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EAN : 9782746743151
201 pages
Autrement (27/04/2016)
3.58/5   31 notes
Résumé :
Au XVIIIe siècle, un nouveau fluide fascine le monde : l'électricité. L'intensité devient un idéal ordinaire pour l'homme et un concept savant de philosophie, de la puissance nietzschéenne au vitalisme de Deleuze, de l'excitation nerveuse des libertins à l'adrénaline du désir, de la performance et des sports extrêmes.

L'intensité est une puissance qui organise le monde, et vivre le plus fort possible représente la valeur suprême de l'existence. Un idé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Attention, ouvrage franchement dur d'accès, surtout sur les 100 premières pages. Si vous n'êtes pas plus philosophe que moi, vous connaîtrez des moments raides à la lecture de cet essai. Ou alors vous décidez de vous contenter de ce que j'en ai compris, et c'est déjà ça 

J'ai choisi de lire cet essai suite à l'une des émissions de la grande librairie, où étaient invités Cynthia Fleury et André Comte-Sponville. L'un des deux, je ne sais plus lequel, a fait référence à cet ouvrage et le titre, passionnant selon moi, m'a convaincue de le commander chez mon bon libraire.

Mais commençons d'abord par situer l'auteur. Tristan Garcia est un homme de ma génération, né dans les 1980s'. Après, tout nous sépare. Il est normalien, docteur en philosophie, enseignant, écrivain, cinéaste à ses heures perdues. La vie intense, une obsession moderne est un ouvrage paru en 2016 et a été sélectionné pour le Prix Femina Essais. Je dois reconnaitre que je n'avais jamais entendu parler de lui auparavant, mais la philosophie n'est pas mon domaine de prédilection.

La vie intense, une obsession moderne porte un titre explicite et traite donc de notre avidité de vivre tout de façon intense, bien que tout n'ait pas toujours été ainsi. Tristan Garcia, durant ces fameuses 100 premières pages, explique de façon poussée comment cette naissance de l'intensité telle que nous l'appréhendons est liée à l'apparition puis au développement de l'électricité. Je ne vais pas ici résumer la maïeutique parce que je vais dire des âneries mais grosso modo, l'homme intense est l'homme électrisé, rempli de courant pour fonctionner, pour se sentir vivant. Il ne s'agit plus de vivre les choses mais de les vivre intensément, donc en usant de variations dans le courant, de vivre les choses de façon « électrique ». Mais rassurez-vous, cette démonstration-ci, essentielle probablement pour les philosophes, n'est pas le coeur du sujet pour nous. Non, les choses sérieuses pour nous, néophytes, commencent à la page 148.

A partir de là, l'auteur nous embarque dans une compréhension plus fine de la vie intense. Tout d'abord, il nous rappelle la différence entre une morale et une éthique. Une morale se résume généralement par un adjectif, signifiant la qualité que nous devons acquérir. Nous devons nous comporter bien, être respectueux etc. L'éthique, elle, correspond à la manière de faire, et s'exprime généralement par un adverbe : Vivre conformément aux règles, vivre intensément, etc. On peut donc avoir la même morale (par exemple : faire le bien) mais non la même éthique (par exemple, pour certains, dire toute la vérité, c'est oeuvrer pour le bien. Pour d'autres, cacher certaines choses pour préserver d'un chagrin, c'est également faire le bien). Et bien aujourd'hui, vivre intensément est une éthique largement partagée au sein de l'humanité. Et vivre intensément, ce n'est pas vivre tièdement (car être tiède est assimilé à de l'embourgeoisement) mais vivre dans les extrêmes de l'intensité. Les mots de l'auteur seront toujours plus explicites que les miens, alors voici un court extrait :

« Homme installé, sédentaire, marié, à la vie programmée, homme de sécurité, à l'esprit étriqué et formaté, qui aime modérément l'amour, qui connait juste ce qu'il faut de science, marchand, comptable, il est le point d'équilibre de la société. Mais il a été aussi le dernier point de résistance sociale à l'intensité éthique. Et, paradoxalement, en lui résistant, il lui permettait de se maintenir. Devant l'adversité bourgeoise, l'idée de vivre intensément prenait encore un sens transgressif et électrisant. Plus encore que le prêtre ou le philosophe donneur de leçons, le bourgeois a représenté sans doute le dernier contraire de l'intensité […] L'embourgeoisement, c'est le risque pour l'âme de l'absence de risques […] Mais le bourgeois aussi a voulu être intensément ce qu'il était, être confortablement installé et frissonner pourtant dans son siège […] Partout, les marchandises proposaient à ceux qui gagnaient leur vie de dépenser leur argent afin de se sentir vivre. Alors le dernier contenu moral qui résistait à l'universalisme de l'intensité éthique a sauté ».

Et voilà comment nous sommes aujourd'hui dans l'embarras de cette vie intense !

Pour autant, nous sommes tous portés vers l'embourgeoisement, dont nous voulons bien mais que nous ne voulons pas (toujours simples les humains !). Nous optons donc en général pour plusieurs ruses afin de maintenir notre éthique (notre façon de faire si vous avez suivi) intense, pour avoir le sentiment de vivre.

RUSE 1 face à l'embourgeoisement pour maintenir une éthique intense : NOUS VARIONS
Nous cherchons la douleur ou le plaisir, de la dissonance ou de la consonance, pourvu qu'il y ait du mouvement. le sentiment de plat nous fait ressentir comme mort. Nous perdons le goût de ce qui reste le même, a priori.

RUSE 2 face à l'embourgeoisement pour maintenir une éthique intense : NOUS ACCÉLÉRONS
Le risque de la variation est de de transformer l'éthique (notre façon de faire) en morale (un absolu) : « tout faire en variant revient à ne rien faire d'autre que varier ». Si vous changez de mari ou de femme tous les 3 ans pour vivre intensément, au final vous ne faîtes rien d'autre que changer… Il a donc fallu opter pour une autre ruse afin de déjouer l'embourgeoisement qui nous pend au nez. Il ne suffit plus que les intensités varient, il faut qu'elles progressent. Si j'ai aimé, je dois aimer encore plus fort. Cette idée reprend le principe de l'addiction. La première dose d'une drogue forte nous fera un effet incroyable. Pour retrouver cette même sensation, nous serons obligés d'augmenter les doses, car « la logique de la routine » affaiblira les effets. Il nous faudra donc plus de la même chose pour maintenir notre niveau d'intensité. Mais nous le comprenons vite, l'accélération n'est pas tenable :
« Dans tout progrès ressenti, l'homme intense découvre que sa soif d'augmentation ne peut être étanchée que par une augmentation redoublée. Il sent confusément que plus son sentiment croît, plus il sera difficile de le faire croître. »

RUSE 3 face à l'embourgeoisement pour maintenir une éthique intense : LE PRIMAVERISME
C'est l'idée que la première fois demeure pour toujours la plus forte intensité et que le reste n'est qu'une répétition de cet idéal achevé.
« On comprend la ruse : l'intensité demeure un idéal qui, au lieu d'être situé devant soi, dans l'avenir, comme un but, est déplacé dans le passé, comme une origine ou un foyer. »
Comme ça, on peut se lamenter tranquille, le meilleur est derrière, et l'on se complaît dans la nostalgie.

Mais ces 3 ruses nous mènent malgré tout à l'effondrement car « plus on est intensément, moins on parvient à l'être ».

Tristan Garcia cherche donc à comprendre la logique de cet effondrement sur les 50 dernières pages de son opus. L'idée ici n'est pas de lutter contre l'intensivisme de notre société postmoderne, car rappelons-nous, nous parlons ici d'éthique (manière de faire) et non de morale (valeur). La question n'est donc pas de savoir si c'est bien ou mal de vouloir vivre intensément, mais de chercher à savoir pourquoi vivre intensément conduit à un effondrement.

Selon l'auteur, la réponse est assez simple, c'est « la logique de routine » inhérente à notre condition et contre laquelle on ne peut rien. Même si des choses changent, même si les personnes de votre entourage ne sont pas figées, même si vous déménagez, votre esprit est programmé pour reconnaître ce qui ne change pas. C'est la contrepartie de l'intensité car c'est justement parce qu'il y a une logique de routine que nous sommes capables de vivre des moments intenses. Comme le dit Tristan Garcia :
« La routine, ce n'est rien d'autre que le prix à payer pour avoir la possibilité même de sentir et penser nos intensités. C'est la contrepartie nécessaire du sentiment. Supprimez la menace de routine, vous éliminez du même coup l'opportunité d'éprouver quoi que ce soit d'intense, et de le faire durer à travers le temps. »
Ainsi, l'expérience la plus intense soit-elle finira elle-aussi par être attaquée, s'il y a répétition, par la logique de routine. C'est dur à encaisser mais c'est ainsi. Il n'existe pas d'échappatoire.

Cette réalité, beaucoup d'entre nous l'ont comprise bien sûr, et c'est ainsi que l'on voit poindre un retour à la sagesse, à la pensée, elles qui menaient nos vies avant l'électricité.
« La pensée, c'est ce qui, au sein d'un être sensible, ne sent pas. C'est ce qui, dans un être souffrant, ne souffre pas. C'est ce qui, à l'intérieur d'un être traversé par des intensités variables, se règle sur la recherche de ce qui ne varie jamais, de ce qui reste identique. […] Être sage, c'est en effet être égal, éviter les hauts pics et les creux profonds de ses humeurs et de ses passions. C'est travailler à la désintensification systématique de soi. »
On ne compte plus les sagesses d'antan et d'aujourd'hui qui oeuvrent en ce sens, le monde en regorge. Tout comme il regorge, d'ailleurs, de personnes qui plaident l' « ici et maintenant », le « profite », le « si tu vis quelque chose, vis le à fond » et luttent contre la vie tiède.

La sagesse et le salut marquent l'imposition de la pensée sur le vivant.
L'intensité nous enjoint à caler nos pensées sur ce que nous ressentons en tant qu'être vivants.
Un dilemme, quelle éthique choisir ?
Pour le philosophe, l'issue est tragique. Vivre intensément, comme démontré, c'est aller à l'épuisement et à la défaite de l'intensité car la logique de routine joue en sa défaveur. Plus on recherche l'intensité, plus on est déçu, plus on augmente les doses, plus la routine revient. A l'inverse, vivre par la pensée, c'est se forcer à croire intensément à autre chose qu'à l'intensité pour en être libéré. C'est renié le sentiment de vie en l'annihilant. Les 2 logiques mènent donc à la défaite…

Au final, l'éthique humaine est de renvoyer ces deux logiques dos-à-dos. On ne peut pas déduire comment il faut vivre ou comment il faut penser, car ce serait faire violence à la vie et à la pensée. Est un être éthique quiconque ménageant l'un et l'autre. Il faut accepter ce rapport de force permanent, sans vérité.

Il faut se méfier des deux trahisons d'éthique qui peuvent nous séduire : « penser pour défendre sa vie » et « vivre selon sa pensée ». Il ne faut pas suivre de préceptes, de schémas, de façon de penser… Mais il ne faut pas non plus tout fonder sur ce que l'on ressent, car les émotions peuvent nous tromper d'une part, mais aussi parce que toutes façons, l'intensité faiblira.
« En ce sens, nous ne concevons de vie éthique que par le refus obstiné de nos idées de correspondre à notre manière de vivre, et par le refus obstiné de cette vie d'obéir à nos grandes idées. Notre caractère éthique suppose d'être bien plus délicats que cela. »

Bon ben courage, j'ai envie de dire !

Tristan Garcia conclue en argumentant que nous entrons selon lui dans la vie électronique, et non plus intense. Une vie fondée sur les datas, le progrès, l'allongement de la vie et le transhumanisme : une version technologique de la sagesse et du salut, où l'information de la pensée est imposée à la vie.

J'espère vous avoir transmis ici l'essence même de cet ouvrage pas simple d'accès mais néanmoins excellent je trouve. La vie intense est extrêmement séduisante, mais elle se tue elle-même. C'est regrettable mais heureusement cela ne nous empêche pas de vivre des moments intenses, il ne faut juste ne pas les chercher comme une fin en soi. Même si chercher des finalités à ce que nous faisons est plus fort que nous, bien sûr.
C'est un très bon livre dont les idées résonneront longtemps dans mon esprit, je crois. En revanche, je ne le conseille pas à la lecture à n'importe qui car il est par moment relativement indigeste et présuppose d'avoir franchement envie d'en découdre sur le sujet pour tenir les longueurs. La pensée est puissante et la démonstration solide.


Jo la Frite

Lien : http://coincescheznous.unblo..
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Tout serait né d’un coup de foudre au XVIIIe entre un concept, celui d’intensité, et une réalité physique que l’on commence à étendre à la vie : l’électricité. Rencontre entre
« une image qui manquait d’idée et une idée qui manquait d’une image. » (p.66)

Vivre électrifié, vivre intensifié, telle serait l’impossible exigence actuelle. Et on la reconnait cette injonction à vivre toujours plus, dans une croissance et une variation infinies de sensations, d’expériences, de nouveautés, de frissons. Intensité extensive et insoutenable de la vie tandis l’expérience du monde se réduit, aboutissant à une civilisation burnoutée, celle à laquelle on trouve des échos ailleurs, dans les marais de la société de « la fatigue d’être soi » avec Ehrenberg, dans la tentation d’en disparaître (David Le Breton) ou de s’y soustraire (devenir-ingouvernable de la mouvance Comité invisible).

Le constat de Tristan Garcia, critique quant au rapport à l’intensité, résonne avec bien d’autres pensées qui concourent à saisir un air du temps irrespirable, gazeux et pouvant cependant tendre souvent, il le souligne, vers la réaction : nostalgie du temps d’avant, des hiérarchies célestes et terrestres, de l’authenticité, des territoires, haine de la technologie et tout ce à quoi peut conduire une pure résistance à l’hypermodernité, laissant les monstres de ses propres valeurs dans une ombre bien menaçante.

Alors Tristan Garcia tente sa chance d’en faire une nouvelle lecture qu’il voudrait moins négative, une voie sur la ligne d’éclair de la vie.

Refaisons avec Garcia l’histoire des désillusions de l’intensité.

Dans ce livre de cette collection « les grands mots » chez Autrement (où le très bon ouvrage de Pierre Zaoui sur La discrétion, ou La nuit de Michaël Foessel sont parus) est ainsi déployé l’histoire du concept d’intensité d’Aristote aux philosophes modernes (Nietzsche-Whitehead-Deleuze) en passant par la philosophie newtonnienne.

Cette archéologie du concept, déplaçant l’analyse du contemporain, des politiques, de la science actuelle pour nous déporter vers la constitution et la mutation de l’intensité est réjouissante, permettant de lire à nouveaux frais les couplages intensité/rémission chez Aristote ou la puissance de la notion de « force » chez Newton. Cela permet de comprendre ce qui se transforme dans le moment moderne du XVIIIe siècle.

On regrette pourtant que cette partie soit survolée, quand on attendrait, de Nietzsche à Deleuze, un déploiement conséquent, critique, contradictoire, des flux, des strictures, des vitalités, des coupures, de tout ce que ce courant de pensée a inventé et a su imposer au-delà du champ conceptuel, dans des manières de vivre, de s’agencer au monde – y compris dans des contresens, parfois créateurs, parfois réducteurs.

Quatre pages, même pour un essai dans une collection où l’on suppose le format limité (160 pages en moyenne), c’est un peu court tout de même pour déployer l’ensemble de ces systèmes.

Passons. Je préfère m’arrêter à la conclusion de l’auteur puisqu’au-delà du constat, Tristan Garcia veut aussi indiquer une voie hors de l’épuisement qui est l’horizon de toute intensité. Montrant l’aporie d’une intensité incapable d’éviter la routine, d’intensifier à l’infini ou de retrouver le choc des « premières fois », tout autant que l’aporie d’une sagesse visant à abolir les intensités (ataraxie, religions, transhumanisme et son rêve de devenir-robot), le projet de Tristan Garcia se lit dans une formulation essentiellement « éthique » d’une vie sur le fil :

« On ne se sent vraiment vivre qu’à l’épreuve d’une pensée qui résiste à la vie, et on ne se sent vraiment penser qu’à l’épreuve d’une vie qui résiste à la pensée. Soutenus par deux impulsions contraires, nous avons la chance, peut-être, de demeurer en équilibre sur la ligne de crête. » (p.196, je souligne)

Les difficultés et les beautés d’une telle propositions vont de pair. Une position paradoxale en première lecture que l’équilibre perpétuel sur le chemin périlleux entre le gouffre de l’intensivité et celui de la pensée réactionnaire.

Comment vivre « en équilibre », en tremblement dirait Glissant, dans l’incertain, dans la conscience faillible, dans la liberté absolue. Comment mener cette vie philosophique dans cette aporie vivante, cette contradiction maintenue pour demeurée vivante. L’essai est trop court à nouveau pour nous donner à penser ce que pourrait être véritablement cette éthique qui demanderait alors de déployer les mille plateaux de son intrication avec la vie sociale, politique, scientifique, imaginaire.

La solution de la non-binarité des choix, de la résistance créatrice, de l’auto-détermination des valeurs, des normes est celle que Garcia partage avec d’autres dans une éthique nécessairement difficile. Virtuose ? On pourrait autant le dire de celle de Lévinas. Toute éthique nous dépasse, nous excède, nous déborde, et doit le faire pour nous ouvrir à l’autre.

Garcia propose une neutralisation dynamique de l’intensité : le plus et le moins électrique permettant d’entretenir l’électricité de la vie dans sa complexité.

Ce cap ambivalent sinue comme l’éclair, ce n’est pas le « juste milieu » aristotélicien évoqué plus tôt dans l’essai, ce sont les ramifications de la foudre, les remontées de la terre vers le ciel, les courants chaotiques du monde, l’incertitude, l’extrême lumière faisant voir les ténèbres comme le disait Agamben pour illustrer le contemporain.

Cette « ligne de crête » promise par Tristan Garcia est ce chemin étroit et escarpé de montagne, où derrière une crête se profile une autre crête. Pas les sommets nietzschéens, mais l’aventure des montées et des descentes, de crête en crête. Une philosophie de la marche. Pas le chemin du funambule, « un corde sur l’abîme » « entre la bête et le surhumain », le chemin de montagne avec l’attention aux mauvaises chutes et aux orages.

Et pourquoi ne pas quitter aussi les crêtes pour les multiplier partout, s’aventurer dans la vallée, goûter le spectacle des forêts sur lesquelles tombe la nuit, où les ampoules grésillent, où les néons clignotent, où la résine libère ses sucs, où la vie, toute mêlée refuse à cette opération de jonglage entre les contraires au-dessus de l’abîme, car ils sont là, dans les rendez-vous ratés, dans la route qui zigzague, et qu’il faut arpenter, dans les lignes de failles partant dans tous les sens, n’allant nulle part, en haut, en bas, creusant la terre et bitume, le ciel et la vie, et que cela – littérature – suffit à vous faire une philosophie.
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La philo, n'en déplaise, c'est toujours un peu la même chose. A l'instar de la vie et de la mort, de ce qui fait vie et de ce qui fait mort. de ce qui fait vivre et mourir. [Nanana nanana Me saoule moi-même]

Ici, énième déclinaison. Au travers du concept d'intensité. Qui vous l'avez compris est à peu près synonyme de force de vie, ce qui donne sa force à la vie, et qui est recherchée et vécue par les individus contemporains.
L'auteur fait aussi un historique autour de ce qu'est la modernité, et en quoi elle est dépassée, laissant également planer la fin de ou la supplantation l'électrisation/électricité par l'électronique. Et laisse ainsi son livre ouvert aux conséquences encore inconnues du numér'-intelligence artifi'... J'oubliais de dire que pour lui modernité et [découverte puis sur-usage de l']électricité vont de pair. Cette électricité que non contents de voir intégrer les objets, les humains ont plaisir à ressentir inside, ils aiment à s'électriser les sens.

So, comme d'hab', c'est le chaud contre le froid.
Mais si on chauffe trop, on crève. La pulsion, vitale, nous attire, fait vibrer, nous secoue jusqu'à l'effondrement. Pensez burnout, pensez fatigue de soi...L'épuisement d'être le plus soi-même possible, cette exhortation (fatale) en cours.
Mais si on gèle, la vie s'arrête aussi.
Comment geler ? Par la pensée, la catégorisation, la réflexion, la science peut-être, la philo encore. Penser la vie. La cadrer dans un routine qui de toute façon sera surpassée par la vie débordante, par l'imprévisible, par le chaos (Tristan Garcia n'utilise pas le mot entropie, mais on pourrait). La routine est saine parce qu'elle est impossible bien longtemps.

Et la peur de l'ennui, tellement conne-temporaine, par perte d'intensité, conduisant à chercher du neuf, du surprenant, sans cesse, épuisement.
Enfin, comme chaque fois ou presque (ici bien), on finit par prôner une juste mesure entre la pensée (contrôlante et rassurante mais chiante) et la vie (incontrôlable et inquiétante mais passionnante), le juste milieu. Comme chaque fois. N'en déplaise.

Addenda :
* Je ne suis pas philosophe, je dis donc certainement un paquet de bêtises, je l'accorde aux puristes.
*Le texte n'est pas si simple qu'il n'y paraît ou selon les autres critiques que j'ai lues sur le site.
* le nom Tristan Garcia m'a évidemment souvent fait dériver vers Tristan Tzara, et le sergent Garcia. J'ai chaque fois dû (et réussi à) faire marcher ma machine à penser volontaire pour contrer ce stupide débordement. Car il est tout aussi vrai que les pensées nous assaillent aussi sans qu'on n'ait rien demandé, si ça c'est pas la vie ? Et que la vie c'est aussi actionner des mécanismes pour...
Non, allez, je suis en train de tout démonter les propos.
Putain...
Puuu










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J'ai mis du temps et j'ai eu du mal à le lire ce bouquin. D'abord parce qu'il est très philosophique, rempli de concepts abstraits et de couples d'opposition. Ensuite à cause de son érudition. L'histoire des sciences et de l'art viennent régulièrement illustrer la théorie. Heureusement Tristan Garcia saupoudre ce gateau difficile à avaler avec un soupçon de culture pop. Enfin j'ai trouvé cet ouvrage très inégal. J'ai dévoré certains chapitres, comme le dernier (Une image opposée - L'Ève de Séoul). J'y ai pris beaucoup de plaisir, ai l'impression d'avoir tout compris et irait même jusqu'à me plaindre de répétitions. A contrario, le troisième chapitre (Un concept - L'exception de l'intensité) m'est complètement tombé des mains. Au point d'abandonner la lecture puis de la reprendre en mode accéléré un mois plus tard. J'ai bien fait. Car il s'agit à mon sens d'un travail important.


À l'origine de cette enquête philosophique, il y a une fulgurance. La fée électricité promettait (Prométhée ?) de réenchanter une modernité occidentale en proie à la « dépression de la raison ». Cette période peut être caractérisée par l'alliance d'une image (l'électricité) et d'une idée (l'intensité). À cela s'ajoute pour l'homme ordinaire un idéal : vivre sa vie « à fond ». Mais attention car cette promesse peut s'avérer être un piège, devenir une obsession voire une addiction. On s'y habitue, il faut donc augmenter les doses, accélérer la cadence, varier les plaisirs ou être en quête perpétuelle de nouveautés. A moins d'en prendre le contrepied, en cherchant à annuler ou à dépasser cette sensation de se sentir vivant (via la sagesse, le salut ou plus récemment le transhumanisme).


Quelle est alors la meilleure façon de vivre et de penser ? En bon philosophe, Tristan Garcia répond évidemment qu'il s'agit de trouver un juste milieu. Seul l'équilibre entre vie sensible et pensée conceptuelle peut nous permettre de résister à « l'intensification forcenée de son existence ». Important vous dis-je.
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Et si la pomme de Newton et l'invention de l'électricité étaient à la source du mal de notre temps : celui qui consiste à rechercher à tout prix une vie intense, quitte à risquer l'effondrement ? La théorie de Tristan Garcia mêle avec brio philosophie et histoire des sciences. Elle montre comment l'appréhension rationnelle du monde a logiquement débouché sur une grande dépression, dont la recherche de l'intensité est censée nous sauver. Sauf que l'intensité, dès qu'on met le doigt dessus, a une fâcheuse tendance à disparaître…
La prose de Tristan Garcia se lit comme un roman, on est harponné par sa démonstration et il sait ménager son suspense, ne proposant une solution au mal qu'il diagnostique que dans les toutes dernières pages. Mais j'ai quand même été à plusieurs reprises saisie de doutes en le suivant dans ses explications.
Il nous décrit l'homme intense, libertin, romantique, rocker. Mais la femme intense n'est nulle part, et pour cause. Si « l'homme » générique des philosophes est juste un humain, cela signifie potentiellement qu'il n'y a pas de différence entre hommes et femmes. Mais ici j'ai plutôt l'impression que l'auteur passe à côté de ce qu'il aurait pu découvrir en n'ignorant pas l'existence de 50% de l'humanité. J'ai eu beau faire, ce postulat m'a irritée pendant toute ma lecture et laissé un désagréable goût d'inachevé. Comme si j'avais assisté à un tour de magie brillant et convaincant, tout en sachant qu'il existe en coulisse une mécanique qu'on se garde bien de nous montrer.
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critiques presse (1)
Lexpress
06 juin 2016
A la lecture de cet ouvrage précis et abordable, on en arrive à se demander si nous ne serions pas, au fond, des descendants de la créature de Frankenstein ayant besoin de l'énergie de la foudre pour se sentir vivants.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
La critique de la vie normale occidentale à basse intensité existentielle est courante, de Rimbaud au surréalisme, de Thoreau au mouvement hippie,d’Ivan Illich à L’Insurrection qui vient. Régulièrement, on explique même l’apparition de comportements violents et « déviants », que ce soient l’amok ou le terrorisme, par un mystérieux défaut d’âme dans la société consumériste, incapable de procurer à sa jeunesse une intensité de vie suffisamment stimulante.
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Peut-être qu’il a fini par s’assembler en chacun de nous une sorte d’instrument de mesure d’abord rudimentaire puis raffiné de notre intensité de vie,dont la variation entre dans nos calculs d’intérêts ; nous sommes raisonnables, à condition d’abord d’éprouver régulièrement, et plus ou moins sur commande, une intensité suffisante pour nous sentir vivants.
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Si on entreprend une rapide généalogie de l'intensité en tant que principe de la vie moderne, on trouve que cet idéal qui oriente notre existence est l'enfant d'une idée extrêmement abstraite et d'une image absolument concrète, qui ont fondu l'une en l'autre, afin de donner à une vieille question théorique l'aspect vif, étincelant de l'intensité électrique, et d'animer la réalité de l'électricité d'une qualité métaphysique occulte.
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Être éthique consiste à tenir bon, à opposer au flux continu de la vie une sorte d'immobilité, qui s'exprime dans les mots et les idées, dans les identités que nous arrachons à nos sensations toujours différentes. Ainsi, chacun peut-il espérer se sentir vivre , en éprouvant concrètement contre la part pensante de lui-même l'intensité du flot de ses perceptions, de son désir changeant et de son électricité intérieure.
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Penser, ainsi que nous avons tâché de le faire ici, ne devrait pas consister à imposer des conclusions théoriques à nos vies.
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Videos de Tristan Garcia (19) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Tristan Garcia
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