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Critique de YvesParis


Aussi exotique qu'il puisse sembler, l'Arctique est un sujet géopolitique à ne pas prendre à la légère. Cet immense océan, grand comme six fois la Méditerranée, a toujours revêtu une importance stratégique : pendant la Seconde guerre mondiale lorsqu'il voyait transiter les convois maritimes reliant les Etats-Unis à l'URSS, durant la Guerre froide à l'époque où les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins étaient tapis sous la glace et que les stations d'écoute attendaient anxieusement le signal du passage des bombardiers nucléaires ennemis (la route aérienne orthodromique la plus courte entre l'URSS et les Etats-Unis passent par le pôle Nord).
Mais c'est le récent réchauffement climatique qui a placé l'Arctique sous le feu – si l'on ose dire – de l'actualité. Si la banquise estivale fond – elle aurait déjà perdu 25 % de sa superficie entre 1979 à 2005 et le GIEC prévoit sa disparition pour 2080 – l'Arctique y gagnerait une dimension océanique qu'il n'a jamais connu. Si l'Arctique s'ouvrait à la navigation intercontinentale, c'est toute la navigation maritime mondiale qui en serait reconfigurée. Par exemple l'économie sur le trajet Rotterdam-Yokohama serait de 7 000 km.
Réchauffement climatique oblige, les richesses naturelles de l'Arctique seront d'une exploitation plus aisée. Outre les richesses halieutiques (la mer de Barents est l'un des bassins les plus poissonneux au monde) ce sont les matières premières fossiles (gaz et pétrole) et les minerais (dont les terres rares) qui suscitent le plus de convoitises. Quant au tourisme arctique, il séduit de plus en plus de privilégiés en quête d'espaces vierges.
Sur ces deux sujets, Thierry Garcin a le mérite de se montrer prudents. Les routes commerciales ? le gain en distance sera en partie annulé par la lenteur du trajet. L'économie rognée par la nécessité de recruter un personnel plus expérimenté. le danger accru par l'existence de hauts-fonds et les carences d'une cartographie encore incomplète. En tout état de cause, le passage du Nord (russe) comme le passage du Nord-ouest (canadien) ne seront praticables que pendant quelques semaines de l'année. Bref, Suez et Singapour ont encore de beaux jours devant eux.
Quant aux ressources naturelles de l'Arctique, elles suscitent, nous dit l'auteur, « des espoirs sans doute immodérés » (p. 94). En particulier leur éloignement représente un obstacle considérable. Ainsi du pétrole en Alaska, découvert en 1968, dont l'exploitation est aujourd'hui en plein déclin (223 millions barils/an en 2011 contre 744 en 1988).

A la différence de l'Antarctique dont la gestion a été internationalisée par le traité de Washington de 1959, les cinq Etats arctiques (Etats-Unis, Canada, Danemark, Norvège, Rusie) entendent conserver la haute main sur cet espace. « Nous sommes cinq là-bas et nous sommes égoïstes. Pourquoi aurions-nous besoin des autres » a affirmé sans détour un responsable ruse. C'est dans cet esprit qu'ils ont signé en 2008 la déclaration d'Ilulissat, tuant dans l'oeuf les espoirs d'un traité international que caressait notamment la France – qui avait nommé Michel Rocard pour en suivre la négociation.
Thierry Garcin souligne avec force combien l'espace arctique reste dominé par la realpolitik des Etats. Les structures régionales (Conseil arctique, Conseil euro-arctique de la mer de Barents, Conseil nordique) sont des forums de discussion hétéroclites sans pouvoirs réels. Moins que la coopération, la véritable caractéristique de la région est la confrontation entre les anciens ennemis de la guerre froide. D'un côté les Etats-Unis obnubilés par la liberté de circulation sur toutes les mers entendent faire reconnaître le statut de détroits internationaux des passages du Nord et du Nord-ouest. de l'autre la Russie, qui depuis Pierre le Grand se cherche une façade maritime, n'hésite pas à placer ses voisins devant le fait accompli : elle a planté un drapeau en titane sous le pôle nord géographique en 2007 sur lequel elle revendique sa souveraineté comme extension de son plateau continental (la dorsale Lomonossov est une chaîne sous-marine partant de Sibérie jusqu'au Groenland qui présente une parenté géologique avec le plateau continental russe).

Loin de céder à la mode qui fait de l'Arctique une nouvelle frontière, un « coffre-fort septentrional » (p. 157) gorgé d'hydrocarbures et de terres rares, nouveau boulevard du commerce maritime, Thierry Garcin a le mérite de décrire le décrire tel qu'il est : une terre inhospitalière, glaciale, nocturne, dont les ressources sont difficilement accessibles et où les Super-Grands prolongent un conflit qui semble n'y avoir jamais fini.
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