Je tiens à remercier l'ensemble des intervenants de l'opération MASSE CRITIQUE BABELIO, grâce à laquelle j'ai pu découvrir
La Dragonne et le Drôle de
Damien Galisson.
A réception du livre, je suis soufflée par la beauté de la couverture et la qualité des dessins en début de chapitres. Je suis également intriguée par le mélange des codes que nous propose l'auteur avec un roman mêlant IMAGINAIRE et POESIE en vers libres.
1) le contexte
Jeunes orphelins, le Drôle et son frère Rody, ont rejoints, pour leur survie, Chef et Tanneur. A eux quatre, ils forment un clan de mercenaires, qui sillonnent les chemins en quête d'argent facile.
Loin d'être dans son élément aux cotés de ces guerriers opportunistes et avinés ; le Drôle souffre de chercher constamment l'attention d'un frère que la mort de leurs parents a rendu muet. La violence le répugne, il préfère cultiver son talent pour le chant et la poésie.
Hélas, cela n'est pas du goût de Chef et Tanneur. Sans cesse rabroué et rabaissé, il est perçu comme le boulet du groupe à qui sont confiées les tâches ingrates.
Il ne doit en réalité sa place dans le groupe qu'à son frère Rody, élément considéré comme indispensable en raison de ses talents d'archer.
2) le Drôle
: Quête initiatique : de l'anti héros au héros
« Le Drôle », « le gamin »... voilà comment notre personnage est appelé, interpelé, réprimandé, par son clan de fortune ; sous les yeux - et dans le silence - de son frère Rody.
Ballotté par les accidents de la vie, au début du roman, il subit son sort, ses choix étant uniquement dictés par l'impératif de survie de son frère et lui.
Cet harcèlement constant a ruiné l'estime de lui-même, et il finit même par réfréner sa passion pour le chant.
« - Au pire on vend le bourrin, ricane Tanneur.
C'est une vieille blague entre eux,
quand les bourses sont vides.
Je n'aime pas cette blague,
j'ai très peur qu'ils le vendent.
Ils pourraient aussi dire :
« Au pire, on vend le gamin », parce que
à part nourrir le cheval
qui sait se nourri seul
je
ne
sers
à
rien. » (page 33)
Extrêmement seul, il cherche désespérément l'attention de son frère, de la reconnaissance, de l'amour – en vain.
Les points de rupture avec le groupe vont se succéder
– à commencer par « l'incident » de la taverne de Cachemitte, puis la vente du cheval, et enfin, et surtout, la rencontre avec la dragonne.
Il prend alors cette décision folle : quitter le groupe qui lui apporte sécurité, quitter son frère qu'il ne reconnaît plus, et retrouver la dragonne.
L'intrigue se construit autour de ce fil directeur, le Drôle se fixant pour mission la protection de la Dragonne et de son précieux oeuf.
Le Drôle ne répond pas aux clichés types du « héros » fort et courageux.
Loin d'aimer la violence, pas avare pour un sou, cherchant le bonheur au détour de quelques vers ; notre protagoniste apparaît comme aux yeux des autres comme un raté, que l'on tolère par intérêt.
Le récit revêt un caractère initiatique au travers de l'évolution du personnage. Sorti de ce groupe de brutes cupides, le Drôle peut enfin être lui-même et laisser libre cours à son chant.
Ce sont bien ses qualités de doux rêveur, conteur et poète, qui vont lui permettre de communiquer avec la Dragonne et gagner sa confiance – et d'obtenir ce que tous convoitaient par les armes.
Par ailleurs, en tant qu'apprenti cuisinier, le Drôle parvient à tisser une relation amicale avec son responsable Gargote. Ce dernier lui suggère, à défaut de se souvenir de son prénom, de s'en donner un nouveau. le Drôle renoue enfin avec son identité.
« S'tu veux pas me le dire, au moins trouves-t'en un autre. Les drôles ça reste pas p'tits. Pis en plus t'es pas drôle. » (page 205)
L'appel de la dragonne, le chant qu'ils partagent… symbolisent son propre envol, sa quête vers la liberté.
« Peut être que,
dans le fond,
le problème,
c'est pas moi. » (page 190)
3) L'ode au merveilleux et l'invitation aux rêves
La rencontre fortuite du Drôle avec la Dragonne va constituer pour lui le déclic final lui permettant de sortir de cette routine dictée par sa survie. L'apparition du merveilleux coïncide avec la renaissance de sa passion : le chant. Il parvient, de cette manière, à communiquer avec la dragonne.
Paradoxalement, c'est en acceptant d'être un modeste chanteur que le Drôle parvient à accomplir ce que tous les autres désiraient.
Il ne faut pas sous estimer le pouvoir du rêve, du chant, de la poésie.
Le message sous-jacent au roman nous invite, donc, à développer notre âme d'enfant, à faire fructifier nos rêves, et laisser cette porte ouverte sur le merveilleux dans nos vies.
4) L'humour au rendez-vous
La quatrième de couverture laisse entendre un roman léger et bourré d'humour. Promesse tenue, l'auteur utilisant de nombreux ressorts pour donner ce ton humoristique au récit :
- L'absurde et le comique de situation
A titre d'illustration, le Drôle se voit confier par Chef et Tanneur une mission des plus absurdes :
trouver du bois sec par temps de pluie. Il parvient néanmoins à réaliser cet exploit, trouvant du bois dans une grotte. C'est également cette mission qui le conduit à la rencontre déterminante avec la Dragonne.
« La victoire me fait battre le coeur, me monte le sang aux joues. Je vois déjà
le sourire de Chef
le respect de Tanneur.
Et Rody qui ne dit rien, mais qui pense que je suis un bon apprenti
qui sait trouver du bois,
du bois sec sous la pluie. » (page 47)
- La parodie des stéréotypes
L'auteur n'hésite pas à jouer avec les stéréotypes, notamment celui de Chef – qui, comme son nom l'indique, a toujours raison. Ou encore avec l'égo des personnages :
« Et il n'est pas QUESTION
de faire demi tour
de le suggérer
de commenter
Alors qu'on sait TOUS
qu'on est perdu
qu'on s'empêtre
qu'on s'entête
à s'enfarger
dans les cent mille ronces et fardoches qui s'accrochent à nos frocs. » (page 36)
- La fracture entre le ton léger, et les situations dramatiques
L'auteur utilise également la dichotomie entre le ton du livre, léger et drôle, et les péripéties d'ordre dramatiques que rencontre le personnage principal. Ainsi le Drôle se retrouve-t-il, seul, confronté à une flotte d'aéronefs de guerre.
- le ton des personnages
Les dialogues sont très présents, le plus souvent avec un langage familier. L'auteur n'hésite pas à utiliser le flegme des personnages.
«- T'es con le Drôle,
c'est qu'un oeuf. » (page 281)
- de même que le comique de répétition :
« - T'es con, le Drôle, coupe Tanneur. C'est qu'un cheval. » (page 81)
« - T'es con, le Drôle, c'est qu'un dragon. » (page 113)
- le burlesque
A titre d'exemple, le monde imaginaire est constitué d'une multitudes d'Îles aux noms ésotériques, allant de « Jachères » à « Cases ». Ces Îles bougent en fonction des saisons.
5) L'importance donnée à la forme
Il est bien rare de lire un roman dans lequel la priorité est donnée à la forme plutôt qu'au fond. C'est le pari original tenu par
Damien Galisson avec
La Dragonne et le Drôle.
L'intrigue en elle même, est assez simple :
un groupe de mercenaire, un poète égaré, une Dragonne, un oeuf, l'appât du gain.
Cela n'entache en rien la qualité du récit, savamment rythmé, et aide même à conférer le ton léger nécessaire à ce roman humoristique.
L'attention est davantage portée sur la manière dont l'histoire est contée : En vers libre,
Damien Galisson joue avec les mots et parvient à transmettre le plaisir que lui procure cet exercice.
Ainsi, le roman est ponctué de figures de style, dont les exemples ci-dessous ne prétendent pas à l'exhaustivité :
- Des allitérations et des assonances, en veux-tu en voilà
« Par contre j'tai pas dit, mais dans la cabine, j'me suis rendu compte que tu cocottes sévère. Tu l'prends pas mal, mais servir de la bouffe alors que tu fouettes comme une malle-arrière mal aérée, c'est pas joli. » (page 171)
« Je fuis,
fais feu,
devant ces vaisseaux fous. » (page 226)
- Pléthores d'anaphores
A titre d'exemple, l'anaphore du pronom « je » page 185, accentuant les ressentis du personnage lors de son partage sensoriel avec la Dragonne.
Ou encore :
« Il s'est protégé. Par un silence d'absent.
Absent à son frère,
absent à lui-même,
absent à la colère. » (page 219)
- Répétitions et Anadiplose
« La besace pleine de poison me bat à la hanche à chaque pas que je fais, bat comme le tambour,
le tambour que l'on donne, avant que le bourreau applique la sentence. » (page 199)
« A brigander, de-ci de-là.
Louant leurs lames aux plus offrant.
Offrant la mort aux moins chanceux.
Cherchant la guerre, car ça paie mieux. » (page 30)
- Rimes
« Il est devenu ce mercenaire imperturbable, cet archer imparable, le guerrier indispensable, seul capable de protéger son frère. » (page 219)
- Césure
« Je veux tant qu'elle le sache, qu'ils sont là, qu'ils sont fous. » (page 184 )
- Afin d'accentuer l'effet produit par ces figures de style, l'auteur joue également avec la mise en page de ses paragraphes, n'hésitant pas à modifier l'alignement du texte.
« Les voici :
bleus
toxiques
soporifiques
dangereux. » (page 199)
Il est très agréable de redécouvrir
le plaisir
d'une lecture dans laquelle chaque mot du récit
est soigneusement choisi.
En conclusion,
pari relevé pour
Damien Galisson
qui offre une lecture drôle, pétillante,
poétique, rafraichissante.