Livre reçu grâce à l'opération Masse Critique.
Il est vrai que, de prime abord, les questions fiscales peuvent ne pas susciter de grand enthousiasme quant à l'évocation des problématiques qu'elles dégagent. Mais il est aussi vrai qu'en matière d'histoire, les documents servant à la levée de l'impôt - prenons ici ce terme avec son sens général de prélèvement effectué par une autorité publique sur des personnes vivant sur un territoire donné - se révèlent particulièrement précieux, révélant sous un jour financier et précis des pans entiers de la vie politique, sociale et culturelle des sociétés d'autrefois. Car l'impôt n'est pas qu'une question financière, aussi importante soit-elle : c'est avant tout une question de politique et de philosophie politique, définissant les corps sociaux et leurs attributions propres, révélant des zones de conflit, structurant la société comme corps politique.
Le livre est un recueil d'articles universitaires, offert au professeur
Denis Menjot, spécialiste des questions fiscales au Moyen Âge et, plus généralement, de l'Espagne médiévale. Partant, l'ouvrage comporte 28 contributions, dont un certain nombre en espagnol, italien, anglais, portugais et catalan dont, au vu de ma pénible maîtrise de ces langues, je m'abstiendrais de parler. Les articles sont organisés en quatre thèmes : l'impôt à travers les discours théoriques, l'impôt comme manière de gouverner, l'impôt comme marqueur de la société et l'impôt comme sujet d'interprétation, donc comme source possible de conflits.
Disons le de suite : la qualité des articles est très diverse, avec quelques articles très intéressants et d'autres nettement moins (le lien avec la culture fiscale est parfois très ténu) ; certains articles sont écrits de façon très fluide quand, pour d'autres, la lecture peut être pénible tant à cause du vocabulaire spécialisé utilisé que du style laborieux de l'auteur. Quoiqu'il en soit, il se dégage de ces 28 articles une certaine homogénéité, et le livre tend finalement à montrer que si tout au long de la période envisagée, le discours et les pratiques liés à la fiscalité se forment et gagnent en efficacité, retracer l'histoire de la fiscalité sous ses diverses formes et conséquences est une mission ardue, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, les documents parvenus jusqu'à nous, souvent précis et précieux, sont relativement rares, voire très parcellaires pour certaines périodes (cf. D'un Etat domanial à un Etat fiscal). Ensuite, les mots pour dire l'impôt peuvent être polysémiques (ainsi dans les territoires germaniques avec le cas de l'Ungeld), recouvrant des réalités difficilement à appréhender et dépendant de l'époque, du territoire et même de l'auteur.
L'impôt paraît dans ce recueil comme ce qui irrigue le corps politique des sociétés médiévales et de la Renaissance. L'argent levé sert tant à la constitution ou à l'entretien des armées, au financement du train de vie des princes, à la construction de routes ou encore à l'érection de murailles autour des cités. Déjà, on le voit, l'impôt touche les personnes et les biens produits ou consommés (distinction entre l'impôt direct et l'impôt indirect). Ce thème de la fiscalité irrigue surtout les débats sociétaux et cristallisent les luttes intestines au sein des cités ou des principautés. L'impôt est l'objet d'attentions particulières (cf. Enquêtes princières et questions politico-fiscales dans les villes de Flandres et d'Artois), de discussions politiques au sein des principautés ou entre les élites locales et les seigneurs extérieurs (cf. le roi, les artisans et le patriarcat à Gérone) et il est la source d'honneurs divers (cf. Aller aux Etats de Provence) ; sa récolte peut faire l'objet de difficultés liées aux collecteurs (cf. Logique administrative, fraude et népotisme) ou aux populations prélevées (cf. Rivolte fiscali in Italia). Au-delà de l'image initiale - peu attirante - de la fiscalité dans notre imaginaire collectif, c'est donc à un monde ancien qu'ouvre ce thème car, derrière les lignes de compte, ce sont bien des hommes qui apparaissent.