Citations sur Poésies, tome 4 : Suites, Sonnets de l'amour obscur (7)
Sonnet de la douce plainte
J'ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue, et l'accent
que, pendant la nuit, pose sur ma joue
la rose solitaire de ton haleine.
J'ai peine à n'être en cette rive
qu'un tronc sans branches; et ce qui me désole
est de ne pas avoir la fleur, pulpe ou argile,
pour le ver de ma souffrance.
Et si toi tu es mon trésor occulte,
si tu es ma croix, ma douleur mouillée,
si je suis le chien de ton domaine,
ne me laisse pas perdre ce que j'ai gagné
et décore les eaux de ton fleuve
avec les feuilles de mon automne désolé.
***********COUCOU , COUCOU , COUCOU ************
Le coucou divise la nuit
avec ses billes de cuivre .
Le coucou n'a pas de bec
il a deux lèvres d'enfant
qui sifflent du fond des siècles .
Chat ,
cache ta queue !
Le coucou va sur le temps
et flotte comme un voilier ,
multiple comme un écho .
Pie ,
cache ta patte !
Face au coucou , le sphinx
le symbole des cygnes
et la fille qui ne rit jamais .
Renard ,
cache ta moustache !
Un jour s'en ira au vent
notre dernière pensée ,
notre avant-dernier désir .
Grillon ,
va-t'en sous le pin !
Seul le coucou restera ,
partageant l'éternité
de ses billes de cristal .
Toutes les choses ont leur mystère,et la poésie, c'est le mystère de toutes les choses.
** Estampes de la mer **
La mer
veut soulever
son couvercle .
Des géants de corail
poussent
avec leur dos .
Et dans les grottes d'or
les sirènes répètent
une chanson pour endormir
l'eau .
Vous voyez leurs gosiers
et leurs écailles ?
Devant la mer
prenez vos lances .
DANS LES BOIS DES CÉDRATS DE LUNE
PERSPECTIVE
Dans mes yeux
s'ouvre le chant hermétique
des graines qui
n'ont pas fleuri.
Toutes rêvent d'une fin
irréelle et distincte.
(Le blé fait le rêve
d'énormes fleurs jaunes.)
Toutes rêvent d'étranges
aventures dans l'ombre.
De fruits inaccessibles,
de vents apprivoisés.
Nulle ne se connaît.
Fourvoyées et aveugles,
leurs parfums leur font mal,
à jamais prisonniers.
Chaque graine imagine
un arbre généalogique
qui couvre tout le ciel
de tiges et de grappes.
Dans l'air s'étirent
des végétations incroyables,
de grandes branches noires
et des roses de cendre.
La lune presque éteinte
de fleurs et de ramures
se défend de ses rayons
comme un poulpe d'argent.
Dans mes yeux
s'ouvre le chant hermétique
des graines qui
n'ont pas fleuri.
p.118-119
DANS LES BOIS DES CÉDRATS DE LUNE
RÉFLEXION
Homme qui vas et viens,
fuis le fleuve et le vent,
ferme les yeux et puis…
puis vendange tes larmes.
L'âme tenue à un fil,
oublie la question,
néglige les faucilles
de l'interrogation.
La question est le lierre
qui nous couvre et nous égare.
Elle fait tourner sous nos yeux
prismes et carrefours.
La réponse est la même
question déguisée.
Elle s'en va comme source
et revient en miroir.
p116-117