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Critique de Erik35


INTERMINABLE...

Dans un grand bol commun, sélectionnez quelques dizaines de dieux antiques et plus ou moins oubliés, ajoutez un ex-taulard qui regrette ce temps perdu pour une peine méritée mais pour une erreur de parcours qu'il ne refera plus, faites se rencontrer les uns et les autres sans grande logique apparente. Compliquez l'appareil d'une véridique morte-vivante, follement amoureuse du précédent, son époux. N'oubliez pas de sucrer ces éléments de quelques rencontres brèves, inattendues, voyageuses et diversement amusantes. Aspergez d'un intrigant parfum de guerre à venir.
Réservez.

Dans un grand plat usé aux allures d'Etats-Unis - principalement de cette Amérique profonde des coins pommés, des régions à red-necks, des grandes plaines ininterrompues ou d'anciens lieux mystiques de ses premiers habitants humains, les amérindiens, vous ferez frire un Voyageur aux patronymes innombrables (Wotan, Gaut, Odin, "Le père de tout", etc), ayant l'envie d'en découdre avec ces nouveaux "dieux" parfaitement insipides et froids des USA d'aujourd'hui (Technologie, Ville, Monde, Media, etc). Poivrez d'un zeste de ce bon vieux Loki, toujours prompt à porter, surtout par la parole et le mensonge, un peu de chaos dans ce qui semble trop aller de soi. Salez de quelques remarques acerbes et vaguement humoristiques.
Mélangez le tout.
Garnissez de quelques petites historiettes éparses, sans vraies conséquences mais distrayantes, au sein de la trame générale.
Délayez autant que vous le pourrez. Encore un peu plus : allez ! Il faut que la pâte s'étale le plus possible. Comme tout gâteau sans saveur particulière, il faut au moins qu'il gonfle, qu'il attire le regard, qu'il prenne de l'espace...
Faites cuire à feu mou une bonne partie de la cuisson. Servez et avalez de préférence très vite, de crainte de vous perdre dans les méandres indigestes de cette pâtisserie aussi insipide qu'elle était pleine de promesse.
Oubliez.

Sous cet avant-dire sans doute sévère, c'est malheureusement tout ce qu'il restera de cette lecture fastidieuse, longue, décevante. Pourtant, la lecture des cent premières pages était pleine de promesse, malgré déjà, quelques truismes, quelques facilités. Mais l'entame était rythmée, laissant planer de multiples possibles de même qu'autant de mystères à résoudre, à découdre. Hélas, l'ensemble est servi par ce style écoeurant à force d'être invariablement le même pour toute une école littéraire américaine contemporaine, presque tous genres ou sous-genres confondus, ce style appris sur les bancs des universités, efficace sans nul doute, direct, sans fioriture inutile ni syntaxe dérangeante, mais qui tend ainsi à uniformiser toute production pour la niveler, la conforter, la conformer à une médiocrité moyenne, certes lisible par tous mais tellement sans aspérité que cela fini par en devenir désespérément pénible.
Tant que la tension narrative parvenait à faire oublier ce non-style, le compte n'y était sans doute pas, mais le plaisir de suivre ces personnages plus ou moins attachants - C'est le cas, presque unique, de cet Ombre, personnage principal, sorte d'anti-héros issu de cette middle class américaine en perdition et en manque de repère - dans leurs aventures abracadabrantes mais originales et qui parvenaient à faire oublier ce style de roman de gare (encore que dans les anciens mal nommés romans de gare, on trouvait parfois de vrais styles, mais passons).
Seulement, du souffle, il faut en avoir pour tenir ses six cents pages. Sans présumer de ce que Neil Gaiman est capable de produire par ailleurs - que nous ne connaissons pas -, ce roman-ci ressemble plutôt à l'exploit laborieux d'un asthmatique de l'écriture, sur plus des deux tiers de ce pavé, et pour tenir quatre cent pages d'un interminable ennui, il faut, reconnaissons-le, être un peu masochiste et, malgré tout, avoir un sens presque maladif de la curiosité pour poursuivre jusqu'à la fin. Et ce n'est pas en sur-multipliant les rôles, les personnages, les situations que les choses s'arrangent . Pire, protagonistes secondaires et mises en scènes finissent par se ressembler un peu tous, n'ont pour tout contours que le flou dans lequel ce non-style les maintient, se refusent à tout véritable attachement, se brisent sur l'imprécis de leur psychologies ou sur la rapidité faible des descriptions. Un comble : rédiger autant de pages pour en faire découvrir finalement si peu !
Pour les courageux qui auront tenu jusqu'à la fin de cette succession ininterrompue mais filandreuse de saynètes où l'on saute régulièrement du coq à l'âne sans aucune logique ni mise en forme (comme si Neil Gaiman avait préparé son bouquin pour être mis directement en feuilleton pour quelque compagnie d'Entertainment US, charge au réalisateur de s'en débrouiller ensuite), il faut admettre que les cent dernières pages redressent légèrement le cap. On s'y ennuie un peu moins, on parvient bon an, mal an, à y démêler les fils trop nombreux d'une intrigue finalement bien futile et moins complexe qu'il pouvait y paraître - Ah ! Ces bons vieux dieux de la mythologie scandinave tellement pratiques dans n'importe quelle histoire, tant ils sont polymorphes. Les auteurs de comics américains l'ont bien compris qui les usent jusqu'à la corde depuis soixante-dix ans -, mais qui se tient somme toute convenablement. Sans génie. Sans être nul non plus.
Quant à y trouver une critique de l'Amérique contemporaine... Oui, bien entendu. Une de plus a-t-on envie d'ajouter immédiatement... On est loin, cependant, de ce que les auteurs de la Lost Generation firent en leur temps, on est encore plus loin de ce que défourailla un Charles Bukowski, un Henri Miller en leur temps, ou de la vision plus insidieuse, moins frontale d'un Paul Auster, mais tout aussi terrible sur ce pays immense, froid, déshumanisé, accumulant les solitudes à l'incrédulité. Ce que Neil Gaiman défini par l'impossibilité qu'a cette terre à y laisser vivre et prospérer les dieux.

American Gods se voudrait de cette veine-là, à travers une fiction entremêlant fantastique et fantasy - après tout n'est-ce pas ce que fit aussi, et avec un incroyable talent, un H.P. Lovecraft jadis ? - mais il n'en a pas la moelle, ni le tempérament, ni la profondeur. À peine parvient-il à en effleurer la surface intranquille. du moins, dans ce roman-là, complète et interminable déception.
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