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Critique de Bouteyalamer


Une grande rencontre que ce récit mis par écrit au 3ème millénaire, très antérieur à l'Iliade, rencontre conseillée par Henri l'Oiseleur, qui pratique l'akkadien et que je remercie.

Le narrateur commence par la fin : l'éloge d'un héros « Surdoué de sagesse », « Retour de son lointain voyage, Exténué mais apaisé ». de là il développe la légende selon le fil du temps. Gilgames, roi d'Uruk, se conduit comme un « buffle arrogant », parade sur les murailles de la ville, fait trembler les gaillards et déflore leurs promises. Les gaillards se plaignent à Anu, chef des dieux, qui commande à Aruru-la-grande de créer un rival à Gilgames : « S'étant lavé les mains, Elle prit un lopin d'argile Et le déposa en la steppe : Et c'est là dans la steppe, Qu'elle forma Enkidu-le-preux […] Abondamment velu Par tout le corps » (p 69). Enkidu, l'homme sauvage, détruit les pièges du chasseur, l'émissaire de la civilisation. le chasseur n'ose affronter le géant et, sur le conseil de son père, recrute en ville la courtisane Lajoyeuse. « En compagnie de sa harde, [Enkidu] s'abreuvait à l'aiguade, Et se régalait d'eau En compagnie des bêtes. Lajoyeuse le vit, cet être-humain sauvage, Ce redoutable gaillard D'en pleine steppe : le voilà lui dit le chasseur. Dénude-toi, Lajoyeuse, Découvre-toi le sexe Pour qu'il y prenne ta volupté ! […] Une fois soûlé du plaisir qu'elle lui avait donné, Il se disposa À rejoindre sa harde. Mais, à la vue d'Enkidu, Gazelles de s'enfuir, Et les bêtes sauvages de s'écarter de lui » (p 74-5). Alors Enkidu change de monde : « Il avait mûri : il était devenu intelligent ! Aussi revint-il s'asseoir Aux pieds de la courtisane. Les yeux rivés sur son visage, Il comprenait tout ce qu'elle lui disait. La courtisane S'adressa donc à lui, Enkidu : Tu es beau, Enkidu ! Tu ressembles à un dieu ! Pourquoi galoper en la steppe Avec les bêtes ? » (p 76). Dans ce mythe généreux, antérieur à la Bible, la tentatrice initie l'homme au plaisir, mais aussi au savoir. La courtisane civilise Enkidu, partage avec lui ses vêtements et l'emmène à Uruk.

Enkidu et Gilgames se rencontrent et se battent, mais aucun ne domine. Se reconnaissant égaux, ils deviennent inséparables. Ils font ensemble des voyages et des travaux fabuleux : abattre Humbaba le Gardien de la Forêt des Cèdres, tuer le Taureau-Céleste. Leur succès, leur complicité, leur insolence vis à vis d'Istar-la-princesse déplaît au conseil des dieux. Alors Enkidu agonise pendant douze jours. Se croyant trahi par les hommes, il maudit le chasseur, la courtisane Lajoyeuse et la porte colossale qu'il a offerte à la ville. Puis il revient sur la malédiction de Lajoyeuse et meurt. Gilgames le tient sur ses genoux « jusqu'à ce que les vers lui tombent du nez » et lui fait une longue déploration : « Pleurez-le, ours, hyènes, panthères, Tigres, cerfs et guépards, Lions, buffles, daims, bouquetins, Grosses et petites bêtes sauvages ! […] Pleurez le, ô gaillards d'Uruk-les-clos, Qui nous avez vu combattre Et tuer le Taureau-géant » (p 149). « Lorsque brilla le point du jour, Gilgames fit publier Un appel dans tout le pays : Fondeurs de métaux ! Lapidaires ! Travailleurs du métal ! Orfèvres ! Joaillers ! Faites à mon ami sa statue ! » (p 152) « Lorsque brilla le point du jour, Gilgames ouvrit la porte du Palais, Produisit un grand plateau En bois d'elammaku, Remplit de miel une jatte rouge, Remplit de beurre une jatte bleu, Et le tout dûment apprêté, le présenta à Samas » (le Dieu du soleil) (p 154).

Les funérailles achevées, Gilgames comprend que la finitude d'Enkidu, c'est la sienne. Il se révolte et part solitaire à la recherche de la vie-sans-fin, dans une nouvelle séquence d'aventures et de personnages héroïques : la Tavernière, les hommes-scorpions, le Nocher, enfin Utanapisti, l'homme qui a fait survivre l'humanité au déluge, ce désastre qui a épouvanté jusqu'aux dieux : « Prenant la fuite, Ils grimpèrent jusqu'au plus haut du ciel, Où, tels des chiens, ils demeuraient pelotonnés Et accroupis au sol. La Déesse criait Comme une parturiente » (p 191).

La vie-sans-fin lui est interdite et Gilgames se lamente : « Si l'on pouvait Fermer la porte à l'angoisse ! Si l'on pouvait l'obturer Au bitume, à l'asphalte ! Mais le Destin ne m'a pas laissé m'amuser : Il m'a déchiré, Malheureux que je suis ! ». Utanapisti le tance : « Pourquoi donc, Gilgames, Exagérer ton désespoir ? Toi que les dieux ont fait de substance divino-humaine, Qu'ils ont traité comme ton père et ta mère, Serais-tu, Gilgames, Comparable à un fou ? A un fou, l'on peut faire passer de la lie Pour du beurre. […] Penses-y, Gilgames » (p 179-80). Alors Gilgames retourne à Uruk : « Les Sept Sages en personne N'en ont-ils pas jeté les fondations ? ».

J'ai lu la version ninivite par les yeux de Bottero : « Une mise en français, suffisamment à jour, mais adressée premièrement aux autres, aux non-professionnels, auxquels les spécialistes farouches, enfermés dans leur impénétrable casemate, ne rendent pas souvent visite » (p 7). Sur la forme, Bottero prévient de l'amputation du « manuscrit » (c'est vrai, les cunéiformes sont manuscrits sur des tablettes), des difficultés de la transcription, de l'arbitraire de choix souvent nécessaires. Son style est rugueux dans le commentaire comme dans la traduction, ce qui convient à la puissance et à la franchise du mythe. En « lecteur ingénu », je vois dans ce temps et ce texte archaïques le temps et le texte des découvertes. L'homme y découvre la joie du corps, la peine de la mort, le respect des autres mortels, la sagesse et l'irrespect pour les dieux.

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