Dites-leur que je suis un homme..... A la lecture de la quatrième de couverture,
je m'attendais à un livre-procès, mêlant témoignages et plaidoyers. Genre que je ne prise pas plus que ça. Mais bon, le sujet m'intéressait.
En fait, le livre commence par la fin du procès et l'annonce de la condamnation à mort de l'accusé.
Mais parce que l'avocat de Jefferson a construit sa défense en décrivant son client comme le dernier des idiots qui s'est juste "trouvé au mauvais endroit au mauvais moment" et surtout parce qu'il a pensé le servir en faisant de lui un animal et en prononçant la phrase fatidique :
" Quelle justice y aurait-il à prendre sa vie ? Quelle justice messieurs ? Enfin, autant placer un porc sur la chaise électrique ! "
Parce que cet avocat donc, a jugé nécessaire de rabaisser Jefferson à l'état de bête incapable du moindre raisonnement et de la moindre préméditation, un homme va se voir chargé de la plus difficile des taches. A savoir, redonner à Jefferson sa dignité et le convaincre de son humanité.
Car l'homme est à genoux, brisé par la colère.
Voici donc le point de départ de ce formidable plaidoyer contre la ségrégation et les préjugés.
Mais c'est un prétexte... Rien de plus. Parce que l'auteur va nous emmener dans la Louisiane des années 50 et nous faire toucher du doigt et de l'âme la "négritude".
Et c'est Higgins, l'instituteur noir des "quartiers" qui va nous emmener au coeur des préoccupations de la population africaine dans une Louisiane encore stigmatisée par la ségrégation.
En nous offrant une belle galerie de portraits allant de la tante vieillissante et accablée de Jefferson au pasteur de sa congrégation, du shérif blanc et de ses acolytes, de sa maîtresse aimée ou de ses élèves, aucun n'est caricatural. Ni tout Noir, ni tout Blanc....
Ernest J. Gaines nous questionne sans jamais donner de réponse. Il nous laisse non pas juger mais observer. Il explique les incertitudes des uns et des autres. Les certitudes aussi.
Il raconte et pose un oeil critique sur ses frères de couleur, et sur les autres. Il parle de Dieu, de la foi et de l'incroyance. Il parle de la peur, de la mort, de l'injustice.
Et surtout il parle de la négritude.
" La Négritude, à mes yeux, n'est pas une philosophie.
La Négritude n'est pas une métaphysique.
La Négritude n'est pas une prétentieuse conception de l'univers.
C'est une manière de vivre l'histoire dans l'histoire : l'histoire d'une communauté dont l'expérience apparaît, à vrai dire, singulière avec ses déportations de populations, ses transferts d'hommes d'un continent à l'autre, les souvenirs de croyances lointaines, ses débris
de cultures assassinées.
Comment ne pas croire que tout cela qui a sa cohérence constitue un patrimoine?
En faut-il davantage pour fonder une identité? " -
Aimé Césaire
"Une manière de vivre l'histoire dans l'histoire".... C'est de ça dont veut nous parler
Ernest J. Gaines
Ainsi nous allons assister aux rencontres entre Higgins et Jefferson.
Nous allons nous indigner, nous émouvoir et pleurer... Oui, nous allons pleurer.
parce que le destin de Jefferson est joué d'avance, tout comme celui de Higgins.
Et que notre tolérance à l'injustice est ici bien malmenée...
Le style est simple, plutôt dépouillé. Mais les mots sonnent juste et fort.... Et l'émotion nous étreint. Nous en venons à nous sentir pris dans un étau de contradictions. Nous ne savons plus où regarder et nous finissons par pleurer un chagrin bien primaire.... Une violente révolte nous pousse à embrasser la cause perdue.
Et nous ne savons pas encore, au moment de tourner la dernière page si Jefferson va oui ou non, mourir debout.
Et sur ces derniers mots : "je pleurais", nous laissons nos larmes parler à notre place....
Et ce "Je pleurais", donne au récit toute sa force, et nous dit ce que nous sommes.