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Critique de ninachevalier


OLIVIERJérôme Garcin – récit, nrf – Gallimard ( 158 pages, 15€)

La mort d'un enfant ne cesse d'inspirer les écrivains, d'où en exergue une citation de Mallarmé qui a vécut le drame de perdre très jeune sa mère , puis fut très affligé à la disparition de sa soeur Maria , puis de son fils Anatole , âgé de 8 ans.
Dans ce récit , Jérôme Garcin se met à nu , nous ouvre son coeur. Il nous laisse entendre la conversation « conciliabule permanent », jusqu'alors inaudible pour les autres ,qu'il entretient avec son « si présent l'absent » qui le visite « en frôlant de son aile d'ange , son épaule ». Depuis quatre ans, confesse-t-il, ses liens tiennent «  de l'apostrophe, de l'invocation, de la prière ». C'est à 53 ans qu' il réussit , ayant pris de la distance, à confier par écrit ses pensées,ses questionnements, ce qui le taraude. Ne pas lui rendre visite plus souvent le fait culpabiliser. Il lui exprime sa gratitude d'avoir appris, grâce à lui, qu' « on écrit pour exprimer ce dont on ne peut pas parler, pour libérer tout ce qui, en nous, était empêché », et découvert la possibilité de converser avec lui « par la seule magie des mots ».La page blanche comme confidente , mieux qu'une analyse pour formuler son cri de révolte, car « survivre à un jumeau est une imposture ».
Difficile pour lui, de célébrer son anniversaire sans raviver les rares souvenirs communs, « figés à 5 ans » .Difficile d'effacer les images de la tragédie dont il fut témoin qui lui reviennent en boucle, d'autant que le traumatisme est décuplé pour des jumeaux. Il soulève la délicate question concernant la façon de dévoiler une disparition à un enfant. Dire la vérité ou faire croire que le défunt vous voit et prendre la réalité de plein fouet à l'âge adulte? N'est-ce pas la raison pour laquelle il cherchait à débusquer Olivier dans « les mers agitées de blés mûrs »?convaincu qu'il avait fugué.
Jérôme Garcin replonge dans son passé, ressuscite son double «  la moitié dont il se sent amputé »,il imagine ce qu'il aurait pu devenir. Il feuillette l'album photos ,s'étonne de ne nous restituer que des lambeaux de leur enfance,ne s'expliquant pas ce flou .Leurs portraits se tissent en parallèle. Il se remémore sa première rentrée , se sentant mutilé; les réunions familiales; leur complicité à Noël: unis par l'amour, trésor inestimable; relate ses cauchemars. On le voit se reconstruire , acquérir la maturité très tôt, « devenu un vivant pressé » , chercher un frère de substitution. Il revisite son adolescence fracassée par la mort du père. A 17 ans,le voici « escorté par deux ombres ».
On découvre qu'à 18 ans il s'est nourri d'ouvrages traitant de la perte d'un enfant, ce qui lui ouvrit des pistes pouvant l'aider à la résilience. le pouvoir salvateur de la littérature «  qui prolonge la vie des disparus »et permet de dompter « l'innommable douleur » se confirme. Il trouve asile au royaume du papier,convoquant Rimbaud, Radiguet ,Bousquet, ainsi que la correspondance entre Gérard Philipe et Georges Perros, affirmant qu' « on ne lit bien que pour se retrouver »,persuadé d'appartenir à la même société secrète, débordant de compassion pour ces condamnés et tétanisés de douleur . Il reconnaît être attiré par les romanciers ayant vécu des épreuves similaires et entre facilement en empathie avec ces héros fauchés, rendant un hommage particulier à Philippe Forest. S'étant aussi documenté sur la gémellité, il fut troublé par les allégations trouvées dans un recueil de la regrettée, Jacqueline de Romilly «  cette grande helléniste », admirable de sagesse.
Il privilégie la compagnie des chevaux capables de vous «  décrasser », passion héritée de son père, glissant sa fascination pour les spectacles de Bartabas. Mais celle qui est à la source de sa métamorphose , dont il brosse un portrait dithyrambique n'est autre qu'Anne-Marie «femme claironnante,sa force vitale, sa jumelle positive », rencontrée à 20 ans. A eux deux « ils ont su faire du passé un présent perpétuel ».

Jérôme Garcin signe un récit poignant, pétri de tendresse pour sa famille refuge ,empreint de sincérité, dans lequel il montre comment la littérature , la nature et le cheval lui furent de précieuses béquilles . Récit traversé par la voix d'Olivier qui emprunte au cinéaste Radu Mihaileanu l'injonction: « Va,vis,et deviens »Le lecteur sera sensible au souhait de l'auteur: « considérer qu'il a joliment vécu »et refermera «  ce petit tombeau de papier sur un sourire éternel ».On peut subodorer Jérôme Garcin, réconcilié avec son passé et apaisé. Ce mémorial de papier où tous les mots sonnent comme des mots d'amour ne se révèle -t-il pas une vraie catharsis?
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