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Critique de Malaura


Deux amis. Deux journalistes qui partent en mission. Albert Brighton et Paul Schooner.
Schooner et son nom de goélette élégante, Brighton avec son patronyme de station balnéaire anglaise.
Une chronique hebdomadaire dans un journal, « Que sont-ils devenus ? », à la rencontre d'artistes oubliés, écrivains, peintres, musiciens.
Un rendez-vous avec Suzanne Moss, grande violoncelliste, carrière précoce brusquement interrompue.
Il n'aura pas lieu, ce rendez-vous. Pas ce jour-là. Pas avec Schooner. Avec Brighton oui. Un peu plus tard. Mais pas ce jour-là.
Un accident de voiture sur le trajet. « le choc fut très violent ». Voiture entièrement détruite. « L'avant écrasé. L'arrière enfoncé ». Schooner, mort quelques heures plus tard des suites de la collision. Dans le TGV qui les rapatriait sur Paris. Et Brighton seul désormais, égaré, perdu, le contrecoup, le deuil, les souvenirs.
Et puis Suzanne Moss. La musique de Suzanne Moss. La beauté sublime de ses Suites de Bach. Ecoutées en boucle. le besoin viscéral de la rencontrer. Comme prévu. Pour Schooner. Pour lui. Pour l'amour au bout du chemin…

Un drôle de bonhomme que ce Christian Gailly. Plutôt, un drôle d'écrivain. Singulier. Surprenant. Minimaliste.
Pour un lecteur habitué aux phrases longues, ce « mini mini » minimalisme est un peu déstabilisant au départ.
Des lignes brisées, des phrases clarifiées, un style épuré à l'extrême…Gailly fait bien partie du clan des Editions de Minuit ! Echenoz, Toussaint, Duras, Beckett…et Christian Gailly
La marque de ceux qui refusent de s'embarrasser d'ornementations et de vaines fioritures ; cet art de l'écriture qui réduit ses moyens d'expression au maximum, purgée de tout superflu, centrée vers l'essentiel, recroquevillée sur le mot choisi, en équilibre sur la seule courbe de l'harmonie.

Christian Gailly, on a aussi envie de l'appeler Monsieur Point. A cause de son écriture qui dissémine ces signes de ponctuation comme autant de petits cailloux sur le chemin des lignes.
Une façon ambigüe, comme aléatoire, de les utiliser, de les poser comme ça, de manière subite, comme une multitude de petits coups de poinçon sur le tracé du texte, comme un coup de canif sectionnant la phrase, venant heurter le débit, lui donner une forme discontinue, alternative, un mouvement saccadé, comme les sursauts d'un coeur que l'émotion ferait battre trop vite.

« Cette fois. Elle avait les bras croisés. S'était appuyée. Epaule contre chambranle. Aucun doute. Ca y était. Elle était en colère. »

Mais plus le rythme du récit s'impose à nous et plus on y réfléchit, plus on se dit que finalement, ils sont bien là où ils sont, ces points. Ils sont comme les heurts de la pensée lorsque l'on cogite, ces mots qui jaillissent brusquement et que le cerveau complète presque inconsciemment, hachant le réel à coup d'observations fugitives, d'émotions fugaces, de signaux de détresse ; morcelant les choses de la vie sous les silences maladroits, les moments d'égarement, les plages d'incertitude.
Et peu à peu, au gré des scansions et des mots figés sur l'instrument du style, la petite musique de cet ancien jazz man reconverti dans l'écriture se fait entendre, douce, légère, faite de phrases musicales suspendues, écourtées, comme un staccato mélodieux et contrit.
Les notes détachées appuyant chaque tronçon de phrases, dessinent alors les contours ordinaires de l'existence, ce qu'elle peut offrir de tragique ou de drôle, de terrible ou de beau, de remarquable dans son insignifiance, d'unique dans son impersonnelle et commune singularité.
La mort, le souvenir, la vieillesse, la musique et l'amour composent alors, à travers la maladresse et le désarroi de Brighton, le refrain à la fois ordinaire et exceptionnel de la vie ; une vie que vient parfois illuminer le bonheur d'une rencontre que l'on n'attendait plus.

Et puis, il y aussi cette dédicace du roman « à Franklin », le chat qui dit « mia-mia » pour dire « je t'aime » et qui lisse de sa petite râpe rose les cheveux de Brighton… On se souvient alors que dans « Un soir au club », son précédent ouvrage, un chat parcourait une centaine de kilomètres pour se coucher contre le flanc de sa maîtresse, allongée dans la morgue d'un hôpital de province après un accident de voiture.
Passion de la musique et de la littérature, amour des chats, humilité, discrétion… les textes de Christian Gailly sont à son image. Une petite mélodie, comme un prélude de Bach, qui se fait entendre derrière la simplicité des mots et la brièveté des phrases.
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