Un beau dessin, c'est toujours un (très bon) départ pour une BD agréable à lire. Et ici, c'est d'autant plus performant qu'il accompagne le récit par sa teneur. Les couleurs agréables, les formes et les décors colorés, les têtes et les zones d'ombres, tout est déjà en place dans le dessin avant qu'on s'en rende vraiment compte.
Et le spectacle commence. On s'approche, on s'installe. Les présentations sont vite faites. le grand-père dans le rôle de la victime, le jeune dans celui du sauveteur, la mère s'enfuit vite. Mais tout n'est pas fini, un acteur qu'on avait pensé inerte bouge. Et voilà que le chat ailé rejoint le héros. Il sera le mentor. La marionnette s'anime, le marionnettiste n'est plus. Mais qui tient les ficelles ?
Il faut partir. Où ? A la foire. Là où se trouve le remède au Mangecoeur qui dévore le grand-père. Oui, mais qu'est-ce que ce Mangecoeur qui dévore les coeurs des pauvres gens ? Les métaphores ne semblent évidentes qu'après coup.
Mais nous n'avons pas le temps de penser ! le temps joue contre nous, le héros se dépêche, il faut y aller. Les actions s'enchainent.
La foire est interdite aux enfants. Peut-être qu'il faut les protéger de ce qu'on peut trouver à l'intérieur. Car après tout, qui est véritablement méchant en dehors ? Et voilà que la foire ouvre ses portes. On y trouve de l'aide, des énigmes, des questions et peu de réponses, de la cruauté, de la douceur, des non-dits, et un Mangecoeur. Au centre de tout. Au centre de quoi ?
De la foire. La grande foire. le lieu où tout est permis. On s'amuse, l'ambiance est coloré, on rit et on se distrait, mais tout est cloisonnée, des portes et des grillages sont fermés, des lieux ne sont pas accessible sans payer. Que cachent-ils ? Pourquoi ne pas laisser l'accès libre ? Et puis, qui est cette foule ? Des gens venus s'amuser ? Des visiteurs connus ? Et que viennent-ils faire ici ? Que cherchent-ils ? Ne sont-ils pas là que pour Benjamin ? Toute la foire n'est-elle pas que pour lui ? Qui l'a construite si près de chez lui, à un tir de canon près ?
La foire remplie de joie, de festivités, qui cache tout aussi bien les dangers, les zones noires. Les coulisses s'ouvrent et ne sont pas belles, les masques tombent derrière le rideau. La féerie côtoie rapidement les moments dramatiques. La mort et la vie se disputent dans cet endroit. Et la nuit ne semble pas en finir, l'aube sera mortelle.
Coup de théâtre, un nouveau personnage intervient. Il n'est pas dans l'histoire, juste en dehors, une ombre qui passe sans interagir. Il n'a pas sa place, mais il n'est pas à sa place. Il veut disparaître, mais ce n'est pas forcément aussi facile. Puis voilà qu'on découvre toute son importance. Les évènements se clarifient, les dessous commencent à transparaitre. On voit devine beaucoup de choses, peu est dit, mais tout ne doit pas être dit.
Et lorsque le rideau tombe, on est surpris et en même temps conforté dans notre idée. C'est simple, mais efficace. le spectacle (de qui ?) est fini, il est temps de rendre aux gens leurs liberté. La vie reprend, et voilà que tout se rejoint. le final est éclatant de simplicité mais également, et tout simplement, beau.
Lorsqu'on referme la BD, les images restent en tête. Tout ne semble pas clair. Ce qui se trouve derrière n'est pas dit explicitement. Et c'est d'autant mieux. Car n'a-t-on pas compris sans pouvoir l'expliquer ? Un sentiment qui trouble, comme un mot qui nous échappe. Il est là, présent dans la tête, mais refuse de s'échapper. Au final, quelle importance ? Il y aura toujours à comprendre à chaque fois. Les délires semblent réel, c'est ce qui compte.
Décidément,
Manu Larcenet a bien raison : la poésie rachète tout. La poésie sauve le monde. Et cette BD est un poème.