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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Lecteur de la Promesse de l'aube, je n'avais pas lu La nuit sera calme. Je remercie Piatka qui, par sa critique, m'en a donné l'envie.

Romain Gary est de ces écrivains et de ces hommes dont on peut dire qu'ils réunissent plusieurs personnes en un seul individu. Né en Lituanie d'une Juive russe et d'un Grec orthodoxe, Romain Kacew ou Romain Gary dont le nom signifie "brûle !" en russe est devenu plus francais que les Français de souche, un citoyen excentrique se payant le luxe de pleurer à la place de nos compatriotes la perte de leur identité culturelle et de leur indépendance nationale, noyées dans le consumérisme à la mode américaine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ennemi de toute bondieuserie et de tout moralisme, notamment en matière de sexualité, il n'en était pas moins sensible au discours tenu par le Christ, dont la religion d'amour et de salut, même si Gary rejetait la notion de péché, lui paraissait être le triomphe de la part féminine en l'humain, que celui-ci fût homme ou femme.

Dans La nuit sera calme, Gary nous laisse voir plusieurs aspects et facettes des multiples personnalités qui s'exprimaient en lui : un écrivain qui de ses expériences fait des livres ; un serviteur de la France dans sa représentation diplomatique, imitant en cela des Jean Giraudoux, Paul Morand et Saint-John Perse ; un aviateur de la France Libre, tout comme le fut Pierre Mendès France ; un séducteur, un charmeur et un "coucheur" qui n'en fut pas moins un soutien du droit des femmes à se faire entendre et à porter un discours de douceur dans le monde brutal et assez "guerrier" des hommes, même s'il y avait un peu de pose étudiée dans les plaidoyers de Gary en faveur de la cause féminine ; et puis un fin observateur et analyste des bouleversements géo-politiques qui reléguaient la France au rôle de puissance secondaire dans une Europe qui ne pouvait pas se définir toute seule et dont le devenir économique et politique dépendait et dépend toujours étroitement de ce que les Etats-Unis d'Amérique voulaient et veulent bien nous laisser faire, tout en éprouvant pour les Américains une réelle sympathie.

Pour lire Gary, il ne faut surtout pas être idéologue ou être prude. C'est un gros plaisantin qui vous reprend très vite un ton de protestation et de gravité. Un vrai "gamin", un vrai "joueur" : son double prix Goncourt sous les noms de Romain Gary et d'Émile Ajar en sont la vivante preuve. Mais le farceur est aussi un replié sur lui-même et, paradoxe, un "extraverti" qui aime se confier à un public d'inconnus.

Les questions posées par "François Bondy", dans ces longs entretiens qui forment la matière de la nuit sera calme, donnent lieu à des réponses où, sous apparence de franchise et de spontanéité, Gary pèse et choisit ses mots et donne de lui l'image qu'il veut que l'on retienne.

Il y a donc Romain Gary et les femmes, et aussi Romain Gary et le sexe. Il en parle d'un ton libre, sans tabou et sans complexe, avec pour seule retenue celle de ne pas faire mal à quelqu'un si des imprudences de sa part risquent de compromettre une réputation. Et il se moque de ceux qui s'offusquent ou qui jouent à faire semblant de ne pas être concernés ou intéressés par la "chose". Pour lui, les sujets touchant aux rapports sexuels entre êtres consentants ne peuvent être objet de scandale et il rappelle que l'honneur ne peut être placé sous la ceinture mais bien dans le cerveau des individus. Il en profite pour rappeler comment notre monde aime surprendre les personnes en flagrant délit, dans un lit de délices adultères, et en même temps dans leur crainte de l'exploitation d'images capturées pour salir une réputation, notamment dans le milieu diplomatique, où l'espionnage est devenu de règle.

L'émotion s'empare de Romain Gary quand il évoque son amour pour la Hongroise Ilona Gesmay, un amour partagé, et pour lequel il avait obtenu la bénédiction de sa mère chérie - de cette mère sans cesse évoquée et donnée en exemple et qui eut la chance d'avoir un fils pour la sortir de l'ombre et parler d'elle avec l'abondance du coeur dans La nuit sera calme aussi bien que dans La Promesse de l'aube (même si dans cette dernière oeuvre les liens entre mère et fils sont plus fortement soulignés). Mais revenons à Ilona. Croit-on qu'elle se dérobe pour se soigner de maux guérissables par l'air pur des Alpes ? Tout faux. Et est-ce vrai qu'Ilona est retournée silencieusement en Hongrie pour revoir ses parents et les tenir au courant du projet de mariage qu'elle aurait formé avec Romain ? Pas plus réel que le reste ? Alors, faut-il accepter comme le fait Romain qu'elle ait pris, des années plus tard, la décision de quitter Romain pour devenir religieuse en répondant à un appel entendu au fond d'elle- même ? Eh! Bien non, si Ilona s'est éclipsée sans rien dire, c'est qu'elle qu'elle voulait ne pas attirer l'attention sur le fait qu'elle était atteinte par une maladie psychiatrique et internée pour des soins depuis des années et qu'elle ne voulait pas inquiéter Romain. Si elle refuse qu'on la voit, c'est qu'elle a voulu rester belle dans le souvenir de son bien- aimé. du coup, ce dernier ne doit pas céder au désir pressant qu'il éprouve de se précipiter auprès d'elle.

Autre grand volet : la politique. Gary se moque dans ces pages de ceux qui n'ont à la bouche que les mots : "indépendance de la France" quand on sait que nous dépendons de l'Afrique et du Moyen-Orient pour nos besoins en matières premières. Comment nos hommes politiques peuvent-ils indéfiniment signer des chèques en blanc sur l'avenir ? Pour Gary, la France, et, de manière plus générale, l'Europe, qui n'ont plus le pouvoir de leur ancienne puissance, font encore comme si... Constat d'autant plus amer que les États-Unis autorisèrent la création de l'Europe comme ligue commerciale pour faire pièce à l'U.R.S.S. L'actualité récente tendrait d'ailleurs à nous prouver que les U.S.A. aimeraient bien nous utiliser comme arme pour lutter contre la Russie ultra-nationaliste de Poutine, qui aurait rallumé la Guerre Froide entre Empire russe et U.S.A. en s'en prenant à l'Ukraine. Malgré tout, Gary demande à ce que l'on ne tire pas sur l'ambulance qui passe, car il appelle finalement de ses voeux la création d'une véritable Europe, à condition que ce ne soit pas l'Europe des profiteurs et de la seule finance. Il l'écrit : "Nous ne devrions pas nous identifier à quelque citoyen romain qui se serait écrié, en voyant Jésus mourir sur la croix : "Encore un raté !"
Pour lui, la France ne doit pas s'annihiler en se fondant dans l'Europe. Bien au contraire. Et il ne faut pas avoir peur de cultiver notre passé. Il a cette très belle phrase : "Le plus grand progrès que l'humanité ait connu eut lieu lorsque le Moyen Âge a découvert le passé : il a découvert l'Antiquité, la Grèce [et Rome], et c'est ainsi qu'il s'est ouvert sur l'avenir". Il use d'une belle image pour montrer que nous tenions auparavant nos destinées en main : il évoque justement les mains artistiques de la France.
Ici, Gary me rappelle le Bernanos de la France contre les robots.
Toutefois, même lorsqu'il dénonce notre soumission à la culture dominante des États-Unis, il pointe un peu plus loin que le rapport entre culture populaire et production cinématographique américaine est le résultat d'un heureux mariage.

L'humour enfin : lorsqu'il raconte qu'éconduit avant guerre par un homme qui lui refusa la main de sa fille, Romain Gary, fait Compagnon de la Libération et chevalier de la Légion d'Honneur, vit accourir au-devant de lui le même homme, venu lui faire la proposition incongrue qu'avec ses médailles et sa réputation de combattant comme couverture, il accepte la présidence d'une chaîne de maisons de passe, ce qui permettrait de laisser à ces établissements les moyens de continuer à exercer sans être menacés dans leur existence. "Je leur ai dit que j'etais très honoré mais que je ne pouvais pas accepter la présidence d'une chaîne de bordels, parce que je venais d'avoir une autre offre que j'avais déjà acceptée, celle d'entrer comme diplomate de carrière au ministère des Affaires étrangères".
Et encore et toujours la sexualité : "De toute façon, tout le monde ment, dès qu'il se met a parler au lieu de faire. [...]Le jour où je ne pourrai plus, je ne pourrai plus, un point, c'est tout. Je ne chercherai pas à ressusciter ça par le verbe".

Et puis l'essentiel. Quand François Bondy lui demande : "Dans cette sorte de mosaïque que tu es, composée d'éléments disparates - russo-asiatique, Juif, catholique, Français, un auteur qui écrit des romans en français et en anglais, qui parle russe et polonais, quel te semble être l'apport dominant ?"
Romain Gary : "Quelque chose que tu n'as pas mentionné, dans tes énumérations : la France libre. C'est la seule communauté humaine physique à laquelle j'ai appartenu à part entière".
Francois Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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Ce livre n'est pas un vrai roman. Bien que réalisé sous la forme d'une interview avec son ami François BONDY, ce n'est pas non plus une vraie interview. Romain GARY en a imaginé la trame sous forme de questions-réponses qu'il a lui-même intégralement rédigées. Selon moi, cet auto-interview est plutôt un TESTAMENT littéraire, où l'auteur expose directement ses opinions, parle de ses oeuvres et de leur élaboration, de son engagement pendant la guerre, et nous livre ses réflexions sur sa vie et la société.

Paru en 1974, alors que GARY a soixante ans, c'est bien le livre de la maturité. J'y ai retrouvé avec plaisir le style fluide, l'humanisme et le ton teinté d'humour de cet auteur que j'apprécie tant. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne conseillerais pas d'aborder son oeuvre par ce livre, qui est d'autant plus passionnant si on l'a déjà un peu fréquentée.
Cet ouvrage nous donne à entendre la voix de Romain GARY, il s'adresse à son lecteur à la première personne : c'est son intérêt et sa grande force ! On comprend mieux aussi comment il a pu devenir un des écrivains majeurs du XXème siècle.

Un seul bémol peut-être, pour être objective. GARY fut un acteur de son temps, tour à tour compagnon de la libération, diplomate, écrivain, cinéaste. Nécessairement ses réflexions, en particulier politiques , sont à replacer dans leur contexte et sont clairement datées. En revanche, ses réflexions sur la vie, l'amour, la mort, gardent une universalité passionnante pour le lecteur d'aujourd'hui.


Un extrait...choisi au hasard ( le choix fut difficile, tant le livre regorge de citations plus belles les unes que les autres :
" - Des regrets ?
- Je n'ai pas assez écrit et je crois que je n'ai pas su assez aimer. "
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En utilisant la hiérarchie des insignes de Babelio, je dirai que les chevronnés, inconditionnels de Romain Gary, auront lu La nuit sera calme. Les adeptes, surement aussi. Dans la négative, ils l'auront envisagé. Les amateurs quant à eux le découvriront peut-être après avoir lu cette humble intervention. Et là, je les presse de le faire. C'est un incontournable de la bibliographie de cet idéaliste sublime.

Sous la forme d'un entretien avec son vieil ami François Bondy, lequel lui pose les questions brulant les lèvres de ses admirateurs, comme de ses détracteurs, Romain Gary répond avec la virtuosité et la spontanéité qu'on lui connaît. Avec un humour corrosif aussi, qui vient en paravent d'une amertume toutefois assez mal dissimulée. Pour la vérité, c'est autre chose. Car le drôle n'en est pas à ses premières facéties éditoriales. Ce n'est pas au vieux singe, fût-il diplomate, que l'on va apprendre à faire des grimaces et interloquer son auditoire. Mais quand même, ça respire le vrai.

On apprend beaucoup de choses sur le personnage dans ce livre, dont il est inutile d'essayer de faire l'inventaire. Il faut plutôt chercher à convaincre l'amateur de se plonger dans cette lecture au combien révélatrice tant des idées de l'auteur que des stratagèmes qu'il mettra en oeuvre pour les faire valoir ou convoiter. Aussi, si je devais extraire de cet ouvrage quelques impressions émergeantes, ce serait d'abord la perception de cette hantise qu'a Romain Gary de l'enferment en soi-même, une forme de "claustrophobie", tel qu'il le dit lui-même, qui le fera à la fois se livrer dans tant d'ouvrages et sous divers pseudonymes, dont un n'est d'ailleurs pas encore révélé au moment de l'entretien avec son ami. Ce pseudonyme qui vaudra à son auteur son deuxième prix Goncourt, Emile Ajar.

Je retiendrais aussi les préoccupations qui lui feront reprocher ses déviances à la nature humaine et nous dire que ce qu'il préfère dans l'Homme, c'est … la femme, plus exactement la féminité. Seul trait de caractère selon lui capable de sauver l'humanité du machisme dévastateur qui gouverne les esprits depuis que l'homme s'est octroyé la gouvernance de la gente animale.

Et enfin lorsque François Bondy demande à Romain Gary quel a été l'apport dominant de la mosaïque de sa vie, ce dernier répond sans hésiter : "la France libre. C'est la seule communauté humaine physique à laquelle j'ai appartenu à part entière". Sans doute parce qu'elle était l'émanation d'un élan commun, d'un rêve, celui de la liberté et que "l'homme sans le rêve ne serait que de la barbaque."

La nuit sera calme est un éclairage indispensable sur l'homme et son oeuvre à qui veut progresser dans la compréhension de la complexité du personnage. Une complexité qui se dévoile toutefois d'autant plus qu'on l'assimile à la notion d'humanisme. Mais pas l'humanisme mercantile en vogue. Un humanisme sincère, un humanisme qui croit encore en l'homme en dépit de ce que la richesse de sa vie lui a fait découvrir, et déplorer. Une forme de définition de l'humanisme au sens des qualités humaines qui peuvent habiter un esprit prédisposé à la fraternité.

Sans le rêve, l'homme ne serait que de la barbaque. Il s'empresse d'y adjoindre, sans la poésie aussi. Car rêve et poésie vous élèvent et vous détachent d'une réalité qui porte plus à la déprime. On comprend que lorsqu'un homme est habité par ce degré d'humanisme idéalisé, il ait alors du mal à vivre parmi ses semblables.
Le 2 décembre 1980, son acte funeste nous a privé de ce prospecteur de la part de féminité qu'il y a en chacun de nous. L'inconvénient qu'il y a à connaître pareille échéance est qu'on en scrute les prémices dans tous les écrits et paroles de celui qui restera à jamais un virtuose de la vie.
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La nuit ne fut pas calme…

Tenue éveillée par des quintes de toux à m'en décoller la plèvre, enfin pas tout à fait puisque ça n'a pas eu lieu, mes pensées se sont égarées, mon coeur s'est emballé à ces pensées, ma chair s'est échauffée à cet emballement, mes pensées se sont brouillées à cet échauffement, le brouillard de mon esprit s'est transformé en un sommeil troublé.


A quinze ans, j'ai rencontré un homme. Un homme charmant. Non, mais qui m'a charmée, indéniablement. Un homme de 46 ans déjà, qui m'a raconté sa vie, et quelle vie ! Son enfance, entre Russie, Pologne et France. Sa jeunesse, entre petits métiers, l'écriture et l'envie d'être publié. Puis la guerre, où l'on est héros ou pas. Il fut héros.
La promesse de l'aube. C'est la promesse qu'il m'a faite de m'éblouir souvent par sa capacité d'empathie hors du commun.

Dans le même temps, il m'a conté tout autre chose, d'une voix de petit garçon, fils de pute.
La vie devant soi. En réalité les vies. Toutes ces vies qu'il me restait à découvrir avec lui.

« le roman, c'est la fraternité : on se met dans la peau des autres. »


Merci à madame Sabbah, professeur de lettres, de nous avoir fait découvrir Romain Gary en classe de seconde.


Romain Gary donc, m'a séduite.
Parce qu'il a des couilles, des vraies.
Un héros de la guerre, qui n'a pas peur physiquement de mourir, un mec capable aussi de se foutre de la gueule de toute la société bien-pensante avec son histoire de pseudo qui lui a valu d'être le seul écrivain à avoir deux fois le prix Goncourt, mais là encore capable d'aller jusqu'au bout de la blague, en ne révélant la supercherie qu'à titre posthume.
De quoi en mettre plein la vue à une jeune fille de 15 ans…

« La dignité n'est pas quelque chose qui interdit l'irrespect : elle a au contraire besoin de cet acide pour révéler son authenticité. »


Bien sûr pour impressionner une midinette, quoi de mieux qu'avoir le sens de la formule, et une ironie un peu mordante, couplée à une sorte de fausse modestie, tout en se la jouant un peu Calimero.

« Elle m'a dit qu'elle avait toujours su que j'étais un salaud et que c'était même uniquement pour ça qu'elle s'était laissée faire, parce qu'avec un type bien, elle aurait eu honte. »


Puis j'ai grandi, des mecs qui ont des couilles, j'en ai rencontré, parfois des tellement grosses que ça laisse plus la place pour autre chose. C'est utile, hein, vu les trésors d'humanité que ça peut contenir, des couilles.
Mais parfois ça te menace d'étouffement dès que t'irais y mettre le nez trop près, alors dans ce cas-là ça devient dangereux parce que ça coupe tout espoir de communication saine entre un homme et une femme.


Alors j'ai continué à passer de bons moments avec Romain Gary, plus sensible à d'autres sujets de réflexion, sur la société, avec le temps qui passe.
Très jeune dans Education européenne et dans le grand vestiaire, homme d'âge mûr dans Les racines du ciel, La tête coupable, Les mangeurs d'étoiles, vieux dans Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable, L'angoisse du roi Salomon
De quoi passer toute une vie avec lui. Et ben si c'était à refaire, j'recommencerai. Ce que j'ai fait d'ailleurs...


Parce qu'un mec capable d'une telle poésie dans son écriture, moi j'en redemande.

« J'ai fait deux mille kilomètres de bus pour arriver à Big Sur, une centaine de kilomètres de beauté fantomatique, d'une beauté à vous faire sentir devant ça comme une sorte de pollution en veston, un lieu où le grand fantôme de l'océan rencontre le fantôme de la terre dans une atmosphère brumeuse, vaporeuse, où aboient les phoques et où on a envie de faire son mea-culpa uniquement parce qu'on n'est pas eau, ciel et air. »


« La nuit sera calme » n'est pas un roman.
Il se présente comme la transcription d'entretiens ayant eu lieu entre François Bondy et Romain Gary. En réalité, ces entretiens sont fictifs, c'est Gary qui a écrit les questions et les réponses.

Quel est le but si ce n'est de se faire mousser ? le but est de communiquer avec ses admirateurs, ses admiratrices, et même avec son fils, qui n'a que 11 ans à ce moment-là et à qui il sait qu'il n'aura pas l'occasion de dire certaines choses car il sera mort avant.
Il garde une certaine pudeur tout de même, pour qui veut bien y croire.

« Nous entrons là dans le domaine du « combien de fois avant le petit déjeuner », et je ne joue plus. Je me refuse à m'exprimer là-dessus verbalement. Les personnes qui sont concernées sont renseignées. C'est un domaine où le « verbal » devient toujours du godemiché, de la prothèse. Je sais que c'est très à la mode, le cul est dans le vent. Tu assistes aujourd'hui à des réunions distinguées où l'on parle en « liberté » du pile et du face, avec détails et précisions, avec inventaire, chiffres en main – c'est toujours chiffres en main, à défaut d'autre chose. »


A lire absolument pour tous les amoureux de Romain Gary, tous ceux qui ont déjà lu pas mal de ses livres, car c'est un livre très éclairant sur son histoire personnelle, sur sa personnalité, sur ses motivations à écrire des livres, sur sa vision, très éclairée, du monde.


Romain Gary y aborde ses thèmes de prédilection.
Le « je » universel dont il semble atteint et qu'il donne souvent à ses personnages de roman. Gary se sent concerné par tous les autres hommes. Il cherche toujours à les comprendre et à se mettre à leur place.
Là aussi c'est avec ironie qu'il parle de la « barrière du langage ».

« Mais il ne faut pas trop leur parler à ces types si différents de toi, parce qu'alors ils commencent à te ressembler vachement et c'est encore une fois la même merdouille, tu te retrouves dans tes meubles. »


Sa mère exceptionnelle, bien qu'encombrante, qui lui a donné son « témoin intérieur », l'oeil qui n'est pas dans la tombe mais devant lequel on évite de faire trop de conneries pour ne pas le décevoir, qu'il soit là ou pas, et qu'il soit vivant ou mort.
Ceci l'amène à quelques réflexions, empruntes de cynisme sur Dieu.

« J'y ai réfléchi, je me souviens, quand j'avais seize-dix-sept ans en regardant ma mère se démener et je me souviens, que je suis arrivé à la conclusion que croire en Dieu, c'est calomnier Dieu, c'est un blasphème, car il n'aurait pas fait ça à une femme. Si Dieu existait, ce serait un gentleman. »


Il raconte sa vie. Pas spécialement son enfance, ou alors il passe très vite dessus, mais il parle de sa jeunesse, c'est-à-dire à partir d'une vingtaine d'années, donc vers 1934. Il parle un peu de la guerre mais ne s'étend pas non plus sur cette période. Il explique davantage tous les postes qu'il a occupés comme diplomate.
Il a une vision lucide et éclairée du monde, ce qui lui donne d'instinct une pensée politique du monde assez juste, un peu visionnaire, sur l'écologie, sur l'Europe par exemples, sur la croissance, sur les rapports entre les grandes forces dans le monde, sur l'individualisme de l'homme.
Et sa lucidité se teinte parfois d'amertume.

« Il y a aujourd'hui une extrême confusion dans la merde, due à l'abondance. le monde ne semble plus avoir le choix qu'entre le bourrage de crâne et le lavage de cerveau. Ajoute à cela ce caractère individualiste qui fait que lorsqu'on parle en politique d'un « grand homme », le Français se sent personnellement diminué, comme si on lui avait volé quelque chose. »


Il parle beaucoup aussi de Los Angeles, du cinéma, de Hollywood, avec des anecdotes, mais il en parle surtout de façon très désabusée. Sauf pour quelques-uns, comme Gary Cooper, qui a donné le titre à l'un de ses livres.

« Oui. Gary Cooper. C'était un homme vraiment viril, au sens le plus féminin du terme. Doux. Gentil. Incapable de haïr. Plein d'humour et de modestie. C'était un grand Américain. »


Il parle de la féminisation qui serait salutaire au monde. Et cette féminité, il ne la voit pas que dans les femmes, il la voit aussi dans Jésus Christ par exemple, et surtout il ne la voit pas dans toutes les femmes, n'ayant pas d'illusion sur les femmes accédant au pouvoir et qui se comportent comme des hommes pour les besoins de la cause.

« Je ne suis tout de même pas assez praline pour dire : « Il faut mettre les femmes à la place des hommes et on aura un monde nouveau. » C'est idiot, ne serait-ce que parce que la plupart des femmes agissantes, actives, ont déjà été réduites à l'était d'hommes par les besoins mêmes et les conditions de la lutte. le machismo en jupon n'est pas plus intéressant que l'autre. Je dis simplement qu'il faut donner une chance à la féminité, ce qui n'a jamais été tenté depuis que l'homme règne sur terre. »


Enfin, il parle longuement des femmes.
Et là, on ressent bien qu'avec un homme comme lui, on peut avoir sa chance, et donc ça donne envie d'y être.

« Pendant des milliers d'années, les machos, pas du tout sûrs de leurs moyens, se sont appliqués à convaincre les femmes qu'elles ne doivent pas jouir, que c'est contraire à la féminité. C'est pas élégant, c'est pas propre, c'est pas bien du tout, c'est pas Vierge-Marie, c'est pas sultan et harem, c'est pas kasher. Les hommes, bon, c'est pas leur faute, les pauvres ! La nature a fait qu'ils ne peuvent pas féconder sans jouir avant, mais les femmes peuvent très bien féconder sans jouir, et il y a même une jolie « théorie » pseudo-populaire qui dit que la femme est plus sûre de concevoir lorsqu'elle ne jouit pas. Tout cela dispensait les machos d'être à la hauteur. On a beau être un vrai, un dur et un velu, des fois, on baise très mal, ça fait pchitt ! tout de suite, ça part, trente secondes, deux minutes, et voilà notre géant au bout de ses peines. le nombre de vrais durs qui ne durent pas ça vaut largement le nombre de femmes frigides. »


Il est abordé au détour d'une (fausse) question, le mélange des genres entre les personnages de ses romans et sa vie, dont des moments peuvent être des chapitres de romans.
Petit clin d'oeil à Emile Ajar, sûrement déjà né, puisque ces « entretiens » ont été publié en 1974, année de la publication de « Gros câlin ».


En parlant de gros câlins, bonne bourre…


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Un des textes où Gary dépose un moment le fardeau de sa vie. Cet homme exceptionnel vécut de façon régulière des accès de dépression gravissime. du mal à vivre, du mal de vivre, ou l'angoisse de ne pas vivre sa propre vie, mais d'être, comme il le dit, embobiné, par l'Histoire, ou l.histoire que sa mère a construite pour lui et qu'il exécutera filialement, à la lettre pourrait-on dire. Mais le fardeau est lourd, et il tente plusieurs fois de s'en dégager au moins pour un temps. En construisant une carrière littéraire parallèle sur..une imposture à l.envers, en cherchant auprès de tant de femmes ce qu.il sait au fond qu'il ne (re)trouvera jamais plus' le jamais plus que l'on pleure sur la tombe, et spécifiquement la tombe maternelle.Et finalement, radicalement, en mettant volontairement fin à cette vie.
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Romain Gary est à mes yeux et à mon coeur l'écrivain le plus complet. Capable d'un style léché, comme d'oser (doser) les formules les plus plates (pipi-caca), capable d'exprimer des sentiments d'une puissance inouïe et de glisser sur une peau de banane. Ses livres peuvent être drôles, effrayants, lumineux, sombres, philosophiques... Un écrivain capable de quasi tout.
Ce livre-ci prend la forme d'un dialogue avec l'un de ses amis de longue date. Ce qui permet à l'écrivain de se raconter. Et tout, absolument tout ce qu'il dit est appréciable, sincère, à la fois réfléchi tout en paraissant d'une évidente spontanéité. Et visionnaire...
On parle souvent de l'homme et de son oeuvre, qui pour certains sont raccords, pour d'autres tout à fait distincts. (Comme le cas Celine.) Pour Gary, c'est simple : les deux sont indissociables ! Et nul doute que pour lui c'était fondamental. Gary, c'est un vécu hors-norme. Des convictions féministes, écologistes, humanistes tellement là, tellement présentes... Rien à jeter.
Et ce titre, il me fait rêver.
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Quelle aventure que ce livre ! On voyage dans le temps et sur la planète, pénétrant les secrets de la diplomatie française. On découvre des anecdotes sur les grands de ce monde et sur les plus petits. Bref, la nature humaine est dépeinte sous nos yeux comme une toile de maître car Romain Gary est un formidable conteur ! Et, comme si ça ne suffisait pas, il a également le talent d'être un visionnaire, notamment lorsqu'il parle de la construction de l'union européenne.
Le récit ne s'arrête pas là bien sûr. Il est avant tout l'occasion pour lui de revenir sur sa vie : sa relation à sa mère, aux femmes, ses amitiés, son attachement à la France libre et au général de Gaulles, les malentendus qui ont jalonné sa carrière, ce qui le scandalise... Gary ne mâche pas ses mots quand à l'abjection que lui inspirent certains hommes, même dans les plus hautes sphères. Il y a beaucoup de morts dans ce récit mais ça ne le rend pas pesant pour autant. Romain Gary y apparait rusé parfois, un brin malicieux et irrévérencieux, mais également malheureux à ses heures.
Il chante la gloire de la féminité, qui n'est pas le propre de la femme, et dénonce, au détour des pages, le machisme civilisationnel. Comment ne pas être admirative devant une telle sensibilité ?
Après avoir terminé, à regret (encore des anecdotes monsieur Gary, s'il vous plait, je ne me lasse pas de vous entendre), la lecture de ce livre, le romancier diplomate m'apparait comme un grand enfant qui a semblé jouer toute sa vie dans la cour des grands. Devenu adulte, à la soixantaine, ayant grandi malgré lui à force de voir trop d'horreurs, il pose un regard nostalgique sur sa vie mais désespéré sur les hommes. Entre introspection et ouverture sur le monde, entre réflexion et colère, Gary nous offre ici des tranches de vie. Qu'importe qu'elles soient un peu romancées ou non, que certains sujets ne soient qu'effleurés, ce livre demeure, selon moi, la meilleure des biographies.
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La nuit ne sera jamais calme !

Il a combattu en première ligne au péril de sa vie, inventé & réinventé sa réalité-fiction allant jusqu'à s'auto-engendrer, défendu la supériorité du sentiment sur l'intellect, l'imagination sans aucune inhibition. Il est le contraire du notable littéraire !

C'est Gary, Romain Gary !

Des mémoires plus thématiques que chronologiques où passé & présent se rejoignent dans un merveilleux questions réponses qu'il s'est imaginé avec François Bondy, ce qui peut sembler faux ou médité, seulement, j'ai aimé, j'aime ! la forme dialoguée lui donnant un aspect vivant, le rapport entre les deux hôtes rendant le ton aimable, malgré les quelques piques ici ou là.

Plus auto-analyse qu'autobiographie, dans le désordre, cependant tout a une logique & tout est réfléchi.
Sont évoqués l'enfance & l'âge adulte, la vie privée & professionnelle, sans recherche d'exhaustivité mais plutôt dans l'optique de tirer un lien, de dérouler le fil d'une vie qui, de la naissance au moment où il écrit, a fait l'homme qu'il est. Gary revient sur la Résistance, la France libre, ses relations avec sa mère, sa conception de la littérature, la politique, le cinéma, ses idéaux en amour, sa vie sentimentale, le pilote & le diplomate qu'il était. Ces souvenirs font le tour, d'une vie mouvementée, avec des longueurs, cependant, la franchise & la lucidité apparente du personnage, s'avèrent appréciables.

J'ai fini La nuit sera calme, il y a des mois, a deux heures trente-neuf du mat, autour, le précieux dormait, et le monde dormait. Et mes yeux grands ouverts se perdaient dans l'épaisseur du noir au dessus du lit, incapables d'accrocher le moindre morceau de lumière ! Si avide j'étais, tenant le livre entre les mains, mes yeux défilaient sur ses mots, et dans mes oreilles je l'écoutais se livrer, se confesser
Les yeux, les mains, le papier ne suffisaient pas, plus !

Je l'ai fini cette nuit là, et depuis je l'ai traîné partout, à la mer, au restau, chez le toubib, afin de le relire à petite allure, savourer, retenir ces fragments de vie !

Lui, le Monsieur à l'aura fascinante dont le parcours & le destin marquent profondément !



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La nuit sera calme/Romain Gary
Toujours passionné et chantre de l'amour…
Cette longue interview relatant une série de rencontres et d'événements dont a été témoin l'auteur vient comme une suite de « La promesse de l'aube ».
L'aventure et les amours vécues avec passion par Romain Gary donnent lieu à une réflexion plus générale sur la vie. Quelques phrases en témoignent :
« le comique est un rappel à l'humilité. »
Gary revient d'ailleurs sur « La promesse de l'aube » et fait une analyse du contenu : « Ma mère est devenue exceptionnelle parce que « La Promesse de l'Aube » l'a tirée de l'oubli dans lequel tombent toutes les mères et l'a portée à la connaissance du public. Il y a des quantités de mères extraordinaires qui se perdent parce que leurs fils n'ont pas pu écrire « La Promesse de l'Aube. »
Et plus loin : « La seule chose que j'ai vue dans ma mère, c'est l'amour. Ça faisait passer tout le reste – comme avec toutes les femmes…J'ai été formé par un regard d'amour d'une femme. J'ai donc aimé les femmes. »
Réflexion plus générale : « le plus grand progrès que l'humanité ait connu eut lieu lorsque le Moyen-Âge a découvert le « passé » : il a découvert l'Antiquité, la Grèce, et c'est ainsi qu'il s'est ouvert sur l'avenir. »
Désillusions et les prémonitions font écrire à Gary : « Au point où en sont les systèmes capitaliste et soviétique, aujourd'hui, la seule question qu'ils nous posent, c'est celle de leur succession… »
Sur de Gaulle : « De Gaulle a été une heureuse excentricité de l'histoire dont la France a bien su profiter. »
Dans un style toujours aussi précis et alerte, l'auteur nous régale de phrases pleines de bon sens, parfois un peu à l'emporte pièce pour notre plaisir.
A lire absolument malgré une fin empreinte de pessimisme : Gary cite le philosophe Michel Foucault : « L'homme est une apparition récente dont tout annonce la fin prochaine. »
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Bien avant les révélations sur la nature d'Émile Ajar, Romain Gary les entrevoir, dans un entretien magnifique, toute la nature de ses combats, de sa philosophie, de son passée et de ses idéaux. Gary revoit les grandes lignes de sa vie avec un sens de l'humour brillant et une verve passionnante.
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