AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Musa_aka_Cthulie


Dernière pièce de García Lorca, écrite en 1936 peu de temps avant sa mort, La maison de Bernarda Alba se trouve bien ancrée dans la société espagnole de son temps, bien que très empreinte de vieilles traditions.


On s'y trouve littéralement enfermé avec Bernarda, qui mène sa famille à la baguette, à savoir ses cinq filles et deux domestiques. le père, qui n'est pas le père de le fille aînée, vient de mourir, et Bernarda a décrété que huit ans de deuil seraient respectés, comme au temps, dit-elle, de son père et de son grand-père. Ce qui signifie que les filles, âgées de 20 ans à 39 ans, ne sortiront pas de la maison pendant ce laps de temps (mais huit ans d'une vie, qu'est-ce que c'est, franchement ? Une broutille !) Reste un dernier personnage, la mère de Bernarda, qui, elle, se trouve doublement enfermée : dans la maison, et dans sa chambre, parce qu'elle est folle. Au fur et à mesure de la pièce, on peut se demander si on l'a enfermée à cause de sa folie, ou si c'est l'enfermement qui est cause de sa folie... Les filles n'ont qu'une échappatoire : se marier. Mais être demandée en mariage quand on n'a pas d'argent (à l'exception de l'aînée Angustias, qui dispose de l'héritage confortable du premier mari de Bernarda) et qu'en plus on n'est pas jolie (à l'exception d'Adela, la plus jeune), c'est un rêve quasiment inaccessible, surtout quand on a une mère qui prend prétexte de tout pour éviter qu'on puisse se marier. Angustias, grâce à son argent, va, elle, pouvoir se marier avec Pepe, l'amoureux d'Adela. Découragement, frustration, résignation, tristesse, jalousie, révolte : tout ça grossit parmi ces soeurs, s'amplifie, se propage. Elles sont contaminées par un mal intérieur qui les ronge, et auquel chacune fait face différemment.


García Lorca a adopté un style plus sobre que dans Noces de sang, la grand-mère - quand elle réussit à s'échapper de sa chambre - étant la seule à distiller une forme de lyrisme dans ses propos, où les métaphores et le côté visionnaire ne manque pas. Mais c'est un personnage qu'on voit peu. Et pour ce qui est des métaphores, l'auteur a repris celle du cheval déjà présente également dans Noces de sang, avec l'étalon qui rue et qu'on s'apprête à faire saillir les pouliches (bon, c'est peut-être pas ce qui est le plus fin dans la pièce). Pour la très grande majorité du texte, les répliques sont dans une veine tout à fait réaliste. García Lorca fait peu apparaître Bernarda, ce personnage détesté de tous (famille, domestiques, et le village dans son entier), dans le premier acte, puis davantage ensuite. Mais c'est bien sur les filles qu'est concentrée l'intrigue, et le lecteur se trouve coincé dans la pièce commune avec elles, tout aussi piégé par Bernarda que toute la famille.


García Lorca joue donc du hors-scène et des propos rapportés du dehors pour nous faire comprendre dans quel type de société vit cette famille. La Poncia, domestique, haïssant Bernarda mais lui obéissant au doigt et à l'oeil, fielleuse à souhait, raconte des histoires dont on ne sait trop ce qu'il faut en penser ; une de ces anecdotes ressemble fort à l'histoire d'un viol collectif, mais la Poncia la présente comme l'aventure d'une nuit d'une dévergondée, qui coucherait avec tout le monde. Et tout ce qui semble se passer dans le village et dont nous ne prenons connaissance que par des ouï-dires, montre que les femmes sont soit enfermées, soit traitées de putains. le hors-scène prend véritablement place avec une scène de lynchage qui ne présage rien de bon, et c'est peu dire. On comprend donc que c'est cette société, avec ses traditions les plus discriminantes et les plus cruelles, qui a fait naître l'obsession de Bernarda ; elle s'y conforme aux, non pas afin de préserver ses filles, mais pour préserver l'honneur de la famille, à savoir uniquement des apparences et des mensonges. Une préservation des apparences qu'elle maintiendra jusqu'au bout, malgré la tragédie qui rongera sa famille.


On imagine bien que García Lorca, très engagé politiquement, a souhaité livrer avec La maison de Bernarda une critique sociale de son époque et de son pays des plus acerbes. Et pourtant, ça va plus loin que ça puisque les contraintes (sociales, familiales, ou autres) qui emprisonnent et défont les êtres humains ne disparaissent jamais ; ce qui m'a fait penser en partie à Virgin suicides (le roman et le film), cette autre histoire d'un enfermement prenant place dans un temps et un lieu différent.
Commenter  J’apprécie          342



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}