charogne qui nous force à voir ce que nous allons tous devenir, le spectacle de la baleine en décomposition nous donne à voir le sens de toute existence. Dans un style narratif certes autre mais dans un message philosophique très proche finalement.

La fin se veut espoir. Quelques traces d'amour pour se rassurer, telle une bouée jetée en mer, l'éternité et le néant entrelacés. Nos observateurs, différents, semblent désormais baignés dans l'haleine bleue et glaciale d'une baleine morte.

Une nouvelle inoubliable, à lire, à relire…

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Baleine est un court récit de la taille d'une nouvelle, - moins d'une trentaine de pages, écrit par un certain Paul Gadenne que je ne connaissais pas. Ce texte publié pour la première fois en 1949 par Albert Camus dans la revue Empédocle, m'a touché par sa beauté, sa grâce, sa profondeur.
Nous sommes dans une ville de bord de mer, une station balnéaire sans doute. Nous faisons la connaissance de deux jeunes personnes, Pierre et Odile. Je les devine nonchalants, avachis sur des coussins, des canapés, presque désinvoltes, étrangers au monde qui les entoure. C'est peut-être une histoire d'amour qui commence... Ils ne savent pas encore qu'une baleine va traverser leurs vies à jamais... Ce n'est pas rien une baleine, ça impose...
La beauté du texte de Paul Gadenne m'a invité à les accompagner, j'ai cheminé avec eux, porté par cette écriture ciselée comme un joyau...
Baleine, c'est le surgissement d'un monde en décomposition, celui de l'après-guerre, un monde privé d'espoir...
La rumeur s'est vite propagée : une baleine s'est échouée sur une des plages toutes proche. Elle n'a pas survécu, elle est là dans sa gigantesque et lente pourriture... Elle est là depuis quelques jours déjà...
Odile est heureuse que Pierre l'invite à aller voir la baleine échouée. C'est pour elle comme un conte de fée, une jubilation qui rompt l'ennui, l'invitation à venir voir le spectacle du fameux cétacé, ce n'est pas tous les jours qu'on peut voir une baleine de près, même échouée, même pourrissante, même devenant charogne. On ne sait pas vraiment de tout cela ce qui attire Pierre et Odile, ce qui les fait se dresser soudain de la mollesse de leurs coussins, oisifs... le monstre ? L'animal venu du fond de l'océan ? L'événement inattendu où il ne se passe jamais rien dans cette station balnéaire ? Ou cette masse qui pourrit et déjà puante, d'une odeur infecte ? Qu'est-ce qui les fait réagir soudainement et venir ?
L'écriture ciselée comme une pierre précieuse est d'une beauté incroyable, pure, précise, mystérieuse en même temps, et c'est ce qui en fait aussi son charme.
La magie de cette lecture tiendrait-elle à la présence d'un cétacé ?
C'est une histoire d'altérité et le sens de ce texte prend alors peu à peu forme dans cette allégorie car, bien sûr, on n'imagine pas que tout ceci a été écrit pour seulement contempler une baleine morte et qui va pourrir tranquillement sur le littoral.
Les mots ont cette précision et cette fausse incertitude qui nous laissent à la lisière d'un paysage presque au bord du vide... Je ne savais pas où j'allais. J'étais prêt dès les premières lignes à me perdre, à m'enivrer...
Il y a une grâce sans cesse à chaque page, - que dis-je, à chaque ligne...
Trente pages pour dire à travers une cathédrale de chair immonde et sublime en même temps, échouée sur du sable, la déchéance, la fragilité de l'existence, la vie après la vie, la vie après la guerre, ce qui peut advenir pour continuer à tenir debout dans ce désastre qui reste...
L'écriture de Paul Gadenne est d'une grande pureté. Je ne saurais dire en quoi elle est bouleversante. Tout paraît si insignifiant, si léger, tandis que les mots de ce texte commence à nous traverser de part en part. La beauté du décor est là, l'océan déjà, et celle de l'envers du décor encore plus belle, plus tragique peut-être.
Des phrases, des dialogues se posent, inachevés, peut-être que le vent du large les emporte...
La beauté de ce récit tient aussi à son mystère, ce qu'il recèle. Ce qu'il ne dit pas, ce qu'il ne dira jamais.
Peut-être que ce texte en si peu de pages nous permet de poser la main sur la beauté de la littérature, ce qu'elle est, sa force, sa puissance sidérale en nous. Ses abymes aussi...
Cette masse qui git dans sa putréfaction devient tout simplement belle sous l'écriture par l'écriture de Paul Gadenne, un monde à la dérive, une cathédrale blanche, béante dans sa blessure immonde, où entre le regard de Pierre et Odile, le nôtre aussi, le regard
Parce qu'à partir d'une charogne posée sur une plage, voilà une magnifique méditation sur la beauté, la beauté du monde, la seule essentielle.
L'indécision et le mystère planent sur l'endroit, les raisons, l'intrigue, on subodore une atmosphère de menace sourde, de presque fin du monde, mais tout cela est purement secondaire.
La seule question essentielle à poser devant une baleine qui pourrit sur une plage et dont la vue nous sidère est bien celle-ci : Pourquoi ?
Pourquoi ?
Éloge de la grâce, des effondrements, éloge des renaissances...
Le texte tient à deux autres mystères. Que vont devenir Pierre et Odile au retour de la plage, dans le chemin qui fracasse les existences, dans la tourmente de la vie d'après ? Après avoir rencontré une baleine échouée et pourrie... Et l'autre mystère, c'est nous, c'est moi : que vais-je faire non pas de ce texte mais des autres lectures à venir, puisque ce récit m'a déjà transformé... ?

Merci à Chrystèle et Sandrine qui m'ont encouragé à cheminer vers ce texte beau et rare.
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C’est court, dense et magistral.
Démonstration :

L’objet est beau :
Une couverture rouge entoilée, des pages de garde bleu marine, 34 pages d’un élégant papier crème épais et même un petit tranchefile rouge : voilà pour la forme raffinée et très soignée qui à elle seule témoigne de la considération portée par l’éditeur à ce texte.
Publié en 1949 dans la revue Empédocle par Albert Camus, réédité en 2014 chez Actes Sud, il fait partie d’une collection que je découvre « les inépuisables », « joyaux littéraires destinés à traverser les siècles ».
J’aime, bel objet !

Le prétexte est simple :
Quelque part en France, « Un petit cercle d’endormis », « écroulés dans le velours » apprend qu’une baleine vient de s’échouer sur le rivage non loin de là. La rumeur va bon train : qui a entendu parler de la baleine, qui l’a vue ? « Elle est toute ensablée », « c’est de la pourriture »…
Suspicion, doutes, condamnation, Pierre, le narrateur, décide d’aller vérifier sur place avec son amie Odile si baleine il y a. Eux, ils y croient.
La baleine, belle figure allégorique dans la période d’après guerre !

Le texte est magnifique :
L’écriture est simple, extrêmement précise, les paysages sont d’une beauté évidente, les émotions suggérées laissent au lecteur un espace propice à l’interprétation de ce texte hautement métaphorique, les quelques dialogues, minimaux, sont ciselés par un authentique orfèvre des mots.
Il est rare de se laisser emporter par un récit aussi court, et pourtant la démonstration force ici l’admiration. C’est un texte essentiel selon moi, dans la lignée d’un Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor. Comment se fait-il que l’on n’en entende pas davantage parler ?

Ici tout n’est qu’ordre et beauté, sobriété, calme et sensibilité…A chacun d’interpréter selon son vécu.
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Petite parenthèse de seulement quelques pages,
un souffle entre deux romans plus épais.
Puissant, dense, malgré sa finesse,
ce petit récit a toute l'allure d'un grand.

Publié en 1949, l'Europe d'après-guerre abattue
marquée par l'horreur de la guerre et la mort,
telle cette baleine en décomposition.
Cette oeuvre traverse le temps,
éternelle.

« … la baleine achevait cet univers chaotique, secrètement accordé dans l'invisible,
qu'elle était un monument posé sur le cataclysme européen. »

*
Pierre et Odile, le temps d'une petite promenade au bord de la côte.
Voir de leurs propres yeux
la baleine échouée sur le rivage.
Curiosité morbide, fascination pour certains,
Dégoût pour d'autres.

Sur la route en lacets,
la mer se découvre
puis se dérobe au regard.
Elle apparaît enfin,
sa surface si paisible, belle et pure dans son habit de cristal.

« La mer était calme, d'un froid lumineux, parsemée d'étranges secrets qui laissaient présager des profondeurs. »

Et puis lentement se dessine
une forme oblongue enfouie dans le sable.
Un colosse terrassé, rejeté par la mer,
Un mastodonte échoué sur la plage,
enlisé.
C'est elle.

« Nous avions cru ne voir qu'une bête ensablée : nous contemplions une planète morte. »

D'abord blanche et scintillante au soleil,
pareille à une montagne de neige,
la baleine se décompose.

« Ce blanc aurait pu être celui de certaines pierres, dont l'effort vers la transparence s'est heurté à trop d'opacité, et dont toute la lumière est tournée vers l'intérieur. »

Dépouille se parant de tons livides, verdâtres et mauves
Elle se teinte des nuances de la mort.
Viscosité, putréfaction, relent fétide.

Quelle tristesse de la voir
avant si belle, si majestueuse, si impressionnante, si puissante,
devenue apathique, insignifiante.
Déchéance.
Vanité.

« C'était là ce qui rendait à ces débris une importance, un sens – une menace – qui nous concernaient directement. Je le sentis en regardant Odile : une étrange, une décisive sympathie s'était nouée en nous pour l'être qui était venu terminer là sa durée, une sympathie qui nous isolait avec lui sur cette grève indifférente, entre la falaise immobile et les eaux en mouvement. »

Une rencontre qui change tout.
« Un pas vers la vérité »
Entre compréhension et mélancolie.
Fragilité de la vie.
Quête de sens.

« Une pitié démesurée, que nous ne pouvions empêcher de retomber sur nous-mêmes, nous montait à la gorge, devant les restes dérisoires de l'animal biblique, du Léviathan échoué. Cette baleine nous paraissait être la dernière ; comme chaque homme dont la vie s'éteint nous semble être le dernier homme. »

Un symbolisme dont eux seuls sont conscients.

« … nous pouvions nous convaincre que le monde se donnait l'illusion de poursuivre sa vie routinière et indifférente. »

*
A la fois poétique et sobre,
je découvre la magnifique plume de Paul Gadenne.
La beauté de l'écriture,
la puissance évocatrice des mots dans toute leur simplicité.

Surprise que ces quelques pages renferment autant d'éclat que de profondeur.
L'image de la baleine échouée sur la plage
cache la cruelle, impitoyable et inéluctable finalité de notre existence.

Une oeuvre métaphorique pour réfléchir et se laisser porter par les mots.
La certitude de revenir et d'emprunter à nouveau le chemin qui mène à l'océan.

Merci à toi Chrystèle pour ce merveilleux moment de lecture.
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Sur une plage , quelque part en France, une baleine blanche s'est échouée.
C'est le seul élément de la courte nouvelle de Paul Gadenne, mais quelle nouvelle!
Où l'on découvre une bande de jeunes gens engourdis:"nous étions plusieurs à nous être réfugiés là, dans ce petit coin où nous pensions être oubliés, et nous restions écroulés sur le velours, dans un luxe bizarre de cristaux et d'appliques, nous protégeant, derrière une tenture à emblèmes.....ou attendant , peut être, qu'on nous annonçât une lueur sur la mer."

La veuve du capitaine, "femme assez mystérieuse et de beauté égale", leur demande s'ils ont entendu parler de la baleine blanche échouée sur le rivage:
"Une masse blanche qui brillait comme une carrière de marbre".
Très vite, toute la ville ne parle plus que de cela.
Pierre et Odile, adolescents du cru, décident d'y aller voir de plus prés.
Afin de mieux comprendre ce secret enfoui, " ce trait jeté en travers de la plage comme une rature".
Pour cela, il leur faut se rendre sur la grève, entre la falaise immobile et les eaux en mouvement." Nous fîmes lentement le tour de la merveille. Elle pesait sur la plage de tout son poids, comme si elle avait décidé d'appartenir dorénavant à la terre- ainsi que lui appartenaient ces rochers bas et anguleux, ces maigres plantes si raides, qui derrière nous étaient plaqués sur le schiste, et que la brise était bien à elle.L'animal tout entier nous mettait ainsi à l'épreuve. Car son aspect était celui de la pierre: c'était une hypogée dont le marbre aurait eu des tendresses de fleur."
"C'était un blanc sans lumière, un blanc gelé, entièrement refermé sur lui même,elle était blanche, d'un blanc fade, comme le blanc du lait épanché...ce blanc était bien à elle,tournant le dos à toute gloire, avec une résignation à peine pathétique, vraiment le blanc d'une baleine qui ne faisait pas d'histoires, qui fuyait l'éloquence et défiait terriblement les mots, une baleine d'un naturel trés simple........"en somme, très proche- de nous- une de ces baleines qui font penser:" Dire que nous aurions pu faire une si bonne paire d'amis!."....
Un texte lumineux et inépuisable, à lire et à relire, une écriture dense d'une pureté totale qui force le respect,un bijou de la langue française où chaque mot compte, un texte allégorique qui nous fait nous interroger et réfléchir à propos de nos destins: "
Un texte d'une sensibilité rare dont on désirerait citer chaque élément dans la collection : Les Inépuisables!, publié en 1949,dans la revue Empédocle
On ne peut en dire trop ......




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critiques presse (1)
Lexpress
30 juillet 2014
Une nouvelle magnifique, publiée en 1949 dans la revue Empédocle. [...] Un texte lumineux, allégorique, qu'on offrira sans compter autour de soi.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
La pureté du site nous exaltait. La côte, sur une longue distance, était plate, et nous circulions dans une parfaite solitude, entre deux ou trois lignes simples, ou notre oeil n'aurait pu déceler le plus léger accident : la ligne noire de la forêt, à notre droite ; une ligne dorée, devant nous, à la frontière du sable et de l'écume : et à gauche, un horizon liquide, dur et gonflé. Toutes ces lignes couraient se rejoindre sous nos yeux, en un point éloigné vers lequel nous entraînait leur convergence, et qui fuyait toujours.
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Ce blanc aurait pu être celui de certaines pierres, dont l'effort vers la transparence s'est heurté à trop d'opacité, et dont toute la lumiére est tournée vers l'intérieur. Mais on distinguait, par endroits, des tâches d'un vert fondant et, prés de la tête, des serpentements mauves ou bleu ciel, fort subtils, qui disaient bien leur appartenance. Les teintes de la mort sont exquises: parfois nous croyions voir s'entrouvrir une rose. Devant cette chose qui ressemblait plus à un catafalque qu'à une bête morte, devant ce monument orné de signes délicats, qui viraient ça et là au colchique ou à la violette fanée, nous étions pris d'un doute- à quoi s'ajoutaient par moments, d'une façon bien inattendue, la sorte d'inquiétude qu'on ressent au chevet d'une personne malade.
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Nous fîmes lentement le tour de la merveille. Elle pesait sur la plage de tout son poids, comme si elle ne travaillait plus qu'à disparaître, comme si elle avait décidé d'appartenir dorénavant à la terre − ainsi que lui appartenaient ces rochers bas et anguleux, ces maigres plantes, si raides, qui derrière nous étaient plaquées sur le schiste, et que la brise ne faisait même pas frissonner. Mais les rochers étaient bruns : elle était blanche, d'un blanc fade, comme le blanc du lait épanché. Ce blanc-là était bien à elle. C'était un blanc sans lumière, un blanc gelé, entièrement refermé sur lui-même, tournant le dos à toute gloire, avec une résignation à peine pathétique, vraiment le blanc d'une baleine qui ne faisait pas d'histoires, qui fuyait l'éloquence et défiait terriblement les mots ; une baleine d'un naturel très simple, en somme, très proche de nous − une de ces baleines qui font penser : "Dire que nous aurions pu faire une si bonne paire d'amis !..."
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- Mais, petite fille que vous êtes, savez-vous seulement comment c'est fait, une baleine ?
- C'est très gros, et ça lance de l'eau par les narines. Et ça a toujours l'air de lire.
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Maintenant, j’avais les yeux bien ouverts, et je regardais vers Odile. Je n’étais pas sûr de la distinguer réellement, mais je crois que je commençais à entrevoir les régions où s’aventurait son esprit.
— Peut-être, reprit-elle, si le monde était assez pur…
— Peut-être, dis-je.
— Mais peut-être, dit-elle, suffirait-il qu’il y ait dans le monde un seul être pur ?… Ne croyez-vous pas, Pierre ?…
— Peut-être, dis-je.
— Eh bien, si chacun de nous essayait de devenir cet être ?… Cela au moins dépend de nous… Nous sommes tout petits, Pierre, c’est vrai ; sans aucun pouvoir, c’est vrai ; mais cela, nous si petits et si impuissants, nous le pouvons. Nous le pouvons, reprit-elle. Les plus petits des hommes peuvent faire cela – un petit effort sur eux-mêmes…
Je sentis, à travers l’obscurité, la force de son regard.
— La vraie foi, dit-elle, cela doit ressembler aux atomes : il suffit qu’il y en ait un qui éclate…
Elle s’était tue. Nous continuions à entendre au loin, si égal, ce bruit qui m étonnait toujours, le grondement de la mer sur les côtes.
— Assurément, dis-je, c’est cela qui changerait le cours du monde.
Elle ne répondit pas. Je tendis la main pour la trouver. Mais elle n’était plus à ma portée.
Ayant fait la lumière, je vis qu’elle avait quitté la chambre.
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Marie, photographe, lit "Baleine" de Paul Gadenne (Éditions Actes Sud, 2005) Dans le cadre de "A vous de lire !" © Des auteurs aux lecteurs, 2010
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