Parmi les trucs que j'aime bien, on trouve :
- La pilosité sur-buccale (comprend qui peut)
- le fromage de chèvre
- Brassens
- Et les vieux
Ça, mon gars, les vieux, j'aime bien.
Pour peu que tu saches les apprécier, tu n'es jamais déçu avec eux.
Exemples concrets :
Un vieux réac', il va te faire marrer. Engoncé dans ses principes, il ne sait pas débattre.
La question kurde ?
- On s'en bat l'oeil, tous des arabes.
L'Afghanistan reprise par les Talibans ?
- On s'en bat l'oeil, tous des arabes.
Comment résoudre les problèmes qui sévissent en France, la misère, le chômage, l'insécurité, le laxisme de la justice ?
- La prochaine fois, vote FN. T'arrêteras de me faire chier avec tes idées de communisse.
Sinon, tu as le vieux grabataire. Comme la vieille tante Simone, qui n'a pas perdu sa verve et son franc-parler malgré son grand âge :
- Et cette petite, elle ne sera donc jamais attirante ?
Elle, je l'aime bien. Elle met l'ambiance.
Il y a aussi le vieux lubrique, de loin mon préféré. C'est le Père Kerdoncuff.
Le Père Kerdoncuff, c'est mon voisin du dessus. Quatre-vingt-huit ans, marié à vingt, il a perdu sa chère et tendre au mois de juillet.
Triste sort. Au début, il marchait courbé, le regard vitreux, ravagé par le chagrin.
Puis, un beau jour, il me dit :
- Vous savez, Dame Galette, hier soir j'ai vu tout ce que mon mariage m'a interdit. Les femmes, tout ça. Je me suis marié trop tôt. Et, Dieu m'pardonne ! moi qui pensais que j'étais à la fin de ma vie, j'ai l'impression d'avoir à nouveau vingt ans.
Puis, posant tendrement sa paluche sur mon épaule :
- Ça n'vous dirait pas de monter voir mes estampes... ?
Ayant un minimum de vertu – oui, oui... –, j'ai bien entendu refusé. Mais il ne s'est pas laissé abattre par cet échec, et toutes les trois nuits, je l'entends oublier son chagrin dans les bras d'une jeune et jolie fille, jamais la même – mais comment fait-il... ? –, fille que je croise donc le lendemain matin et que je salue d'un sourire goguenard.
Quel coquinou, ce père Kerdoncuff...
- Mais pourquoi parler des tribulations d'un vieux sénile qui aime les petites jeunes dans une critique de
Romain Gary ? me demandes-tu tout de go.
Alors, déjà, je n'écris pas de critique, je donne mon avis en divaguant beaucoup et en servant un maximum de conneries, c'est différent. Ensuite, si tu avais lu ce merveilleux livre, tu comprendrais le rapport.
Bien, l'histoire.
C'est un mec qui s'appelle Jacques. Jacques, il est industriel mais il est un peu dans la merde financièrement, j'ai pas compris pourquoi, parce que j'avais 8 de moyenne en Sciences éco en seconde – après j'ai arrêté. C'est con pour lui, vu qu'à ce moment précis de sa vie, il est super content parce qu'il est amoureux d'une jeune et belle Brésilienne. Amour qui, comme de bien entendu, est réciproque. Si, si.
Je crois qu'elle a la vingtaine quand lui en a cinquante-neuf.
Posons les bases, la différence d'âge n'a aucun impact sur moi. Pour peu que tu portes la moustache, aimes le fromage de chèvre et chante Brassens, j'accepterais tes avances ; Léandri me demanderait que je ne lui dirais pas non. Et si j'ai refusé de voir les estampes de Monsieur Kerdoncuff, c'est bien parce que je devais sortir mon chien Philippe.
Bon, là n'est pas le sujet.
Donc, Jacques, le héros du livre dont je te parle, non seulement ça commence à chauffer pour lui au niveau thunasse, mais en plus, il commence à voir la décrépitude arriver à grands pas.
La décrépitude sur le plan sexuel, j'entends.
Oui. On peut pas tous être des Père Kerdoncuff en matière de fesses.
Un peu de sexe donc, mais beaucoup d'amour. Et ça c'est bien. Un peu comme dans
Lourdes, Lentes de
Hardellet, sauf que
Hardellet c'est beaucoup mieux.
Jacques – que j'imaginais aussi comme Clark Gable, mais je vois souvent les héros de livre en Clark Gable –, Jacques, dis-je, n'est pas un vieux lubrique comme le Père Kerdoncuff qui tringle comme un Cosaque, mais un amoureux. Un romantique.
Le genre à t'emmener en gondole à Venise en te susurrant des mots d'amour à l'oreille ? Pouah, j'espère pas. Laisse-moi rêver, je hais ce genre d'amoureux guimauve.
Ici, ce n'est pas romantique-fleur bleue, mais romantique-tendre. Tu saisis la nuance ?
- Et sinon, pourquoi ce livre au titre si long mérite une si bonne note ?
Eh bien, si l'on met de côté les quelques longueurs relatives aux déboires financières de Jacques, et d'autres trucs que j'ai pas bien compris, mais que je ne divulguerai pas parce que ça gâcherait la fin, c'est un sujet pertinent et très bien exploité.
(Bonne mère, cette dernière phrase sonne comme les commentaires que me mettait Monsieur Chabance dans la marge de mes copies.)
Le sujet, donc, c'est la décrépitude des corps. Chose qu'heureusement j'ignore encore, car je suis toujours une jeune et fringante galette-saucisse, mais qui m'intéresse beaucoup ; car, comme je l'ai dit plus haut, un des trucs que je préfère, ce sont les vieux.
Ici, tu sens que l'auteur parle en connaissance de cause. Qu'il ressent ce qu'il écrit. Ce qui rend la chose plus émouvante encore, car la souffrance cachée tant bien que mal derrière un humour amer, elle est vécue.
Donc, points négatifs :
- La couverture dégueulasse de l'exemplaire que je tiens entre les mains, qui est une photo de Gary, mais pas prise à son avantage je trouve. (Cela dit, les couvertures hideuses, j'en ai l'habitude maintenant...)
- Les longueurs qui font que certains passages se lisent en diagonale parce que sinon tu t'endors.
Points positifs :
- Un sujet intéressant et rendu très émouvant.
- Des personnages attachants, mais c'est aussi parce que Jacques est pour moi le sosie de Clark Gable, et que j'aime beaucoup Clark Gable, donc ça fausse les choses.
- Les longueurs qui t'endorment, ce qui est pratique en cas d'insomnie.
Sur ces belles paroles bienveillantes, je vais demander des conseils séduction au Père Kerdoncuff, sait-on jamais.
La bonne journée.