Les souvenirs d'enfance sont parfois enfouis et masqués sous ce qui advient par la suite, comme des jouets d'enfance oubliés au fond d'un placard encombré d'adulte, mais on ne les perd jamais pour de bon.
"Quel âge t'as, en réalité ? ai-je demandé.
- Onze ans."
J'ai réfléchi un moment. Puis j'ai demandé : "Depuis combien de temps t'as onze ans ?"
Elle m'a souri.
Il y avait plus de sécurité dans les livres qu'avec les gens, de toute façon.
"Je parie que vous ressemblez même pas vraiment à ça. Pas en réalité."
Lettie a haussé les épaules. "Personne ressemble vraiment à ce qu'il est réellement à l'intérieur. Ni toi. Ni moi. Les gens sont beaucoup plus compliqués que ça. C'est vrai pour tout le monde."
Il y avait toujours un monstre chez moi et mon père m'avait poussé dans l'eau de la baignoire et avait peut-être essayé de me noyer. J'avais couru des kilomètres dans le noir. J'avais vu mon père embrasser et toucher la créature qui se faisait appeler Ursula Monkton. La crainte n'avait pas quitté mon âme.
Mais il y avait un chaton sur mon oreiller, il ronronnait contre mon visage et vibrait doucement à chaque ronron et, très vite, j'ai dormi.
Je l'aurais suivie avec confiance jusqu'aux portes de l'Enfer, aller et retour.
Nous avons cueilli quelques cosses de pois, pour les ouvrir et manger les pois à l'intérieur. Les petits pois étaient pour moi une énigme. Je ne comprenais pas pourquoi les adultes prenaient des choses qui avaient si bon goût quand elles étaient fraîches cueillies et crues pour les mettre en boîte de conserve et les rendre écoeurantes.
Je me suis retiré dans ma tête, dans un livre. C'était là que j'allais chaque fois que la vie réelle se montrait trop dure ou trop inflexible.
Les adultes ne devraient pas pleurer, je le savais. Ils n'avaient pas de mères pour les consoler.
" J'ai gardé de ma propre enfance un souvenir vivace...je savais des choses terribles. Mais je savais qu'il ne fallait pas laisser voir aux adultes que je savais. Ça les aurait effrayés."
Maurice Sendak, entretien avec Art Spiegelman.