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Critique de meeva


Je viens de perdre mon âme et, délivrée du poids du monde, de renouer avec mon innocence, à Tahiti.
Emportée par le récit de la vie de Gengis Cohn, qui ne s'appelait pas Cohn, et qui n'était pas américain.


Peu de description du personnage : sa casquette de capitaine au long cours, son anneau d'or dans l'oreille, sa barbe de pirate et son regard foudroyant ; la marge d'identification est grande !
Cohn a un physique et un mode de vie déplorables. C'est un être dépravé, dans la plus parfaite tradition picaresque.

Il joue le rôle de Gauguin, pour l'office du tourisme, lequel a vécu sur l'île la fin de sa vie et a été persécuté pour ses mauvaises moeurs.

Cohn joue surtout le rôle du paria des îles auprès des touristes, ce qui lui permet de laisser libre cours à son imagination. Tous les personnages qu'il joue sont cyniques au plus haut point :

Lorsqu'il offre une toile à l'église, là où Mgr Tatin croit reconnaître des oiseaux se posant dans des nids, il s'agit bien sûr de sexes masculins et féminins.
Il se présente auprès d'un touriste allemand le visage et le corps couverts de sable, en proie à une assez effrayante succession de spasmes nerveux et se prétend être un juif qui attend depuis vingt-cinq ans que l'on vienne l'embarquer.
Il se présente comme le fils de l'homme qui a jeté la bombe sur Hiroshima à des touristes américains. Il dit poser pour des photos pornos pour aller au bout de sa déchéance et leur propose d'en acheter.
Lorsqu'ils le foutent dehors, il en profite pour embarquer des cigares.

Et j'en passe et des meilleurs…


Ce roman est parsemé de personnages tous plus ahurissants les uns que les autres :

En première ligne, le Baron, personnage récurrent de l'oeuvre de Gary : habillé d'un costume prince de Galles, d'un gilet canari, avec un noeud papillon, un chapeau melon gris, sans oublier les souliers vernis, les guêtres, les gants et la canne, c'est une apparition tout à fait déplacée.
Faisant preuve d'une totale indifférence à ce qui l'entoure, allant jusqu'à refuser de se nourrir seul ou de se torcher seul, il est peut-être l'incarnation de la Dignité humaine.

Le restaurateur, Tchong Fat, est un chinois français, gaulliste de la première heure qui a un fort accent corse.

Ryckmans est un policier désorienté : il a passé à tabac en Afrique un agitateur qui est devenu par la suite chef d'un état indépendant. Son obsession est de savoir ce qu'il ferait si on lui demandait de crucifier Jésus-Christ.

Là aussi, j'en passe et des meilleurs…

On trouve, présent tout au long du récit, l'Océan, image de la fraternité, dont Gary parle toujours avec la plus grande poésie :
« le grondement de l'Océan sur la barrière de corail s'éleva au fond de la nuit et Cohn, comme chaque fois qu'il entendait cette voix fraternelle, se sentit avec soulagement compris et exprimé. »

Et bien sûr, pour entrer dans le vif du sujet, la vahiné, Meeva : elle est dotée d'une bouche « fraîche, de cette fraîcheur qui attise le feu » et offre sa croupe à Cohn dans tous les plus beaux endroits de l'île.
Là aussi, peu de description, identification large possible donc.
C'est une nature simple mais…

Les termes tahitiens (je n'ai pas vérifié s'ils existent vraiment) sont rafraîchissants :
Cohn et Meeva topopo ; quand il ne l'attend pas pour finir l'esquisse, elle est fiu ; quand Cohn se retrouve avec des stigmates, son fifi il est tabou pour Meeva car le père Tamil lui a expliqué qu'elle devait le respecter ; Meeva a d'autres tanés que Cohn…


Mais tout le livre appelle à une réflexion sur la culpabilité de l'homme : Cohn est doté d'un « je universel », qui lui fait supporter sur sa « tête coupable » tous les méfaits des hommes.
Réflexions sur tous les massacres perpétués par l'Homme, sur l'armement nucléaire, sur la pollution, sur les religions, sur les discriminations…
Cohn cherche à se débarrasser de cette culpabilité en se livrant au cynisme le plus complet, mais aussi en se livrant au plaisir des corps.


C'est vrai que dans ce livre, Gary tourne un peu en rond, au bout d'un moment.

Mais il est jouissif si vous êtes sensible à la poésie des mots, Gary sachant si bien manier la langue.
Si vous vous laisser emporter par l'aventure picaresque de Cohn (c'est un vaurien et on aime les vauriens !).
Si vous êtes sensibles au cynisme, qui permet de faire passer tant d'idées.
Si vous êtes sensibles au sens de la formule dont ne manque jamais de faire preuve Gary.

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