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Critique de Luxi


J'avais repéré ce livre par son titre horriblement beau et sa couverture envoûtante. Il m'attirait avec une sorte de fascination mêlée d'angoisse. Et pourtant, sincèrement, j'ai cru que je n'arriverais jamais à la fin de ce roman. Non pas parce qu'il m'a déplu, au contraire – ce roman est une pépite – mais parce que Jonas Gardell écrit avec un art strident et ne nous ménage pas. Parce qu'il nous fait connaître d'étonnants et merveilleux garçons tout en nous jetant à la figure que leurs sourires ne résisteront pas, que l'espoir se fane vite à Stockholm et que la nuit va bientôt s'affaisser sur eux.
Dès la toute première scène, on est plongé dans l'impuissance : un jeune homme est allongé sur un lit d'hôpital, émacié, agonisant, pleurant, lorsqu'une infirmière – dont le geste me bouleverse encore à l'instant où j'écris – essuie ces larmes sans avoir pris le temps de réenfiler ses gants. le ton est posé : cette lecture sera magnifique mais épouvantable, fusion d'horreur et de beauté.
Le livre se découpe en 3 chapitres : l'amour, la maladie et la mort. Et l'on suit Rasmus et Benjamin dans les rues de Stockholm, étudiant pour l'un, Témoin de Jéhovah pour l'autre, qui laissent leur enfance sur le sol pour mieux découvrir qui ils sont. J'ai été bouleversée par ces deux garçons. Je les ai aimés et suivis dans leur lent et beau cheminement, dans leurs doutes, leurs peurs, leur grâce.
Les allers-retours entre passé et présent rythment les pages et mêlent les Benjamin et Rasmus enfants, adolescents, au réel de 1989. Cette alternance vie-mort est perturbante mais n'en est pas moins bouleversante. Et puis dès la deuxième partie on suit également les souffrances des autres garçons du groupe : Paul, Reine, Lars-Ake, Bengt, Seppo. On les voit s'étioler, suppurer, désespérer et prier. Et le pire, c'est qu'on ne peut strictement rien / faire / pour / eux.
La plume de l'auteur m'a séduite, à la fois brute et poétique, crue sans basculer dans la vulgarité, émouvante, délicate et sincère. Comme si elle effleurait les personnages, comme si elle les berçait, tentant de les apaiser et de les soutenir en attendant le moment fatal de la chute. Heureusement que le livre comporte de nombreuses notes d'humour qui nous permettent de respirer un peu à travers tous ces drames. Et on se surprend à sourire, à rire parfois, sans que jamais ces instants plus « légers » n'entachent la beauté dramatique du livre.
Autre particularité du roman : entre les chapitres réservés aux personnages, l'auteur nous plonge dans le Stockholm des premières « années sida » et nous éclaire sur le contexte de l'époque grâce à un travail de recherche d'une précision hallucinante. C'est effrayant à lire, révoltant, écoeurant. Mais comme nous l'avoue l'auteur à plusieurs reprises : « ce qui est raconté dans cette histoire s'est réellement passé. » Tout ce monde qui évolue autour des homosexuels est scruté au peigne fin, que ce soit le Stockholmois lambda ou la famille même du personnage en question. Et on endure leurs réactions, opinions, peurs, colères ou incompréhensions. C'est parfois un véritable procès monté autour de celui qui a eu « le malheur » de se découvrir homosexuel. Et on a le coeur qui se tord. Et on a envie de hurler.
Dans les années 80, on ne donne pas deux ans d'espérance de vie aux malades, et c'est là que je réalise l'avancée considérable que représentent les traitements d'aujourd'hui, même si la partie n'est pas encore gagnée. La maladie (le virus HTLV-3 qui deviendra plus tard le VIH) y est décrite sans concessions et quelle horreur de les voir souffrir à ce point, saigner de partout, corps brisés, squelettes trop jeunes pour ce combat, réduits tout entiers à une gigantesque plaie : « mourir du sida n'est pas une belle mort ; c'est mourir vieilli avant l'heure, c'est une mort longue et laide, dans la solitude et la douleur. » Il y tant de souffrance dans ce livre, tant d'injustice et de chagrin. Chaque page saigne, transpire, inspire puis s'étouffe, rêve puis désespère, crache, gémit, pleure, gueule vers ce ciel impassible et indifférent.
Alors même si cette lecture a été l'une des plus belles et des plus éprouvantes de l'année 2016, il m'est douloureux de quitter ces hommes avec qui j'ai passé autant d'heures, de jours, de lecture. Je m'excuse pour la longueur de cette critique alors que j'aurais encore pu en écrire 7 pages. Qu'est-ce que c'est fort, atroce et beau. Qu'est-ce que c'est puissant et sublime. Je crois que c'est un livre que tout le monde devrait lire parce que c'est une sacrée claque dans la gueule. Parce que personne ne pensera ni ne crachera jamais plus « sale pédé » ou « sale gouine » après avoir lu ça. C'est impossible. Ce livre est au-delà de l'ouverture à la tolérance, c'est un hymne à l'amour vrai. Un très, très grand roman dont on ne ressort pas indemne. Inoubliable. Cruel. Mais tellement rare dans la littérature, tellement précieux sur le chemin d'une vie… Un roman génial composé par un auteur virtuose pour lequel je ne peux que répéter : lisez-le d'urgence, ce roman peut changer votre vie. J'ai tellement pleuré que mes mains tremblent en tapant ces lignes. Me reviennent alors comme un chant les paroles de Benjamin, tellement pures, tellement déchirantes, qui ne demandent rien de plus que ce qu'elles avouent : « je veux dans ma vie pouvoir aimer quelqu'un qui m'aime. »
Merci Monsieur Gardell.
Un grand merci à Babelio et aux éditions Gaïa pour ce roman essentiel.
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