Quand Michael propose à sa femme Juliet de passer une année à naviguer sur le bateau qu'il a acheté sur un coup de tête, l'enthousiasme n'est pas immédiat. Juliet se débat dans une vie monotone dans le Connecticut, empêtrée dans une dépression postpartum qui a réduit à néant ses espoirs de finir sa thèse sur la littérature confessionnelle. Mais les envies d'évasion de Michael, alliée à la volonté à tous deux de sauver leur couple d'une fin qui se profile à grands noeuds, finit par la convaincre. Ce mélange de bonnes, et de plus mauvaises, raisons fera-t-il bon effet sur l'eau ?
Amity Gaige, au contraire de ses personnages, mais en tant qu'autrice, elle a une position plus surplombante, se fait moins d'illusions en plaçant dès les premières lignes ces mots dans la bouche de Juliet : « Mon erreur commence-t-elle avec le bateau ? Ou avec mon mariage ? Sans doute ni l'un ni l'autre. » On comprend que l'aventure s'est finie, pas tellement bien, et que c'est Juliet qui la racontera, en alternance avec la voix de Michael, différenciée par une graphie et une graisse différentes. Que s'est-il passé ? L'analyse de couple et le récit de voyage se teintent ainsi dès le départ d'une angoisse, celle de Juliet, et d'une tension car
Amity Gaige laisse le lecteur dans l'ignorance, libre donc de s'imaginer ce qu'il veut (procédé habile mais périlleux, car la vérité peut être en dessous de ses suppositions les plus folles et donc le décevoir quelque peu. Ça a été mon cas d'ailleurs).
J'ai abordé ce roman avec un peu de méfiance, car tout ce qui a trait à la navigation est très éloigné de mes goûts, ou même de mes bons souvenirs, ayant assez mal apprécié ma classe de mer de CM2 (le dessalement en optimist était ma spécialité…). Mais au final, même si la navigation est forcément très présente, avec son vocabulaire spécifique (et qui aurait mérité quelques explications en notes ou dans un glossaire), on assiste surtout aux efforts désespérés d'un couple pour éviter un délitement causé non pas par une absence d'amour mais par l'évolution parallèle de ses membres avec le temps (Michael ayant viré pro-Trump face à une Juliet toujours démocrate, entre autres), en même temps qu'on suit le parcours de Juliet pour se remettre de la tragédie survenue pendant le voyage. Un délitement évident tant les voix de Juliet et de Michael sont discordantes, et que les paragraphes qui leur sont dédiés ne se rejoignent jamais, ni dans les sujets évoqués, ni dans la manière de se voir l'un l'autre (« On est incapables de s'aimer de la même manière en même temps »).
Mais ce qui aurait pu être une histoire banale de désamour et de deuil trouve son originalité dans ce cadre de voyage maritime assez rafraîchissant (la petite famille ayant porté son choix sur un trajet le long des côtes d'Amérique du Sud), l'occasion d'évoquer les Guna, ce peuple autochtone possédant un territoire autonome situé entre le Panama et le nord de la Colombie, mais aussi la vie quotidienne qui est le lot de ceux qui ont décidé de vivre en mer. J'admire les gens qui font ce choix, d'autant plus quand ils ont des enfants, car le roman souligne parfaitement bien le sentiment de solitude qui peut étreindre les navigateurs quand on se trouve au milieu de rien, que l'on se rend compte que la mer est infinie, et que, quand un grain se profile, il n'y a pas d'autre solution que de devoir le gérer, au risque de couler son bateau et/ou d'y perdre la vie (quelle angoisse !).
J'ai également beaucoup apprécié le personnage de Juliet, cette femme si fragile et si peu consciente de sa force, elle qui réussit à trouver un nouveau souffle dans les rebondissements de ce voyage, qui se bat constamment contre ses traumatismes et sa dépression, les difficultés conjugales, la vie peut-être. «
Sous nos pieds l'océan » nous raconte ainsi un voyage, au sens propre comme figuré, celui d'une femme qui malgré les souffrances et les difficultés, réussit à (re)trouver sa voie.