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EAN : 9782070231140
308 pages
Gallimard (24/01/1983)
3.98/5   59 notes
Résumé :
Paris, 1944. Guillaume Arnoult recherche, après quatre ans de guerre, les traces d'Irène. Il la retrouve au moment où il apprend la condamnation à mort d'Hersent, journaliste politique, qu'il a connu familièrement pendant ses années de jeunesse... Avant de rejoindre une unité combattante comme correspondant de guerre, il passe avec Irène une longue nuit au bord d'une plage du Nord. Ce n'est pas la plage de Scheveningen, mais la mer est là, près d'eux, dont la rumeur... >Voir plus
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En attendant sa nouvelle affectation, Guillaume Arnoult, le personnage principal, erre dans le Paris trouble de 1944, égaré entre deux mondes qui ne parviennent pas à se rejoindre : celui d'avant et après l'occupation.

« Il arpentait Paris, avec cette légère méfiance qu'on vient de rendre à l'air libre. Il lui semblait que dans ce monde, qui était déjà le monde d'« après », il n'y avait plus de place pour le bonheur. Malgré lui, malgré tout son désir de retrouver le Paris où il avait vécu, il comprenait en circulant sur ces trottoirs gris, que personne n'aurait jamais plus vingt ans. »

Il se souvient des lieux, des connaissances dont les relations se sont arrêtées brutalement avec la guerre. Il se souvient notamment d'Irène, cette femme qu'il a aimée avant la guerre. Il est obsédé par la pensée qu'elle ait pu le quitter pour ce qu'il n'était pas, qu'elle est pu le juger à tort. Il projette sur elle la possibilité d'un apaisement et peut être une autre forme de bonheur. Parviendra-t-il à retrouver cette sérénité qu'il avait éprouvé avec elle devant la plage de Scheveningen, cette peinture de Ruysdael ?

« Il lui semblait soudain qu'elle seule aurait pu mettre fin à cette impression de solitude, d'abandon, de faute universelle où il vivait. »

Il lui devient vital d'éclaircir leur relation passée et décide de la retrouver. Mais tandis qu'il la recherche, contre toute attente, tout le ramène à Hersent, cet ami d'enfance, écrivain talentueux, accusé de collaboration: un traître. Guillaume ne parvient pas à réconcilier l'homme et ses idées, se refuse à le juger et s'interroge pour essayer de comprendre. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il choisi cette voie, lui qu'il admirait tant ?
Un début prometteur non ?

Mais voilà, cela n'a pas suffi. Assez rapidement, j'ai commencé à regarder le nombre de pages qu'il me restait à lire, ce qui n'est jamais très bon signe… Bien qu'écrit essentiellement à la troisième personne, j'ai eu étrangement l'impression d'écouter un monologue. Même les rares dialogues m'ont laissé cette impression de monologue. En dépit de très beaux passages et une belle écriture enveloppante, le narrateur a fini par me noyer dans un entrelacs de réflexions plus ou moins métaphysiques. Je ne parvenais pas à comprendre où il voulait m'emmener. Je ne suis d'ailleurs toujours pas certaine de le savoir.

« Rien n'arrête le travail de la pensée. » dira Guillaume Arnoult. Et sa pensée est en effet toujours en ébullition : un mot, un paysage, un objet, un lieu, un geste le faisant dériver vers d'autres pensées pour revenir à celles qui le préoccupent réellement. Réellement ? Ou ne sont-elles qu'un paravent à d'autres pensées plus refoulées ? Il creuse, il fouille, s'interroge sur le bien et le mal, la responsabilité collective et individuelle, sur la justice (ou l'injustice) des jugements, sur la justification des châtiments, sur la solitude des êtres, la difficulté à connaitre autrui ; autant de thèmes qui pourtant m'intéressaient mais qui ne sont pas parvenus à maintenir mon intérêt.

Paul Gadenne est souvent présenté comme un grand auteur méconnu du XXème siècle. C'est d'ailleurs ce qui m'a attirée vers cette lecture, ça, et quelques extraits attrayants. Alors évidemment, j'aurais bien aimé afficher un enthousiasme un peu plus débordant, d'autant les qualités d'écriture sont indéniables. Mais le fait est qu'il m'a laissée sur le bord du chemin.
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‘'Dans une guerre civile, c'est essentiellement votre position géographique au déclenchement qui décide de votre camp'', a dit Hugh Thomas au sujet de la guerre d'Espagne. Mais certains aussi choisissent leur camp tôt, voire très tôt… Et parfois c'était le ‘'mauvais''.

Nous sommes peu après la libération de la France. L'épuration bas son plein. Pour se protéger, chacun essaye de hurler plus fort que son voisin. le héros, Guillaume, déambule un peu perdu dans ce monde en pleine mutation. Il retrouve son amour de jadis, Irène, jeune fille dont le charactère imprévisible fait en grande partie du charme. Sur un coup de tête, tous deux empruntent une voiture et partent en route d'une plage vue jadis sur un tableau flamand du XVIIème siècle. Leur voyage de retrouvaille se ponctue de souvenirs, de discussions aussi impromptues que décousues, et de tentatives (de Guillaume du moins) de renouer les fils qui peuvent l'être.

Au-dessus de cette histoire avortée et d'un récit à peu près dénué d'action, plane en permanence la figure de Robert Brasillach, à peine travesti sous le nom d'Hersent. L'un des écrivains les plus prometteurs de l'entre-deux guerre, critique de théâtre et de cinéma à qui l'on doit l'introduction du cinéma japonais en France… Devenu tête de proue et caution intellectuelle de la collaboration, auteur vedette de ‘'Je suis partout'' où il appelait hebdomadairement à l'extermination des juifs ; arrêté, jugé et fusillé à la Libération ; dont la grâce fut personnellement refusé par De Gaulle malgré une pétition signée par les deux-tiers des écrivains français (dont Colette, Paulhan, Mauriac et Camus).

Comment le jeune homme brillant et charmant peut-il être la même personne que ce partisan acharné de l'ultra collaboration ? Comment ses rhétoriques déroutantes ont-elles pu se transformer en appels au meurtre enragés ? Que fait ce gringalet à grosse lunette avec son sourire d'adolescent au côté de Doriot en grand uniforme SS ? La schizophrénie est totale dans l'esprit de Gadenne, pour qui ces deux images n'arrivent tout simplement pas à se superposer. Et toujours, où qu'il aille, revient cette phrase : ‘'vous étiez amis, non ?''

Gadene n'est pas homme à chercher des excuses ou aligner des explications. Il sait tout de l'homme qui a été fusillé et qui a été son ami. Il hait ses discours. Et il aime l'homme envers et contre tout. L'histoire, déroutante et sans explication, semble n'être là que pour souligner combien cette conclusion est elle-même déroutante et sans explication.
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L'ombre portée de Caïn

Dans “La plage de Scheveningen” de Paul Gadenne, je ne puis oublier les personnages de clair-obscur que sont Irène et Guillaume : ces deux êtres esseulés qui cherchent une langue commune pour ne pas choir dans la nuit de la parole.

Au-dessus de cet ouvrage plane l'ombre portée de la figure de Caïn, au travers du personnage de Hersent (double littéraire de Robert Brasillach). Irène et Guillaume sont en quête d'une impossible réponse concernant l'action de collaboration du personnage de Hersent (Brasillach), et ne peuvent pour autant hurler avec la meute. Ils savent trop à quel point il n'est pas de chose plus difficile que de condamner un homme.

La vision de Paul Gadenne n'est pas tant pessimiste que terriblement lucide (au sens étymologique de ce mot : “brillant”, et de ce fait éclairant sur la nature humaine). Gadenne creuse au sein des relations entre les êtres : il donne à voir l'infranchissable tranchée qui nous sépare tous les uns des autres.

Son livre entier est une sorte de “plaidoirie” : le personnage de Guillaume recherche Irène parce qu'il estime qu'elle l'a mal jugé ; Guillaume et Irène s'interrogent sur la légitimité de la justice française à condamner à mort le personnage de Hersent (Brasillach) ; sans parler du magistral monologue de Caïn à la fin du livre où les mots semblent littéralement vomir une bile noire sur le blanc du papier. D'ailleurs, ce n'est pas innocemment que Paul Gadenne a placé en exergue au seuil de son livre, cette phrase que Caïn dit à Dieu dans la Genèse : « Quiconque me trouvera, me tuera. » La justice des hommes ne convainc pas Paul Gadenne.

Caïn (autrement dit l'homme) ne peut accepter ceci : à savoir que « le vent souffle où il veut ».
Et si l'offrande de son bûcher n'est pas dûment reconnue, alors il n'aura de cesse d'avoir brûlé tous ses frères humains dans le noir brasier de sa folie destructrice.
Peut-être n'avons-nous inventé notre faible représentation humaine du Créateur de toutes choses que pour nous chercher en fait une excuse au mal que nous faisons : une manière de nous exempter de nos propres fautes. Orgueilleux que nous sommes, nous avons soif de détruire ce que nous n'avons pu créer de nos propres mains.
Depuis la Nuit des Temps, nous ne cessons de perpétuer « le Temps de la Nuit », comme pour mieux voiler la lumière vivante du soleil, éclabousser de sang son ardent visage de sel.

Paul Gadenne / Guillaume Arnoult ne veut pas juger un homme, même s'il ne soutient pas son action. C'est cette prise de position qui est la plus troublante et la plus noble au sein d'une époque où l'on condamnait à tour de bras, coupables et innocents mélangés. Gadenne écrira d'ailleurs une lettre à Robert Brasillach… qu'il ne lui enverra jamais.

Ce livre de Paul Gadenne est au fond comme un douloureux écho aux mots prononcés par le Fils de l'Homme sur sa croix de douleurs. Car notre lot commun est de ne jamais vraiment savoir pleinement ce que nous faisons ni même pourquoi nous le faisons. Et qui pourra bien nous pardonner cela ? Dans ce procès métaphysique, nous sommes juge et partie.

À présent, j'aimerais livrer aux lecteurs de ces lignes, un passage du roman, dans lequel Guillaume / Gadenne et Hersent / Brasillach s'entretiennent avec passion de questions métaphysiques, non loin d'un cimetière :
« – Tu m'excuseras, dit Arnoult, mais même si tu me prouvais en ce moment que l'homme est seul… Oui, néant pour néant, je préfère le néant complet… Si je ne puis compter sur une pensée juste, aimante, connaissant la raison intime de mes faits et gestes, en somme sur la mémoire de Dieu, eh bien, je préfère ne compter sur rien, j'abandonne à l'instant toute prétention, je ne veux pas être autre chose qu'une poussière à la surface d'une poussière, – cette poussière d'astres que du moins j'aurai passionnément aimée. Si ces hommes devant nous n'ont pu compter au moment de mourir sur la mémoire de Dieu, ces noms et ces dates sur leurs tombes sont de trop, ils nous mentent, ils troublent inutilement notre néant. Et ces tombes elles-mêmes sont de trop ! Si le monde continue à être ce qu'il est, Hersent, nous n'aurons plus besoin de cimetières, plus besoin d'aligner des tombes. Nous referons des charniers. (…)
– Solitude pour solitude, reprit-il devant le silence d'Hersent, celle de l'humanité entière prise dans le cours de son histoire ne vaut pas mieux que celle d'un homme pris en particulier. Accepterais-tu de passer ta vie dans une prison ? de passer ta vie sans témoin ?... Sans l'espoir d'un témoin, d'un regard sur toi, tu meurs ; et tous les gestes, les pensées de ce prisonnier qu'est chacun de nous ne vont qu'à invoquer, à susciter un témoin hors des murs entre lesquels nous vivons, et quelquefois hors de notre époque. Sans quoi on ne s'apercevrait même plus qu'on est en prison, hein, et il n'y aurait pas de différence entre la vie et la mort. le bourreau qui viendrait nous appeler au petit matin, qu'est-ce qu'il changerait à notre sort ? Rien. Absolument rien. Une fourmi écrasée, voilà ce que ce serait. Quelque chose de si accablant, de si inexistant qu'il n'y aurait même pas de quoi crier. Si l'humanité sait qu'elle vit sans témoin, elle est à elle-même sa prison. Nous sommes tous prisonniers, Hersent, dans ta perspective. Si Dieu n'existe pas, comprends donc, il faut le faire exister. » Paul Gadenne (in “La plage de Scheveningen”, p. 176-178)

Thibault Marconnet
03/08/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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C'est l'automne . Pas n'importe lequel , celui de 44 . Guillaume Arnoult refait ses premiers pas dans le monde civil et tente de retrouver des repères affectifs dans ce Paris désolé où les gens sont bien tous les mêmes mais différents aussi : le temps a fait son travail , la guerre a abimé aussi .
Mais c'est à deux êtres plus précisement qu'il pense en renouant contact avec le cercle d'amis : Irène , son amour qui rompit leur relation un jour sans lui donner d'explication et Hersent son ami de jeunesse .

Au cours d'une longue nuit qu'ils passeront dans une chambre d'Hôtel face à une plage qui leur rappellera celle qui symbolise leur amour , cette "plage de Scheveningen" d'un tableau de Ruysdael....qu'ils s'étaient promis de trouver dans les heures les plus folles de leur amour de jeunesse ,
Au cours de cette longue nuit qui parait sans fin ressemblant à un rêve dans une longue discussion qui semble n'aboutir qu'à des impasses ,
Le passé resurgira sans que le présent puisse éclairer les pages obscures de celui-ci .




Une pesanteur enveloppe la nuit , l'humanité toute entière semble être au rendez vous . Si Irène se glissera à travers les mots pour conserver son mystère laissant au lecteur et à Guillaume une grande place pour imaginer , faire et défaire des situations placées sur l'unique de la probabilité , c'est aussi pour mieux ancrer une autre histoire qui se tisse en filigrane : celle d'Hersent , l'ami qui a vendu son âme au diable , le traitre qui fait la une des journaux .

Et à travers un long monologue intérieur , Guillaume essaiera de concilier Hersent d'avant , l'ami tumultueux et déjà portant en lui le germe du mal , comme nous tous , mais peut-être de façon plus exalté avec le coupable banni de la société et qui finira sur l'échafaud : les souvenirs se réveillent ...pêle-mêle. Alimentant le besoin de trouver des réponses à l'inacceptable , en vain . Chercher où se situe la frontière entre le germe du mal et le passage à l'acte , irréversible et où le salut n'existe plus . Nous sommes tous des Cains en puissance , et en ce sens le jugement du frère ne doit pas exister . Comment rendre justice ....

Citation :
Nous étions des hommes, et nous découvrions qu'être des hommes, c'était répondre au même nom que nos bourreaux»
Voilà qui me rappelle la pensée de Kertesz .

Au delà de la trame romanesque qui se réduit d'ailleurs à peau de chagrin puisque de mouvements s' il en est , il n'en existe qu'un ici : celui de la pensée avec d'incessants allers et retours entre le présent et le passé , des digressions métaphysiques où il faudra trouver le véritable sens à cette oeuvre .

Il n'échappera pas au lecteur qu'il s'agit d'un discours chrétien : l'évocation des mythes bibliques jalonnent l'ensemble du texte et lui apporte une dimension supérieure .
Une nuit oppressante , pour Guillaume , pour le lecteur : On cherche à sortir de ces tenèbres pour rejoindre Irène ( la paix en grec ) vers la lumière .
La rencontre ne se fera pas .
Mais avant de partir , Irène laissera le laisser-passer à Guillaume pour qu'il retrouve ....La paix . Ailleurs ,et sous d'autres traits . Une fin lumineuse et ouverte .
Ce roman est totalement inspiré de la biographie de Paul Gadenne , l'écriture a certainement du avoir un rôle cathartique .

Paul Gadenne est un immense écrivain , injustement oublié avec une puissance quasi Dostoievskienne et d'un talent d'écriture exceptionnel .
La plage de Schevenigen pourrait faire un excellent support d'études philosophiques , rien n'est laissé au hasard , chaque virgule , changement de rythme possède un sens . Tous les personnages comportent une dimension symbolique .

Une seule lecture ne suffira pas pour venir à bout de cette oeuvre plus complexe qu'elle n'y parait .
Un bijou ?
Non , un chef-d'oeuvre .
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La Libération – Guillaume Arnoult est de retour à Paris pour retrouver son amour d'avant guerre Irène. Ils décident, le temps d'un week-end, de retourner au plus près d'un moment mémoire de leur ancienne relation : la fameuse plage de Scheveningen peinte par Van Gogh ou Salomon de Ruisdael. En parallèle se déroule le jugement de Hersent, un ancien camarade de lycée, devenu un célèbre journaliste collaborationniste. Par bribes vont remonter des souvenirs, des obsessions, des blessures qui vont alimenter une réflexion aussi bien sur la relation amoureuse que la relation de Guillaume envers Hersent dont l'écho mutuel ramène à la surface des sujets comme la trahison, le courage, la force, le destin …
Outre la richesse des idées émises qui sont loin des poncifs souvent émis, j'ai surtout apprécié le style de Gadenne précis dans les descriptions des sentiments mêlés aux paysages. Un auteur dont je compte parcourir d'autres oeuvres …
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Il se trouvait un peu gêné, sans trop savoir pourquoi, d’entendre parler d’Armande devant la jeune inconnue qui, assise sur son pouf, était prodigieusement occupée à maintenir une tasse bleue en équilibre sur soucoupe rose. Tous les services aujourd’hui étaient dépareillés, affirmait Mme Barsac, oubliant qu’il en avait toujours été ainsi chez elle, et que c’était plutôt pour elle une heureuse conséquence de la guerre que le monde fût mis à l’unisson de son élégant désordre.

(Chapitre III)
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– Tu m’excuseras, dit Arnoult, mais même si tu me prouvais en ce moment que l’homme est seul… Oui, néant pour néant, je préfère le néant complet… Si je ne puis compter sur une pensée juste, aimante, connaissant la raison intime de mes faits et gestes, en somme sur la mémoire de Dieu, eh bien, je préfère ne compter sur rien, j’abandonne à l’instant toute prétention, je ne veux pas être autre chose qu’une poussière à la surface d’une poussière, – cette poussière d’astres que du moins j’aurai passionnément aimée. Si ces hommes devant nous n’ont pu compter au moment de mourir sur la mémoire de Dieu, ces noms et ces dates sur leurs tombes sont de trop, ils nous mentent, ils troublent inutilement notre néant. Et ces tombes elles-mêmes sont de trop ! Si le monde continue à être ce qu’il est, Hersent, nous n’aurons plus besoin de cimetières, plus besoin d’aligner des tombes. Nous referons des charniers. (…)
– Solitude pour solitude, reprit-il devant le silence d’Hersent, celle de l’humanité entière prise dans le cours de son histoire ne vaut pas mieux que celle d’un homme pris en particulier. Accepterais-tu de passer ta vie dans une prison ? De passer ta vie sans témoin ?... Sans l’espoir d’un témoin, d’un regard sur toi, tu meurs ; et tous les gestes, les pensées de ce prisonnier qu’est chacun de nous ne vont qu’à invoquer, à susciter un témoin hors des murs entre lesquels nous vivons, et quelquefois hors de notre époque. Sans quoi on ne s’apercevrait même plus qu’on est en prison, hein, et il n’y aurait pas de différence entre la vie et la mort. Le bourreau qui viendrait nous appeler au petit matin, qu’est-ce qu’il changerait à notre sort ? Rien. Absolument rien. Une fourmi écrasée, voilà ce que ce serait. Quelque chose de si accablant, de si inexistant qu’il n’y aurait même pas de quoi crier. Si l’humanité sait qu’elle vit sans témoin, elle est à elle-même sa prison. Nous sommes tous prisonniers, Hersent, dans ta perspective. Si Dieu n’existe pas, comprends donc, il faut le faire exister.

(Gallimard, L’Imaginaire, p. 176-178)
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La ville*, après un été orageux, était revenue à une espèce de calme. Elle avait assisté à leur départ avec enthousiasme, un enthousiasme prudent, qui n’avait fait de victimes que parmi les enfants et les ivrognes. L’automne nous avait installés non dans la paix mais dans une attente ardente. Tandis que toute une part de nous-mêmes retombait à sa passivité, notre imagination restait brûlante, et chaque jour nous faisait descendre un degré de plus dans l’horreur. Nous étions des hommes, et nous découvrions qu’être des hommes, c’était répondre au même nom que nos bourreaux. L’honneur des hommes, notre honneur, était entaché.

*Paris en 1944.
(Incipit)
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Il y avait des gens qui vivaient ainsi, qui […] passaient leur vie derrière ces guichets, et qui même avaient dû attendre pour y admis, avaient dû donner des garanties, écrire des lettres, solliciter, faire des études, - et cela était sans doute nécessaire à la marche du monde. Quand on était content d’eux, on leur donnait cette place derrière un grillage ; ils vivaient et mourraient là, ponctuels, guerre ou pas guerre ; quand ils mourraient on les remplaçait par d’autres, bien contents de l’aubaine, car eux aussi avaient attendu très longtemps leur tour…

Chapitre V
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Ce qu'il n'arrivait pas du tout à comprendre, c'était qu'on puisse placer un homme en pleine santé devant sa mort, l'abandonner seul avec cette unique attente, puis l'amener un matin, avec ou sans cérémonie, dans un lieu choisi, toujours sordide, pour lui trouer le corps minutieusement.

Chapitre XII
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Vidéo de Paul Gadenne
Marie, photographe, lit "Baleine" de Paul Gadenne (Éditions Actes Sud, 2005) Dans le cadre de "A vous de lire !" © Des auteurs aux lecteurs, 2010
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